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Arts et culture

Se rappeler la guerre, exercice futile ou utile ?

Crédit visuel : Élodie Ah-Wong— Directrice artistique

Chronique rédigée par Sandra Uhlrich — Journaliste 

Derniers jours de novembre ! Ce mois, dont le début s’est toujours distingué par l’apparition de coquelicots dans notre décor quotidien, en particulier ici à Ottawa. Sur les manteaux, dans les rues et dans les communications officielles, le coquelicot est un symbole de souvenir. Mais qu’est-ce que cela implique vraiment de se souvenir ? Notre société se souvient-elle réellement ?

Le 11 Novembre

Jour de la signature de l’armistice mettant fin à la Première Guerre mondiale, il commémore les près de 66000 Canadien.ne.s et Terre-Neuvien.ne.s qui ont perdu la vie. C’est aussi l’occasion d’honorer les plus de 118 000 soldats et soldates morts au service de la Patrie, depuis la Confédération (1867).

Le plus récent conflit auquel les Forces armées canadiennes (FAC) ont participé est celui d’Afghanistan, qui s’est achevé en 2014. Depuis, les FAC demeurent actives dans différentes missions de maintien de la paix à travers le monde.

Pour l’occasion, La Campagne du coquelicot (un don en échange d’une épinglette de coquelicot) est lancée tous les ans le dernier vendredi d’octobre, jusqu’au 11 novembre. Elle vise principalement à collecter des fonds pour soutenir les vétéran.e.s des FAC et leurs familles. 

À Ottawa, cette journée a été l’occasion pour les membres du gouvernement, ainsi que pour la population militaire et civile, de se recueillir sur la tombe du Soldat inconnu, au Monument commémoratif de la guerre. Ils et elles ont ainsi rendu hommage aux soldat.e.s disparu.e.s et à celles et ceux encore en vie. Se souvenir, pendant un instant, du passé; se rappeler ce qu’a entraîné la guerre, ses conséquences, pourquoi il faut l’éviter à tout prix.

En manque d’Histoire

Pour éviter de reproduire les erreurs du passé, il faut d’abord les connaître. C’est l’argument que l’on donne souvent pour illustrer l’importance de l’Histoire. En entretenant la mémoire, on peut tirer des leçons des expériences passées et surtout faire des choix plus éclairés. C’est d’ailleurs la mission principale du Musée canadien de la guerre : en préserver la mémoire.

En effet, sur la façade de ce musée (à Ottawa), on peut lire « N’oublions jamais » en morse. Orientée vers la tour de la Paix (sur la Colline du Parlement), cette façade nous rappelle que chaque décision prise au Parlement a un impact direct sur la paix mondiale. 

Pourtant, en regardant les nouvelles, je me demande si notre société a réellement appris. Recrudescence des mouvements d’extrême droite à la tête de certains gouvernements, discours fascistes, appels à la haine… Et le summum ultime de cette dégringolade : la guerre et le génocide. Ce sont des échos clairs avec les périodes hitlériennes et fascistes du XXe siècle.

Dans un monde hyperinformé, on pourrait croire que comprendre les effets tragiques de ces idéologies devrait aller de soi. Il suffit d’allumer la radio et d’entendre les bombardements en Ukraine ou les nouveaux assauts à Gaza. Mais la gravité de la situation se perd dans le bruit. Les parallèles historiques ne se font pas, trop concentrés sur notre quotidien. J’en suis coupable. On se dit que l’on ne peut rien y faire, que notre agentivité n’est qu’illusoire, que d’autres agiront à notre place.

Comme si, finalement, nous n’avons pas vraiment appris du passé. Alors oui, se souvenir de nos vétéran.ne.s est crucial, mais encore faudrait-il le faire en apprenant réellement d’eux et d’elles, et non seulement lors d’une cérémonie annuelle.

Se souvenir, réellement !

Je suis française, maintenant canadienne également. Mes arrière-grands-pères ont tous les deux participé aux grandes guerres (l’un à la première, l’autre à la deuxième). Ma famille, qui habitait encore en France à l’époque, a forcément connu la guerre. Pourtant, leur mémoire n’est pas arrivée jusqu’à moi. Très peu de récits de ma famille touchée par la guerre me sont parvenus. Par honte, peut-être?

Ainsi, même si la guerre demeure un phénomène très présent de nos jours, elle ne me touche pas directement. Il m’est donc difficile de comprendre pleinement l’importance de célébrer le jour du Souvenir. Rationnellement, je le comprends. Émotionnellement, un peu moins.

Or, il me paraît essentiel de se reconnecter aux récits et à notre Histoire, pour réellement apprendre du passé, et honorer la mémoire de celles et ceux tombé.e.s aux combats. Pas simplement par une cérémonie, mais en cherchant véritablement à préserver la paix. Pour cela, il m’apparaît nécessaire de comprendre ce qu’est la guerre sur le plan personnel et émotionnel, pas seulement en théorie , pas simplement à travers un manuel de cours.

Nous gagnerions à donner davantage la parole aux vétéran.ne.s ainsi qu’à celles et ceux qui travaillent actuellement dans les zones de conflits armés et de guerre à travers le monde. Ouvrons-leur les portes des écoles et des institutions éducatives. Instaurons un véritable partage des connaissances et de la mémoire collective entre les générations. Il est nécessaire de préserver cette mémoire vivante pour les générations futures.

À l’ère des deepfakes, l’information peut être facilement manipulée et instrumentalisée. Revenir à l’Histoire et à la mémoire collective reste le meilleur moyen d’éviter de répéter les erreurs du passé. Car au fond, la guerre n’est peut-être qu’un symptôme de l’oubli et de l’ignorance.

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