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Éditorial

Savoirs autochtones et réformes dans les universités

Rédaction
17 septembre 2018

Éditorial

Par Mathieu Tovar-Poitras – Rédacteur en chef

Mort de la variole. Retiré de sa famille. Victime de la guerre. Un par un, les étudiant.e.s se retirent avec leur couverture. Rapidement, ils sont rejoints sur le côté par d’autres de leurs collègues. Au milieu, là où quelques instants auparavant se trouvait tout le monde, il ne reste qu’une poignée d’étudiant.e.s.

L’exercice des couvertures de KAIROS a pour but d’aborder l’histoire des droits des Autochtones par l’entremise d’un atelier d’apprentissage interactif illustrant les impacts de la colonisation. C’était la première activité à l’ordre du jour du 4 janvier 2018 pour les étudiants de la Faculté de droit, section droit civil, de l’Université d’Ottawa (l’U d’O). A ensuite suivi une présentation sur les cultures juridiques et la terre, puis le lendemain, des interventions concernant l’adoption coutumière ainsi que les interactions entre les cultures juridiques autochtones et le droit étatique. Le cours « Initiation au droit autochtone » de 12 heures, étalé sur deux jours, vise à introduire les étudiant.e.s à des perspectives et des ordres juridiques autochtones, ainsi qu’à l’incidence du colonialisme sur l’état du droit.

La spécificité des sujets abordés dans les ateliers par les différents intervenants démontrait l’aspect concret du droit des Autochtones et le droit autochtone. Les participants du cours ont pu ressortir avec un bagage juridique incluant une introduction à ces sphères du droit. Ainsi, si ces futurs juristes finissent par devenir praticiens et se voient confier des dossiers touchant ces enjeux, ils auront le réflexe de considérer les perspectives autochtones. Cette compétence professionnelle est non-négligeable, en particulier dans un contexte où le droit évolue vers une approche ayant une plus grande ouverture.

En intégrant les philosophies autochtones, ce cours remet en question la conception du droit canadien comme étant bijuridique – la coexistence du droit civil et de la common law – en démontrant plutôt l’existence d’un contexte plurijuridique qui inclut le droit coutumier et les systèmes juridiques autochtones. C’était en quelque sorte l’une des attentes du 28e appel à l’action du Rapport de vérité et réconciliation qui demandait aux écoles canadiennes de droit « d’exiger que tous leurs étudiants suivent un cours sur les peuples autochtones et le droit ». Bien entendu, le cours est adapté à une discipline en particulier, le droit. Par contre, les principes généraux ainsi que l’esprit derrière ce projet se doivent d’être extrapolés pour que d’autres actions de la sorte soient mises en place au sein de l’Université.

Le rôle des universités

Un mouvement visant à faire des efforts conscients pour intégrer au sein d’institutions post-secondaires les peuples autochtones, leurs philosophies et leurs cultures au sein des plans stratégiques, la recherche, le recrutement et les programme d’études est déjà en montée. Cette définition de l’autochtonisation des universités par la professeure Michelle Pidgeon de l’Université Simon Fraser ne fait pas l’objet de consensus absolu. La pluralité des définitions ainsi que des critiques visant la racine du terme génèrent des débats.

Par contre, en se basant sur la perspective de Pidgeon, des actions doivent se concrétiser pour engendrer un changement significatif dans le tissu institutionnel universitaire. Il entre dans le mandat de ces institutions de rectifier les faits liés à la colonisation et les peuples autochtones.

Des initiatives de plus grande envergure doivent être concrétisées. À l’Université Trent, l’activité Tipis Talks est obligatoire dans le cadre de la semaine d’orientation pour les étudiant.e.s de première année et pour l’institution. Du côté de l’Université de Winnipeg, les étudiant.e.s au premier cycle doivent choisir au moins un cours parmi ceux axés sur la réalité autochtone.

Les actions doivent être substantielles et significatives. Oui, cela bousculera la structure en place. Mais ce n’est pas avec des activités sporadiques que les choses changeront, il faut des mesures directement liées à l’enseignement ainsi qu’aux autres sphères du monde universitaire. Que ce soit par des cours obligatoires sur le sujet ou une transversalité des enjeux autochtones dans les syllabus des cours existants, les pistes sont nombreuses.

Des réformes institutionnelles

Les universités ont un rôle de pionnières et doivent devenir davantage un vecteur à la communication et la préservation des savoirs autochtones. Ce sont des vecteurs, mais pas la source du savoir autochtone, et cette distinction est importante. L’un des objectifs est, pour plusieurs universités, d’embaucher davantage de professeurs autochtones. Dans un article publié dans Affaires universitaires, Moira Macdonald souligne que les critères d’embauche pour certaines matières devraient mettre l’accent sur la reconnaissance par la communauté et moins sur les titres et diplômes. Elle mentionne comme exemple le domaine des langues autochtones en péril.

Cette perspective démontre la profondeur des changements qui doivent être instaurés. Pour se guider, l’Université de Concordia a créé deux nouveaux postes liés à l’engagement communautaire autochtone ainsi que les programmes d’études et pédagogies autochtones. L’Université de Régina a quant à elle établi le plan stratégique Peyak aski kikawinaw 2015-2020 qui vise l’intégration de la culture autochtone locale. Trois priorités y sont identifiées : le succès académique, l’engagement communautaire et la recherche. Le concept d’autochtonisation est qualifié d’enjeu transversal.

Des actions concrètes comme celles-ci doivent voir le jour à une plus grande échelle. Autant pour des étudiant.e.s en droit que pour ceux en ingénierie, une introduction aux savoirs autochtones est un outil de plus dans leur coffre. D’un point de vue institutionnel, les universités se veulent être précurseuses de changements. Toutefois, qu’en est-il des enjeux dépassant les murs universitaires ?

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