
Reconnaissance palestinienne par le Canada : un pas symbolique, une paix incertaine
Crédit visuel : Élodie Ah-Wong – Directrice artistique
Article rédigé par Joelluc Liandja – Journaliste
Le Canada a officiellement reconnu l’État palestinien. Il a ainsi rejoint la majorité des pays qui appuient une solution à deux États dans le conflit entre Israël et Palestine. Cette décision survient dans un contexte diplomatique chargé, alors qu’un accord provisoire de paix avait été signé entre Israël et Palestine. Malgré cette ampleur symbolique, plusieurs expert.e.s sur le Moyen-Orient soulignent que cette décision, bien que forte, ne transforme pas immédiatement la situation qui se vit sur le terrain.
Des enjeux diplomatiques et symboliques
Professeure adjointe à l’Université Carleton, Timéa Spitka soulève l’importance de cette décision : « La reconnaissance de l’État palestinien par le Canada est d’une importance capitale, car elle rapproche d’une solution à deux États aux conflits israélo-palestiniens. » Selon elle, cette solution est la seule possible, compte tenu de l’histoire et du contexte actuel. En outre, elle rappelle que cent cinquante-sept pays ont déjà reconnu la Palestine, faisant de cet État une entité pratiquement établie, malgré l’occupation militaire israélienne qui freine encore son fonctionnement réel.
À l’inverse, malgré sa position qui soutient cette décision, le professeur Thomas Juneau choisit plutôt de relativiser : « C’est une décision que je soutiens, mais elle a une portée très limitée. Elle est purement symbolique. Elle ne change absolument rien sur le terrain, au Moyen-Orient, et elle ne change pas la position du Canada vis-à-vis d’Israël et de nombreux alliés. » Il reconnaît néanmoins que la volonté du Canada de s’affirmer comme acteur du dialogue est à la fois encourageante et manifeste.
Un accord de paix sous tension ?
Signé en Égypte le 9 octobre 2025, l’accord de cessez-le-feu à Gaza prévoyait le retrait progressif des troupes israéliennes, la libération d’otages, et la mise en place d’une force internationale de stabilisation. Malgré ces promesses, cet accord suscite encore un mélange d’espoir et de prudence.
Pour Spitka, « il s’agit plus d’une trêve que d’un accord de paix, car il ne règle pas les questions relatives au statut final. Comme Oslo, il s’agit d’un plan progressif sans échéances précises ». Elle redoute que ce plan limité ne parvienne pleinement à être mis en œuvre sans une pression internationale sur Israël et le Hamas, craignant ainsi que beaucoup de choses ne tournent finalement mal, là où certaines personnes perçoivent encore une lueur d’espoir.
Juneau, de son côté, s’attarde sur les obstacles et les risques qu’il trouve encore énormes : « Le Hamas n’a aucune intention de se désarmer. Le plan de paix demande le désengagement progressif d’Israël et de la bande de Gaza, mais il reste fragile », avance-t-il, en montrant son scepticisme vis-à-vis des intentions réelles de l’État israélien. Selon lui, sans donner une réelle précision, le cessez-le-feu pourrait ne durer que quelques mois, à défaut d’un engagement réel et durable.
Les deux chercheur.euses s’accordent toutefois sur le principe qu’une paix durable ne pourra passer que par le chemin des accords solidement négociés, le retrait des troupes israéliennes et une forte consolidation de l’État palestinien. « Tant que ces conditions ne seront pas réunies, la résistance continuera toujours. », conclut Spitka.
Le rôle du Canada : stratégique mais limité ?
Autour de cet accord de cessez-le-feu, le Canada a certes un rôle à jouer, mais ses marges de manœuvre restent restreintes, même si certain.es au Canada réclament parfois qu’il exerce un rôle de leadership dans le continent.
« Dans la région du Moyen-Orient, personne ne demande au Canada de jouer un rôle important. À dix mille kilomètres du conflit israélo-palestinien et n’etant pas une grande puissance, le Canada ne peut réellement prétendre à un rôle important. »
- Thomas Juneau -
Le Canada forme déjà des forces palestiniennes en Cisjordanie, et Juneau y voit une autre manière de contribuer. « Si le plan de paix à Gaza progresse, une des étapes nécessaires, c’est la formation d’une nouvelle force de sécurité palestinienne à Gaza. Le Canada pourrait contribuer sans être en première ligne. Former des forces de sécurité, c’est quelque chose que nous faisons bien au Canada. » estime-t-il.
Tandis que Spitka, pour sa part, souhaite que le Canada exerce une pression sur Israël, regagne son pouvoir normatif et favorise une solution par la médiation internationale.
La neutralité des universités est une force
Les débats israélo-palestiniens résonnent aussi dans les universités canadiennes, comme à l’Université d’Ottawa, qui accueillent des étudiant.es issu.e.s d’Israël et de la Palestine. Pour Juneau, toutefois, les universités n’ont pas à prendre position car elles ne sont pas des entités politiques.
« Je m’oppose à ce que l’Université prenne position sur le conflit israélo-palestinien, d'un côté ou de l'autre. Je m'oppose à ce que l'Université prenne position aux prochaines élections au Canada. Je m'oppose à ce que l'Université prenne position sur la guerre en Ukraine. Ce n'est pas la fonction d'une université. »
- Thomas Juneau -
Il invite ainsi les universités à créer des espaces de débats ouverts, respectueux et rigoureux. Cela est une façon, comme le souligne Spitka, de montrer qu’une puissance moyenne comme le Canada, à travers ses institutions, peut contribuer à la paix en restant fidèle au droit international.
En guise de conclusion, Juneau affirme : : « Je m’oppose presque à tout ce que fait le Président Trump. Mais sans son intervention et la pression exercée sur Netanyahu et le Hamas, il n’y aurait pas eu de cessez-le-feu. Et sans une continuation de cette implication active du président Trump, notamment au niveau de sa pression sur Israël, tout pourrait s’effondrer. »
La reconnaissance de l’État palestinien par le Canada constitue un signal politique fort. Mais les spécialistes en rappellent les limites : le geste s’inscrit dans un contexte instable où chaque mot et chaque initiative peuvent faire basculer un équilibre précaire entre négociation et escalade.
