
Prévoir et gérer les vagues de chaleur à Ottawa
Crédit visuel : Camille Cottais – Rédactrice en chef
Entrevue réalisée par Ismail Bekkali – Journaliste
Dans le contexte actuel de changements climatiques, les vagues de chaleur sont devenues des phénomènes de plus en plus fréquents et intenses, posant des défis significatifs dans les centres urbains comme Ottawa. Pour mieux comprendre ces enjeux, La Rotonde s’est entretenue avec un expert en la matière : Hossein Bonakdari, professeur au département de génie civil à l’Université d’Ottawa.
La Rotonde (LR) : Pouvez-vous expliquer les principales causes des vagues de chaleur, en particulier celles qui touchent Ottawa et le Canada ?
Hossein Bonakdari (HB) : Les vagues de chaleur qui touchent Ottawa et le Canada sont principalement le résultat d’une combinaison de facteurs climatiques globaux et locaux, exacerbés par les activités humaines. Les principales causes sont le changement climatique global, l’urbanisation, la modification des courants atmosphériques, la sécheresse, ou encore l’utilisation excessive des ressources terrestres.
LR : Comment ces phénomènes ont-ils évolué au fil des années dans notre région ?
HB : Les vagues de chaleur à Ottawa ont connu une évolution marquée. On observe une augmentation notable de leur fréquence et de leur intensité, avec des étés de plus en plus chauds. L’urbanisation à Ottawa contribue également à l’effet d’îlot de chaleur urbain. La variabilité interannuelle est également importante, certaines années voyant des vagues de chaleur particulièrement intenses, ce qui complique la prévision. Face à cette situation, une prise de conscience accrue se manifeste. Des mesures telles que l’amélioration des systèmes d’alerte sont mises en œuvre pour s’adapter à ces changements.
LR : Quelles tendances climatiques globales et locales influencent les vagues de chaleur à Ottawa ?
HB : À l’échelle mondiale, les émissions de gaz à effet de serre augmentent les températures globales. De plus, les changements dans les courants atmosphériques peuvent entraîner des conditions météorologiques extrêmes. Les phénomènes El Niño et La Niña affectent également les températures mondiales.
Les changements dans l’utilisation des terres, comme la déforestation et le développement urbain, réduisent la capacité de l’environnement à réguler naturellement les températures. Les périodes de fortes pluies suivies de sécheresses peuvent aussi influencer la fréquence et l’intensité des vagues de chaleur. Une gestion inefficace de l’eau peut exacerber ces effets. Bien que les tendances à long terme montrent un réchauffement graduel, il existe aussi des fluctuations annuelles qui compliquent nos prévisions.
LR : Existe-t-il des modèles prédictifs qui montrent une augmentation des vagues de chaleur à l’avenir ?
HB : Oui, il existe plusieurs modèles prédictifs comme Modèles de Circulation Générale (GCM) et Modèles Climatiques Régionaux (RCM), qui montrent une augmentation des vagues de chaleur à l’avenir en raison du changement climatique. Actuellement, j’utilise l’intelligence artificielle (IA) pour améliorer la précision de ces prédictions et pour mieux comprendre les dynamiques de ces vagues.
Pour Ottawa, les modèles d’IA prédisent une augmentation continue des vagues de chaleur en fréquence, en intensité et en durée. Les températures maximales augmenteront, avec des jours dépassant fréquemment 35°C. Les vagues dureront plus longtemps, souvent plusieurs semaines, augmentant les risques pour la santé publique. La saison commencera plus tôt au printemps et se prolongera plus tard en automne.
LR : Quels sont les principaux risques pour la santé associés aux vagues de chaleur à Ottawa ?
HB : Les vagues de chaleur à Ottawa présentent plusieurs risques importants pour la santé publique. Ces vagues peuvent provoquer des coups de chaleur, où le corps n’arrive plus à réguler sa température, de la déshydratation et des problèmes cardiovasculaires. La chaleur peut aussi aggraver les problèmes respiratoires, surtout chez les personnes souffrant de maladies pulmonaires. Elle peut exacerber les symptômes des maladies chroniques telles que le diabète, en plus d’affecter la santé mentale, provoquant anxiété, irritabilité et troubles du sommeil.
Certaines populations sont particulièrement vulnérables aux effets de ces vagues. Les personnes âgées, les enfants en bas âge, les personnes atteintes de maladies chroniques et les travailleur.se.s en extérieur sont particulièrement à risque.
LR : Selon vous quelles mesures peuvent être prises par les autorités locales pour mieux se préparer et s’adapter aux vagues de chaleur ?
HB : Premièrement, les infrastructures urbaines doivent être améliorées. La création de zones de refroidissement offre des refuges lors des périodes de chaleur intense. De plus, l’augmentation des espaces verts aide à réduire l’effet d’îlot de chaleur. L’utilisation de matériaux réfléchissants pour les toits et les trottoirs peut également diminuer l’absorption de chaleur.
Ensuite, les politiques et les réglementations jouent un rôle crucial en incluant des normes de performance thermique plus strictes permettant de s’assurer que les nouveaux bâtiments restent frais, tout en protégeant la couverture végétale en ville.
L’éducation du public est également primordiale. Des campagnes de sensibilisation peuvent informer les citoyen.ne.s sur les risques des vagues de chaleur et les mesures de protection. Soutenir les populations vulnérables est aussi crucial. Des programmes d’aide peuvent fournir des ventilateurs, des climatiseurs et des aides financières pour les factures d’énergie aux personnes à risque et aux familles à faible revenu. Enfin, encourager la recherche est essentiel : investir dans des technologies innovantes permettrait de mieux gérer ces périodes de chaleur.
Les collaborations entre chercheur.se.s, institutions et gouvernements permettent de combiner expertise, ressources et données pour développer des stratégies efficaces. En adoptant ces nouvelles technologies, Ottawa peut non seulement mieux se préparer, mais aussi devenir un modèle de résilience climatique. Utiliser des modèles d’IA et de machine learning pour analyser les données climatiques et prévoir les vagues de chaleur avec une plus grande précision permettrait d’optimiser les réponses d’urgence.
LR : Y a-t-il des innovations ou technologies émergentes qui pourraient transformer notre approche de ces vagues de chaleur ?
HB : Une des avancées majeures est l’utilisation de capteurs connectés et de réseaux IoT (Internet des objets). Ces capteurs permettent de surveiller en temps réel les conditions météorologiques et d’analyser les données avec l’aide de l’IA. Barcelone utilise par exemple un réseau de capteurs IoT.
L’implantation de toits et de murs végétalisés est également une innovation prometteuse. En utilisant la végétation sur les toits et les murs, on peut réduire la température des bâtiments et améliorer le confort thermique. Singapour est un exemple notable, avec de nombreux bâtiments dotés de toits verts, ce qui contribue à renforcer la résilience urbaine.
Les systèmes de refroidissement en ville jouent également un rôle crucial. Paris a installé des fontaines et des brumisateurs dans ses espaces publics pour rafraîchir l’air pendant l’été, offrant un soulagement aux habitant.e.s lors des journées de chaleur intense.
L’intégration des énergies renouvelables et des solutions de stockage de l’énergie permet d’alimenter les systèmes de climatisation de manière durable. À Copenhague, l’utilisation de panneaux solaires et de batteries aide à maintenir les infrastructures de refroidissement en fonction, même lors des pics de demande énergétique.
Investir dans la restauration des écosystèmes naturels, tels que les zones humides et les forêts urbaines, peut également aider à réguler les températures. De plus, encourager l’agriculture urbaine, comme les potagers communautaires et les fermes sur les toits, fournit non seulement de la nourriture locale, mais contribue aussi à refroidir l’environnement urbain.
Un autre point crucial est la résilience communautaire, qui peut grandement renforcer notre capacité à faire face aux vagues de chaleur. Mettre en place des programmes de volontariat où les citoyen.ne.s peuvent aider à soutenir les personnes vulnérables durant ces périodes est une initiative importante. En intégrant ces approches, nous pouvons non seulement mieux gérer les vagues de chaleur, mais aussi renforcer la résilience et le bien-être de nos communautés face aux défis climatiques futurs.