
SHIP : la relève au service de la communauté
Crédit visuel : Nicole Wisener
Article rédigé par Sarah Matmata – Journaliste
En janvier dernier, Nicole Wisener et Emily Liang, deux étudiantes de deuxième année à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa (U d’O), ont lancé SHIP. Une initiative qui les plonge dans la réalité sociale des soins, loin des circuits hospitaliers traditionnels. Pensé comme une démarche d’apprentissage, ancré dans la médecine communautaire, ce projet permet d’acquérir une expérience tôtive pour les étudiant.e.s.
Médecine sociale : soigner pour apprendre
Les années 2000 marquent un tournant pour les formations médicales canadiennes. L’Association des facultés de médecine du Canada (AFMC) invite les universités à intégrer un volet social au sein de leur curriculum axé sur la responsabilité sociale, les déterminants sociaux et la santé des populations vulnérables.
Pour Nicole Wisener, présidente de SHIP – acronyme pour « Partenariat pour une initiative en santé menée par des étudiant.e.s » – et titulaire d’une maîtrise ès sciences en santé mondiale, la médecine sociale est indissociable des réalités intersectionnelles.
Elle ajoute que les risques de santé ne s’expliquent pas par un unique facteur, mais par l’imbrication de plusieurs d’entre eux comme le statut socio-économique, l’origine ethnique, le genre ou encore le quartier de résidence. « Ces éléments ne s’additionnent pas, ils se croisent et se renforcent », souligne l’étudiante.
Dès les premières années de leur formation, les étudiant.e.s en médecine de l’U d’O sont introduit.e.s à la médecine sociale, notamment à travers le cours « Société, individu et médecine », coordonné par la Dre Laura Muldoon.
Selon cette dernière, « ce cours vise à former des médecins capables de comprendre les contextes sociaux de leurs patient.e.s, et à travailler en équipe interprofessionnelle pour répondre aux besoins complexes du terrain ».
De ce fait, l’apprentissage médical comporte diagnostic et conscience des déterminants sociaux. Ce volet renforce la position d’acteur.ice de justice sociale qu’endosse les practicien.ne.s envers leurs patient.e.s lors des rencontres cliniques.
SHIP, la réponse à une pénurie grandissante
En janvier 2025, l’Association médicale canadienne (AMC) publie un rapport affirmant que le Canada connaît un déficit de 22 823 médecins de famille comparé aux besoins estimés. Le système de la santé fait face à une crise d’effectif qui ne fera que s’aggraver dans les dix années qui suivent.
Conscientes de cette urgence, les fondatrices de SHIP, ont fondé l’initiative pour soutenir les milieux cliniques ainsi que les étudiant.e.s à la recherche d’apprentissage et d’expérience. « Je pense que les étudiant.e.s, de première et deuxième années, passent la plupart de leur temps dans la salle de classe. Or, avoir des expériences cliniques tôt… c’est une démarche essentielle », témoigne Wisener.
Par conséquent, les membres de l’initiative sont entrés en contact avec différentes cliniques communautaires de la ville d’Ottawa afin de diversifier les efforts et répondre au plus grand nombre.
SHIP a fait la proposition suivante : « Comment les étudiant.e.s en médecine pourraient-ils combler vos manques ? » Cette approche a donné lieu à de nombreux partenariats avec des cliniques communautaires, notamment le Centre de santé communautaire du Centre-ville, le Centre de santé communautaire Carlington, le Centre des ressources de l’Est d’Ottawa, et l’Organisme de santé communautaire pour les personnes en situation d’itinérance (OICH).
Parmi les 50 étudiant.e.s des cohortes de première et deuxième années ayant postulé, 17 ont été sélectionné.e.s, en débutant par des séances de shadowing afin d’observer les dynamiques propres à chaque site.
Selon les besoins, ils.elles suivent ensuite des modules ou des entraînements encadrés, allant de la santé des nouveaux arrivant.e.s à la santé mentale. Au OICH, les participant.e.s assistent à des lectures et des séances d’entraînement hebdomadaires encadrées par le Dr Simon Hatcher.
Cette découverte des réalités diverses du terrain médical permet, selon la Dre Laura Muldoon, une relation gagnant.e.s-gagnant.e.s, où apprentissage et engagement communautaire se complètent.
Les retombées bénéfiques sur les participant.e.s
Étudiante en deuxième année de médecine, Angélique Cléroux témoigne d’une transformation profonde : « Les compétences et habiletés que j’ai acquises avec SHIP me sauront sans aucun doute très utiles dans ma pratique médicale, en prenant le temps de bien saisir ce que mes patient.e.s vivent et ont besoin dans leurs cas individuels. »
Inspirée par l’impact du programme, elle a choisi de prolonger son engagement au sein de l’équipe exécutive en tant que liaison communautaire et coordinatrice du développement des ressources.
À ce titre, elle contribue à la création de trousses éducatives, destinées à outiller les bénévoles et à informer les patient.e.s sur les services disponibles, consolidant ainsi le rôle de SHIP comme vecteur d’engagement durable et de transmission sociale.
L’expérience de Wisener illustre une autre facette des bienfaits de cette initiative là où, pour elle, les expériences médicales se doivent d’être sur mesure. Elle souligne que « beaucoup de l’apprentissage vient simplement du fait de parler avec les gens, d’entendre les défis qu’ils.elles rencontrent et de penser critiquement à la manière dont, moi, en tant qu’étudiante médicale, je peux aider cette personne. »
Saluée par la directrice de la médecine sociale aux Études médicales de premier cycle (EMPC), la Dre Laura Muldoon revient sur l’exploit qu’ont réalisé les étudiant.e.s : « Cette expérience n’aurait jamais vu le jour si les étudiant.e.s n’avaient pas pris l’initiative de répondre aux besoins de la communauté avec autant de sérieux et de compassion. »