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Pour un définancement de la police

Camille Cottais
10 novembre 2021

Crédit visuel : Dereck Bassa – Photographe

Chronique rédigée par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

Les demandes pour définancer la police gagnent en popularité en Amérique du Nord depuis le meurtre de George Floyd en mai 2020 par le policier Derek Chauvin, et les manifestations Black Lives Matter qui ont suivi. Faut-il alors baisser le budget de la police pour investir dans d’autres services ? La police nous protège-t-elle vraiment ?

Selon un sondage récent, la majorité des Ottavien.ne.s seraient en faveur d’un accroissement du budget de la police pour 2022. L’an dernier, ce budget avait déjà été augmenté de 13,2 millions de dollars, provoquant de nombreuses protestations. L’année prochaine encore, il va augmenter de 14 millions de dollars.

De l’autre côté de la frontière, des définancements de l’institution policière sont pourtant expérimentés dans plusieurs villes comme New York, Seattle, San Francisco, Baltimore ou encore Portland. Devrions-nous suivre nos voisins  ?

Un budget disproportionné

Aujourd’hui, le Canada dépense 15,7 milliards de dollars par an pour les services de police municipaux, provinciaux et fédéraux. Quant aux contribuables canadien.ne.s, ils.elles paient de leur poche 42,9 millions de dollars par jour pour ces mêmes services. Le montant alloué de la police est donc gigantesque et représente une très grande part du budget des villes, des provinces et du pays.

Ce montant augmente constamment au fil des années. Pourtant, les hausses budgétaires de la police n’améliorent en rien la sécurité publique.

Les villes canadiennes consacrent 15 à 20 % de leur budget à la police. La part du budget alloué à la police atteint par exemple 21 % à Vancouver (339 millions de dollars en 2020) et même 26,6 % à Winnipeg (304,1 millions de dollars en 2020). En comparaison, dans cette même ville et la même année, les services communautaires ont reçu 115 millions de dollars, c’est-à-dire seulement 10 % du budget. 

Dans la capitale nationale, le montant alloué à la police est cette année de 332 millions de dollars, soit un montant comparable à celui dépensé pour la santé publique, les services paramédicaux, la bibliothèque, le logement social, les parcs et loisirs et les services d’emplois réunis !

Police ne signifie pas sécurité

Le définancement de la police implique le réinvestissement de cet argent dans l’éducation, les logements sociaux, la sécurité alimentaire, les transports en commun ou encore les services de santé, notamment en santé mentale et addictologie. Il s’agit de réinvestir vers des services qui aident les personnes vulnérables, ces services souffrant d’un sous-financement alors même qu’ils sont bien plus utiles pour améliorer la sécurité publique, prévenir la criminalité et garder les communautés en sécurité que la police. 

La police gère très rarement de véritables dangers. L’écrasante majorité du temps, elle ne prévient pas le crime mais arrive une fois celui-ci déjà commis. Définancer la police permettrait d’investir dans des initiatives de justice transformative et basée sur la communauté, plutôt que dans des institutions de justice punitive comme la prison. La justice transformative règle les conflits par la responsabilisation, la réparation et la guérison, et surtout reconnaît et combat les inégalités socio-économiques qui ont mené à la violence voire au crime.

En effet, il faut se rappeler que la criminalité et la délinquance sont souvent causées par les inégalités et notamment la pauvreté. La véritable sécurité viendra de l’investissement dans les communautés, et non des services de police. Les problèmes de drogue, d’urgences en santé mentale ou de gestion des itinérant.e.s ne devraient pas être gérés par la police mais par des travailleur.se.s sociaux.ales. 

La police tue

Non seulement la police ne nous tient pas en sécurité, mais c’est même souvent d’elle que provient la violence. Lorsque l’on parle de définancer la police, beaucoup s’insurgent, argumentant que les citoyen.ne.s seront en danger sans la présence de la police. C’est un privilège de se demander « qui va nous défendre sans la police ?», plutôt que « qui va nous défendre de la police ?».

Pour les communautés marginalisées, c’est la police le problème. La police peut être raciste et violente, et l’institution policière vise les personnes racisées, autochtones, pauvres et/ou ayant des problèmes de santé mentale. Le profilage racial est toujours une réalité au Canada : à Halifax par exemple, les personnes noires ont trois fois plus de risques d’être contrôlées dans la rue. À Edmonton, les femmes autochtones sont dix fois plus susceptibles d’être contrôlées dans la rue.

La police est également une source de violence dans son accueil des femmes victimes de violences conjugales ou dans son traitement des femmes autochtones. Selon une étude du National Center for Women and Policing, il y a deux à quatre fois plus de chance que les officiers de police soient eux même des abuseurs, comparativement à la population générale.

Il y a toujours une forte criminalisation des maladies mentales, et la réponse de la police aux crises de santé mentale est très militarisée. Une enquête menée par CBC a montré qu’au Canada, 461 interactions policières mortelles ont eu lieu entre 2000 et 2017, parmi lesquelles 70 % de ces personnes tuées par la police avaient des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

De nombreux exemples illustrent ces chiffres. On pense par exemple à Abdirahman Abdi, un homme noir ayant des problèmes de santé mentale ayant été tué en juin 2016 par la police d’Ottawa. Similairement, rappelons la mort de Pierre Coriolan à Montréal en 2018. Cet homme noir avait une crise de santé mentale, et la police montréalaise lui a tiré dessus avec un taser, puis des balles en caoutchouc, pour finir par l’achever avec des balles réelles. Dans la majorité des cas, la police est acquittée, révélant une impunité révoltante par rapport aux crimes commis par les policiers. Personne ne devrait mourir en raison de sa couleur de peau ou de sa santé mentale. 

Ce que la police protège, c’est finalement le statu quo, c’est la suprématie blanche et le système colonial. On attend des Canadien.ne.s qu’ils.elles paient pour une police qui nuit à leur communauté, pour une police qui s’avère être raciste et dont le budget se fait au détriment de services qui sont eux essentiels.

Définancer ou abolir ?

Le Canada étant sur une terre autochtone volée et Ottawa sur un territoire algonquien non cédé, beaucoup de personnes autochtones soulignent que l’État et la police n’ont aucune autorité légitime. Aucune police ne devrait selon elles se trouver sur des territoires autochtones. 

Une critique plus radicale du système de justice criminelle, et notamment des prisons, est nécessaire. Allons au-delà du définancement de la police, pour demander par exemple le désarmement des policiers, afin d’aller vers des méthodes d’intervention non violentes. La police est en effet inutilement ultra-militarisée : armes à feu, pistolets électriques, matraques, gaz lacrymogènes, bombes au pouvoir…

Définancer est une étape, mais le but de beaucoup de militant.e.s est l’abolition totale du système policier tel qu’il existe aujourd’hui. Il s’agit en effet d’une institution mauvaise en soi, raciste et coloniale, et les réformes ou le définancement ne changeront rien à cette réalité. Bien que ce changement devra se faire progressivement, nous pourrions peut-être imaginer un jour un monde sans police, où la sécurité serait assurée par des travailleur.se.s spécialisé.e.s, par la compassion et non la violence.

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