Crédit visuel : Hidaya Tchassanti – Directrice artistique
Chronique rédigée par Mireille Bukasa – Cheffe du pupitre Actualité
« Je vous trouve bien courageuse de quitter votre famille pour vivre si loin de vos terres. » C’est ce que m’a dit Louise, que j’ai rencontrée pour la première fois en août 2017 à la maison d’accueil Mutchmore. Il n’y a pas mieux que le nom de cette maison d’accueil, qui signifie « beaucoup plus » en français, pour illustrer parfaitement ce que j’ai dû laisser derrière moi et les découvertes que j’ai faites en immigrant au Canada.
Ce n’est pas qu’un au revoir
Mes racines et mes débuts en journalisme proviennent de la République démocratique du Congo. Le 25 juin 2017, sur les ondes de la radio onusienne, j’ai informé mes auditeur.ice.s qu’il s’agissait de mon dernier journal. Plus percutante encore que les mots d’adieux de mes collègues qui résonnaient à l’antenne, la réaction des auditeur.ice.s de la Radio Okapi était touchante. Un message flottait sur l’écran de mon téléphone : « Tu ne peux partir sans demander notre avis ! » Ce message m’a fait prendre conscience de tout ce que j’abandonnais dans le but d’entamer une nouvelle vie.
Annoncer mon départ à mes proches n’a pas été facile. Comment partager à tout ce monde qui m’est cher que je ne serai plus en permanence à Kinshasa, non seulement pendant quelques jours, mais pour les années à venir ?
Et que dire de ma famille en pleurs ? « Ton père n’a pas dormi cette nuit, Mireille ! Il se remémore tous les beaux souvenirs que vous avez vécu ensemble et il ne cesse de te bénir dans sa prière, » m’a raconté ma mère au lendemain de l’annonce de mon départ. Je lui ai répondu : mais pourquoi papa parle comme si on ne se reverrait plus jamais ?
Hélas ! Il a eu raison de me faire ses adieux alors que j’attendais un simple au revoir, puisqu’il est décédé sans qu’on ait eu l’occasion de se revoir.
Allez, on embarque !
Après l’annonce de notre départ, nous avons organisé une série de fêtes d’au revoir avec la famille, les collègues et les ami.e.s. Sachez qu’une fête à Kinshasa, c’est un vrai festin, en particulier quand les hôtes sont conscient.e.s que l’on s’apprête à aller vivre hors du continent africain. Ces repas en famille me manquent énormément.
Le 17 juillet 2017, ma famille et moi avons atterris à Montréal. Notre première fois au Canada, mais pour y rester. Avec notre statut de résident.e.s permanent.e.s, nous avons payé pour un service d’accompagnement pendant une durée d’un mois, le temps de choisir une destination qui correspondait à nos besoins. Surtout pas une trop grande ville pour nos enfants en bas âge !
Appartement meublé et véhicule de l’agence à notre disposition, il s’agissait de vacances comme d’habitude pour Eden et Océane, nos enfants âgé.e.s de 7 et 4 ans. Je vous épargne donc leur réaction quand il.elle.s ont su que nous allions nous installer à Gatineau de manière permanente et entamer le processus d’inscription à l’école, qui commençait dans quelques semaines.
Le vide du nouveau départ
« Sommes-nous rendus pauvres ? » s’interrogeait mon fils. « Quel est ce monde où papa doit refaire non seulement ses études, mais aussi ses cours de conduite ? Pourquoi devons-nous prendre l’autobus ? Pouvons-nous ramener nos voitures restées à Kinshasa ? Et nos jouets ? Nous ne pourrons plus jouer avec nos cousins ? » Tant de questions, amplifiées par l’écho retentissant d’un appartement vide.
Nous avions besoin de ce vide pour s’assurer de prendre les bonnes décisions pour la suite, parce que oui, immigrer, c’est migrer. Il est ici question d’un processus de reformatage quasi complet dans toutes les sphères de la vie quotidienne.
Prenons par exemple l’alimentation. Les recettes congolaises empruntent petit à petit le chemin des espèces en voie de disparition dans ma cuisine : le coût et l’accessibilité ne votent pas du tout en leur faveur. La poutine n’envahira cependant pas ma salle à manger !
Mentionnons également l’accent québécois, qui se faufile sans que nous nous en rendions compte dans nos conversations, mais qui ne passe pas inaperçu aux oreilles de nos interlocuteur.ice.s resté.e.s d’où nous venons. Ces interlocuteur.ice.s qui sont d’ailleurs surpris.es d’apprendre que je retourne à l’école 18 ans après avoir obtenu mon baccalauréat.
« Le choix de retourner aux études comporte des conséquences pour soi et pour ses proches. Votre horaire change : en plus d’assister aux cours, il faut se réserver du temps de travail à la maison, faire face au stress des examens, continuer à prendre soin de ses enfants, faire du sport et garder contact avec ses proches. Ouf ! » Ces propos de Caroline Levasseur, chargée de cours à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, résument bien ma pensée et ma situation.
Il est vrai que les règles de cette nouvelle vie ne sont pas toujours claires au début du processus d’immigration, mais à mon avis, il n’y a pas meilleure voie d’intégration dans une nouvelle société que l’apprentissage.
Rencontres et découvertes
En dépit de ces ajustements, l’immigration possède tout de même plusieurs côtés positifs. Elle trouve sa beauté dans les rencontres qu’elle permet entre des gens issus des quatre coins du monde, chacun avec une histoire à partager.
En effet, l’immigration représente une belle occasion de découvrir des cultures variées. Moi qui, par exemple, étais persuadée que le café se consomme essentiellement pour ses propriétés stimulantes, viens de découvrir lors d’un échange avec mes collègues de La Rotonde que dans certaines cultures, le café se consomme pour son goût.
Repartir à zéro est indéniablement une décision difficile à prendre. Cependant, pour moi, l’immigration représente un processus de régénération qui en vaut véritablement la peine. Sinon, vous ne seriez pas en train de me lire en ce moment !