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Réconciliation ou stratégie politique ? Ce que révèle le financement de 6 millions aux communautés autochtones

Crédit visuel : Élodie Ah-Wong— Directrice artistique

Article rédigé par Davy Bambara — Journaliste 

Le gouvernement de l’Ontario débloque 6 millions de dollars pour appuyer les communautés et organisations autochtones. Cette initiative, inscrite dans le plan provincial pour un Ontario plus résilient, vise à soutenir des projets d’infrastructures essentielles qui encouragent la croissance économique durable, la création d’emplois et le développement des communautés locales. Mais derrière les chiffres et les promesses, des voix autochtones rappellent que le véritable progrès passe par une écoute sincère et un engagement durable envers leurs communautés.

Une annonce présentée comme un pas vers la réconciliation

L’investissement annoncé s’inscrit dans le cadre du Programme de subventions pour l’infrastructure des communautés autochtones (PSICA), créé en 1989 et relancé en 2016. Ce programme servira à financer la construction ou la rénovation d’installations communautaires, culturelles ou récréatives dans les communautés autochtones. En l’annonçant, le ministre ontarien des Affaires autochtones et de la Réconciliation économique, Greg Rickford, présente ce financement comme un levier de développement et de prospérité locale.

Cette somme de 6 millions de dollars viserait à permettre à certaines Premières Nations et organismes autochtones de concrétiser des projets jugés essentiels à la vie communautaire : centres culturels, infrastructures sportives, espaces communautaires ou de loisirs. Toutefois, si l’objectif de renforcer le tissu social et économique est salué, plusieurs voix s’interrogent sur la portée réelle de ce geste dans un contexte marqué par des décennies de sous-financement.

Des attentes beaucoup plus grandes

Selon Robert-Falcon Ouellette, professeur agrégé de la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, membre de la Nation crie de Red Pheasant et ancien député fédéral, l’annonce représente davantage un symbole qu’un changement structurel. Il estime que  le montant annoncé est largement insuffisant pour répondre aux besoins urgents sur le terrain. « Six millions, c’est peu », rappelle Ouellette, soulignant que les communautés autochtones sont aujourd’hui encore confrontées à un manque criant d’infrastructures de base, que ce soit pour l’eau potable, les routes ou les écoles sécuritaires. 

Selon lui, ce financement constitue avant tout un moyen pour la province de montrer qu’elle agit, sans pour autant témoigner d’une véritable ambition de transformation. C’est en ce sens qu’il voit dans ce type de mesure un outil politique visant à maintenir de bonnes relations entre le gouvernement provincial et certaines communautés stratégiques. Pour Ouellette, ce geste relèverait même d’« un moyen machiavélique  de négocier avec les Premières Nations », permettant au gouvernement d’utiliser l’argent public comme levier politique dans les discussions territoriales et économiques.

Réconciliation économique : au-delà du financement

Pour Joseph Wabegijig, expert en gouvernance autochtone, la réconciliation économique ne peut se limiter à une logique de subvention. Le véritable enjeu consiste à redonner aux peuples autochtones la maîtrise de leurs terres, de leurs ressources et de leurs institutions communautaires.

« La réconciliation économique consiste à passer de la dépendance à l’autodétermination. Si les investissements demeurent purement transactionnels ou temporaires, ils risquent de devenir une autre forme d'inclusion économique sans réconciliation. »

 – Joseph Wabegijig –

Wabegijig reconnaît que les investissements provinciaux peuvent contribuer à améliorer le quotidien des communautés, mais seulement s’ils sont conçus dans une approche de partenariat réel. « Ces investissements peuvent être bénéfiques s’ils sont conçus conjointement avec les communautés et s’ils favorisent à la fois un sentiment d’appropriation ainsi que la création de sources de revenus durables », précise-t-il.

Des besoins encore trop souvent négligés

Malgré la multiplication des annonces de financement, les besoins demeurent considérables selon Ouellette. Dans plusieurs communautés du nord de la province, l’accès à des routes praticables, à des logements décents, à des écoles modernes ou à une eau potable sécuritaire reste un défi quotidien. Ces réalités rappellent que les inégalités ne sont pas seulement économiques, mais aussi structurelles et historiques. Ouellette insiste également sur le fait que les Premières Nations ne cherchent pas simplement à être assistées, mais à pouvoir développer leurs propres projets, bénéfiques pour leurs membres, sans en subir les conséquences environnementales ou sociales. 

Vers une approche plus durable et culturelle

Plusieurs voix autochtones, dont celle de Wabegijig, plaident pour une approche du développement ancrée dans les valeurs, la langue et les savoirs autochtones. Il évoque l’importance de projets favorisant la cohésion sociale et la transmission culturelle : des centres culturels, des espaces de loisirs pour les jeunes ou encore des pôles d’apprentissage en lien avec la nature et la durabilité. « Lorsque les gens constatent des résultats tangibles, des emplois pour les jeunes, des espaces qui honorent la culture, des bâtiments au service de la communauté, cela restaure la fierté et les liens », affirme Wabegijig. 

Si l’investissement de 6 millions de dollars peut paraître modeste, il témoigne d’une volonté politique de soutenir les communautés autochtones. Mais pour Ouellette comme pour Wabegijig, l’enjeu dépasse la question du financement :  le véritable succès, conclut Wabegijig, ne sera visible que lorsque les nations autochtones contrôlent leur propre avenir économique, et que la réconciliation ne sera pas mesurée par les dollars dépensés, mais par le pouvoir restauré. Autrement dit, la réconciliation véritable ne se mesurera pas à la somme des projets réalisés, mais à la capacité des nations autochtones à exercer un réel pouvoir sur leur avenir.

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