Safia Nolin dans Surveillée et punie : quand l’art sublime la haine
Crédit visuel : Sophie Désy — Photographe
Critique rédigée par Noémie Burrs — Bénévole
Les médias sociaux sont omniprésents dans notre société contemporaine. Bien qu’ils puissent être un outil pour promouvoir la liberté d’expression, ils sont aussi des vecteurs propices pour la transmission de l’intolérance. Le spectacle « Surveillée et punie » met en scène la chanteuse québécoise Safia Nolin qui se réapproprie son histoire face au harcèlement virtuel dont elle est victime.
Des insultes, des propos haineux et des menaces de mort chantés par un chœur pendant plus de vingt minutes. C’est ainsi que débute le spectacle « Surveillée et punie », entièrement conçu à partir de commentaires haineux qui circulent sur les différents médias sociaux à l’égard de la chanteuse québécoise Safia Nolin. Ce spectacle a été présenté pour la première fois au Festival TransAmériques et au Théâtre Prospero en août et septembre derniers. Actuellement en tournée, il a été présenté au Théâtre français du Centre National des Arts du 14 au 16 novembre et sera en présentation aux Plateaux sauvages à Paris du 16 au 18 janvier 2025.
Dans un monde où les médias sociaux sont omniprésents et où l’intolérance est de plus en plus tolérée, ce spectacle nous incite à réfléchir à la liberté d’expression et à ses limites.
Ressentir la haine
La surprise, le choc et l’indignation. C’est ainsi que se sentent les spectateur.ice.s en écoutant les propos haineux adressés à Safia Nolin. Que ce soit l’homophobie, le racisme ou la grossophobie, ces commentaires touchent à tout. Pour Safia Nolin, ces commentaires font partie de son quotidien depuis plusieurs années. En effet, la chanteuse explique lors de la discussion post-spectacle que les commentaires haineux utilisés provenaient d’un échantillon de 550 utilisateur.ice.s des médias sociaux. Ces commentaires, elle les a classés et catalogués par thématique sur un Drive. C’était en quelque sorte une preuve de ce qui se passait, alors que même la police ne reconnaissait pas l’ampleur de la situation, ajoute-t-elle.
Philippe Cyr, metteur en scène du spectacle et codirecteur général du Théâtre Prospero, explique en entrevue avec La Rotonde que l’intention de départ du projet était de conscientiser le public à cette problématique. Selon lui, « le spectacle permet de constater cette intolérance, mais pas juste d’une manière intellectuelle. Il permet de la ressentir ». En effet, ce n’est pas du tout la même chose de voir et d’entendre des propos haineux sortir de la bouche de personnes à quelques mètres de soi que d’en entendre parler à la télévision ou sur les médias sociaux.
En plus de faire ressentir le harcèlement, le spectacle transmet également un sentiment de collectivité. Safia Nolin explique qu’elle recevait les commentaires haineux qui lui étaient adressés par l’entremise de ses messages privés sur les médias sociaux ou de sa boîte courriel. Cependant, ce spectacle a permis à la chanteuse de ne pas vivre cette haine par elle-même, seule et isolée devant son téléphone. En effet, Philippe Cyr explique que la solidarité, la sororité et l’amitié la soutiennent. La présence, d’un côté, de Debbie Lynch-White sur scène, une forme de double et de soutien pour Safia, et du public de l’autre, fait en sorte que la chanteuse ne se retrouve pas seule, appuie-t-il.
L’art comme moyen de réappropriation
Ce spectacle est avant tout un moyen pour Safia Nolin de se réapproprier sa propre personne face aux commentaires haineux qui la déforment et la distordent. Elle le fait en reprenant l’espace de la scène avec son arme à elle : sa voix et sa guitare. Pendant le spectacle, elle nous offre de nouvelles compositions, des chansons poétiques et personnelles, qui sont davantage pour elle-même que pour nous. Ses chansons sont sa façon à elle de répondre à cette haine.
Lors de la discussion d’après spectacle, un membre du public a mentionné que la création de quelque chose de si beau en utilisant quelque chose de si laid était ce qui l’avait le plus marqué dans le spectacle. C’était justement l’objectif qu’avait Philippe Cyr en créant ce spectacle : il voulait sublimer la haine, se la réapproprier pour ensuite pouvoir s’élever plus haut qu’elle. Cet objectif ne se manifeste pas seulement lors du spectacle en tant que tel, mais également lors du processus de création. « C’est très beau de pouvoir être dans la rencontre avec les gens, parce que tout ça se fait tout de même dans une mesure très positive, même si les paroles qui sont dites dans le projet sont très très dures », mentionne le metteur en scène.
Ce spectacle montre que l’art peut avoir un pouvoir thérapeutique, nous permettant de faire face à différents enjeux grâce à notre imagination, notre talent et notre passion. Mais également un pouvoir revendicateur, pour manifester et transmettre nos émotions, nos expériences et nos idées au sein d’une société. « Surveillée et punie », c’est un ensemble d’artistes qui tentent de sublimer la haine, et ce, autant pour eux-mêmes que pour le public qui les entourent.