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Opinions

Dans ma tête en tant que personne noire à La Rotonde

Marina Toure
4 mars 2024

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice Artistique

Chronique rédigée par Marina Touré — Co-rédactrice en cheffe

Quoi de mieux pour conclure le Mois de l’histoire des Noir.e.s et pour débuter le Mois de l’Histoire des femmes, que de discuter de mon expérience en tant que femme noire à La Rotonde. Après environ deux ans de vécu, deux postes différents et deux équipes différentes, j’ai décidé de présenter mes constats et surtout l’impact de mon identité sur mon aventure au journal.

Lorsque je suis rentrée à La Rotonde en septembre 2022, il ne m’a pas traversé l’esprit de chercher de la représentation, c’est-à-dire des exemples de journalistes noir.e.s présent.e.s avant moi au journal. D’une part, je ne pensais pas trouver grand-chose directement lié à mon vécu en tant que femme noire, africaine, francophone et étudiante internationale travaillant dans un journal étudiant. D’autre part, j’ai rapidement compris que le concept de la neutralité journalistique portée par le journal semblait exclure ce qui pouvait nous différencier, hors de notre identité francophone. Cette notion particulière a eu un impact sur mon travail et mes choix en tant que cheffe de la section actualités et ensuite de co-rédactrice en cheffe.

À la croisée de la neutralité et de l’authenticité

J’ai choisi de postuler pour le poste de cheffe de la section Actualités, car je souhaitais donner de la visibilité aux sujets qui me touchaient moi et ma communauté. Les personnes noires souffrent encore de nombreux préjudices, stéréotypes et fausses informations qui sont portés par les médias. Nous sommes encore vues comme un monolithe, et je voulais, dans ma section, pouvoir présenter la diversité qui existe dans les communautés noires et que l’on ne retrouve pas assez dans les médias.

Cependant, la neutralité journalistique de mon poste signifiait que je ne pouvais pas paraître biaisée, à commencer par le choix des sujets que je mettais dans mes listes. J’avais toujours peur de mettre « trop » de sujets qui portaient sur les personnes noires et de couleur, et que cela ferait de moi une personne moins neutre. Je me suis aussi rendu compte de ce que cela entendait de me retrouver dans un environnement mené par des personnes blanches, mais aussi plus généralement, dans le monde du journalisme francophone.

En parallèle à ces sentiments, il y avait aussi ma croyance que le travail que je faisais était pour moi, mais aussi pour ma communauté. Je me suis donc retrouvée à me questionner sur mon travail : « Comment rester neutre tout en faisant assez pour les personnes noires et de couleur ? » Ce questionnement a d’autant plus eu un impact sur mon expérience lors du premier Mois de l’histoire des Noir.e.s que j’ai passé au journal. Ce mois était l’occasion de mettre autant de sujets touchant les personnes noires sur mes listes que possible, sans avoir le sentiment que je devais me justifier, ou être aussi neutre qu’à l’habitude. Malheureusement, je me suis retrouvée, avec les autres journalistes de couleur, à pratiquement écrire sur tous les sujets qui touchaient les communautés noires. Cette période n’avait pas été pour les autres membres de l’équipe une occasion de faire un véritable apprentissage. Ils.elles avaient plutôt choisi de laisser ce travail aux personnes qu’ils.elles jugeaient plus aptes de le faire.

Lorsque le mois s’est clôturé, je me suis rendu compte qu’il existait depuis 2020 de nombreux biais inconscients. Ceux-ci donnaient l’impression que les personnes de couleur devaient être les seules responsables de couvrir des sujets qui les impactent. Pourtant, la véritable inclusion, c’est aussi le travail d’apprentissage des réalités de chacun.e. Lorsque j’ai décidé de poursuivre mon travail au journal, l’une de mes premières ambitions était de changer ma propre expérience, mais aussi celle de toutes les autres personnes noires et de couleur qui viendraient travailler à La Rotonde.

Se définir dans un nouveau poste

Dans mon rôle de co-rédactrice en cheffe, je me suis retrouvée dès le début prise avec le même dilemme que celui que j’avais quand j’étais cheffe, mais celui-ci s’est complexifié. Les co-rédacteur.rice.s en chef.fe ont de nombreuses responsabilités au sein du journal, dont la détermination de la ligne éditoriale, mais aussi l’établissement de bonnes bases pour assurer un bon fonctionnement.

Ma volonté de changer les choses a commencé à travers la construction d’une équipe qui représentait la diversité de francophones et qui pourrait amener avec elle des vécus différents. La position dans laquelle je suis n’a pas vraiment changé cette impression que je dois dissocier mes identités, bien que je ressente moins cette pression que durant la dernière année. Je me devais de mettre en place un environnement différent au journal où je me sentirais moins seule. Cependant, devenir une représentante officielle du journal, et apparaître et parler à ce nom a fait en sorte, en raison de mon identité, que je me sente comme une représentante de la diversité et de l’inclusion à tout moment.

Malgré le fait que je fais maintenant partie de ceux.celles qui donnent la direction au journal, je me demande encore comment trouver l’équilibre entre mon identité et ce que je voudrais apporter dans mon travail. J’en sors aussi avec la réalisation que faire partie du système, et parfois le contrôler, ne change pas les difficultés lorsqu’on essaye de le changer. C’est une observation qui m’a fait réaliser que mon expérience au journal a été conduite par cette volonté de faire des changements. Contrairement à l’année passée, je suis dans un espace où je ne suis plus la seule à vouloir construire un environnement inclusif pour tous.toutes, mais je me questionne encore sur l’impact qu’aura mon travail une fois terminé.

Quel est mon legs ?

Le deuxième Mois de l’histoire des Noir.e.s a débuté avec les mêmes ambitions que l’année précédente. Il s’est soldé par une réalisation qu’il me restait encore un certain travail à faire pour véritablement pouvoir exister de manière complète au travail. Je me suis rendu compte durant ce mois de la difficulté de construire un environnement de travail qui inclut ce que je souhaiterais pour me sentir épanouie en tant que personne noire.

Cette chronique est l’un de mes premiers efforts conscients de concilier les multiples facettes de mon identité dans cet espace qu’est le journal. J’aimerais que celle-ci vienne combler le vide en ce qui concerne la représentation pour les personnes noires et francophones qui travaillent dans les journaux étudiants. Ce que j’ai compris, et ce que j’aimerais laisser pour toutes les personnes qui me succéderont, est que d’exister dans un espace où pendant longtemps, il n’y avait personne qui me ressemblait, est assez pour s’honorer et honorer sa communauté.

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