Inscrire un terme

Retour
Opinions

Le son du silence : Lever le voile sur l’absence de l’intersectionnalité dans les discussions sur l’absence des femmes en politique

Actualités
20 mars 2017

Opinion

Par  Jasmine van Schouwen – Contributrice

Il y a deux semaines, j’ai eu l’honneur de prendre la place de ma députée fédérale dans le cadre du colloque Héritières du Suffrage qui a rassemblé 338 femmes, sélectionnées pour représenter toutes les circonscriptions fédérales canadiennes à un colloque à Ottawa organisé par À Voix Égales. Jadis passionnée par l’idée de me lancer en politique, après quatre années d’études universitaires, j’avais abandonné ce rêve au profit de projets de carrière moins haut profil. Plusieurs raisons ont motivé ce remappage de mon avenir, cependant, je dois admettre que mon identité, mes capacités et ma sexualité n’ont jamais compté parmi les facteurs que j’ai eu à considérer. Assise dans une salle de l’hôtel Les Suites très tard le soir du 9 mars, entourée d’une trentaine de femmes diverses, brillantes et passionnées issues des quatre coins du pays, j’ai compris à quel point j’étais privilégiée.

Bien que nous étions toutes des déléguées du colloque, nous n’étions pas rassemblées dans le cadre de la programmation des Héritières du Suffrage : nous nous étions rassemblées de notre initiative pour aborder la problématique d’un certain silence dans la programmation. Certes, l’évènement avait rassemblé des femmes très diverses, mais il avait également fait passer sous silence une longue liste d’obstacles à l’entrée des femmes en politique. « Nous avons beaucoup parlé de féminisme, sans discuter du sexisme, du misogynisme ou du biais sexuel qui affectent les femmes LGBTQ+, autochtones, atteintes de handicaps », a soulevé Angela Zhu, la déléguée pour Toronto Centre. « En analysant ces angles de l’oppression en isolation, sans considérer comment elles entrent en contact, nous risquons de ne pas vraiment développer une compréhension réelle de l’enjeu. »  En effet, bien que nous avions eu d’amples occasions pour discuter du défi que représente le fait d’avoir des enfants tout en entamant une carrière politique, du fait que les femmes ne se sentent souvent pas assez qualifiées pour se présenter, et des « trolls » qui passent leur temps à attaquer l’apparence des candidates féminines sur les médias sociaux, nous n’avons pas discuté de la race, des capacités, de la sexualité ou même de la problématique du harcèlement et de la violence sexuelle sur la colline du Parlement, et ce, bien que cette dernière ait poussé un nombre des déléguées à quitter le milieu politique pour fuir leurs agresseurs.

Sexualité, race, capacités… Quelques avenues à explorer

D’abord, bien qu’il n’y ait aucune femme ouvertement lesbienne ou ouvertement transgenre en politique fédérale, nous n’avons pas non plus abordé les défis auxquels font face les femmes LGBTQ+, qui, selon Carly Pettinger, déléguée pour Kitchener Centre, sont souvent encouragées à dissimuler leur sexualité pour être mieux acceptées par le public : « Je suis de genre et de sexualité fluides, mais je n’ai longtemps pas pu être moi-même en public. » Selon Carly, ce serait non seulement le stigmate, mais également la peur du harcèlement qui découragent les femmes LGBTQ+ d’entamer une carrière politique : « Nous subissons déjà tellement d’abus à cause de notre sexualité. On se dit : pourquoi se soumettre à davantage d’injures et de harcèlement en poursuivant une carrière publique en politique? »

Ensuite, bien que les femmes racisées demeurent minoritaires sur la colline du Parlement, la race et l’ethnie étaient aussi absentes des conversations au cours du colloque « Je peux compter sur une main le nombre de jeunes femmes racisées qui sont très actives dans le domaine de la stratégie politique », raconte Zhu, qui est également l’une des plus jeunes cheffes de campagne du pays. En effet, selon Zhu les femmes racisées sont sujettes à des formes de harcèlement distinctes de celles auxquelles sont sujettes les femmes blanches. Elle raconte avoir fait l’objet de commentaires désobligeants de nature sexuelle de la part d’un politicien au cours de son travail comme directrice de campagne alors qu’elle accompagnait un candidat politique à un débat. « Il y a beaucoup d’exotification sexuelle des jeunes femmes asiatiques », explique Zhu. « Donc à ses yeux, j’étais un objet pour attirer les gens à mon candidat. Il était inconcevable que j’étais là parce que j’étais stratège, inconcevable qu’une jeune femme asiatique soit choisie par un candidat pour son intelligence. »

Enfin, les défis des femmes atteintes de handicaps, et surtout les handicaps invisibles, sont aussi passés sous silence. Plusieurs déléguées atteintes de handicaps déclarent qu’elles n’eurent même pas accès à des formes adéquates d’accommodement dans le contexte du colloque. Selon Tamarra Wallace, déléguée de Longueuil – Saint Hubert, « les femmes atteintes de handicaps sont doublement vulnérables : elles font face à des défis en termes d’accommodations elles sont malmenées parce qu’on pense qu’elles sont faibles. »

Et l’avenir de l’intersectionnalité?

Le colloque Héritières du Suffrage a été un succès à maints égards : il a permis d’établir que la participation politique des femmes est un enjeu sérieux et pressant, il a permis à des femmes de se faire entendre et, surtout, il a permis de créer entre 338 femmes étrangères les unes aux autres, un lien puissant de solidarité et de respect. Mais l’évènement reflète, malgré les meilleures intentions des organisatrices, la réalité politique. Tout comme l’exprime Angela Zhu : « Nous avons vu qu’il y a eu beaucoup de progrès pour les femmes en politique dans les 100 ans après [qu’elles] ont obtenu le droit de vote. Mais tout comme les femmes asiatiques ont dû attendre 31 ans, et les femmes autochtones 51 ans, pour obtenir ce même droit, il me semble que nous faisons face à un même genre de retard pour l’inclusion significative des femmes non blanches dans l’arène politique. » Selon Zhu, Wallace et Pettinger, pour changer cette réalité les alliées des femmes marginalisées doivent créer des espaces pour discuter de l’intersectionnalité. Il faut en parler activement, ouvertement et publiquement.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire