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À la défense des personnes racisées dans la marine : entrevue avec Rania Mesri

Marina Toure
30 novembre 2022

Crédit visuel : Rania Mesri – Courtoisie 

Entrevue réalisée par Marina Touré — Cheffe de pupitre Actualités

Rania Mesri a remporté, le 5 novembre dernier, le prix de la meilleure cadette du Québec. Du haut de ses 17 ans, elle occupe le grade de premier maître de première classe, soit le plus haut grade qu’on puisse atteindre dans les cadets. En plus du prestige de ce prix, il lui tient particulièrement à cœur, car elle est la première femme voilée à le remporter.

La Rotonde (LR) : Pouvez-vous nous en dire un plus sur le programme et ce qui vous y a amené ?

Rania Mesri (RM) : Le programme a pour but de former de bon.ne.s citoyen.ne.s canadien.ne.s. Nous faisons des entraînements une fois par semaine, qui consistent en des exercices militaires. Nous avons aussi, une fois par mois, des entraînements nautiques, où nous apprenons à entretenir et à naviguer sur des embarcations nautiques. Ma voisine était dans le programme de la marine canadienne et c’est ce qui m’a vraiment donné envie de rejoindre le programme. J’ai rejoint la ligue navale à 11 ans, un programme optionnel que nous pouvons rejoindre avant les cadets, et j’ai adoré! Après cela, j’ai continué avec les cadets de la marine royale à 12 ans.

J’ai voulu atteindre une position où je pourrais faire connaître le programme pour que toutes les personnes qui sont des minorités visibles sachent qu’elles n’y seraient pas marginalisées à cause de leur identité.

LR : Quelles étaient vos craintes avant de rejoindre les cadets ?

RM : J’ai décidé de porter le voile en quatrième année, ma mère le portait aussi et sa force et sa détermination m’ont inspiré. Ce choix n’a pas été facile, car les autres élèves ne me voyaient plus comme Rania, mais plutôt comme «la voilée». C’était assez stigmatisant et c’était une peur que j’avais aussi en rejoignant le programme des cadets. Or, cela n’est pas du tout arrivé. Dès le début, j’ai été traitée comme une cadette, comme les autres. Cela m’a touché et c’est ce qui m’a poussé à continuer jusqu’à maintenant.

LR : Quelles étaient les étapes du processus de sélection des candidat.e.s pour le prix de meilleur cadet ?

RM : Au départ, chaque succursale dans le Québec affiliée à un ordre de cadet envoie les dossiers des candidat.e.s. Ils contiennent des lettres de recommandation ainsi que des lettres de motivation qui expliquent pourquoi nous souhaitons participer à la compétition. Pour ma part, j’ai commencé le processus aux mois de mai-juin et j’ai reçu des nouvelles en octobre. Après avoir appris que j’étais sélectionnée, je me suis ensuite rendue à Sherbrooke lors de la première semaine de novembre. La dernière épreuve consistait en une entrevue avec des personnes haut gradées des forces armées canadiennes, ainsi qu’une démonstration avec des cadets plus jeunes, présentée à une centaine de personnes le lendemain.

LR : Vous êtes une femme voilée et racisée dans un environnement qui, à première vue, peut ne pas toujours être accueillant. Avez-vous rencontré des difficultés liées à votre identité ?

RM : Quand j’ai rejoint le programme, il n’y avait aucune personne voilée ni aucune personne racisée autour de moi. C’est inévitable de rencontrer des personnes fermées d’esprit, qui choisissent de garder leur biais. C’est dommage, mais c’est la vérité, dire le contraire serait utopique. Mais c’est zéro tolérance pour tout type de discrimination dans le programme.

C’est aussi quelque chose que j’essaye de changer grâce à ma position. J’ai discuté avec la commandante des cadets du Canada, afin qu’ils incluent dans la liste de matériel pour les camps d’été des instructions pour les personnes voilées, afin qu’elles sachent qu’il est nécessaire d’amener des habits longues manches et des collants. L’uniforme procuré par l’administration est un short et un chandail à manches courtes. J’utilise mon identité et ma voix pour ceux.celles qui n’ont pas le courage de parler.

LR : Pourquoi ce prix vous tient-il tant à cœur ?

RM : En tant que femme voilée musulmane et en tant qu’Arabe, je me suis donné comme mandat de m’affirmer et de parler pour toutes les personnes racisées qui ne peuvent pas s’exprimer. Ce trophée est l’occasion de montrer que tout le monde a sa place chez les cadets et que tout le monde a une voix qui compte. Je ne peux pas dire que je ne ressens jamais d’angoisse par rapport à mon identité : j’ai toujours peur de faire face à des discriminations. Mais cette peur est aussi une force qui me permet de montrer à tout le monde de quoi je suis capable. Donc oui, parfois ce rôle de symbole est un poids, mais c’est un poids que je choisis d’utiliser de façon positive.

LR : Comment voyez-vous votre futur, que ce soit dans le programme de la marine royale ou ailleurs ?

RM : Je suis passionnée par les droits de la personne, je veux définitivement m’engager dans ce domaine. J’ai la détermination de rejoindre les forces armées en tant qu’avocate martiale, mais mon but ultime est d’être activiste des droits humains.

Hors du programme des cadets, j’ai l’intention de me battre contre les injustices, par exemple la Loi 21 qui vient bafouer et brimer des droits qui sont censés être inaliénables en vertu de la Charte des droits de l’homme. Je veux me servir de mes facultés d’éloquence pour changer les choses, dans tous les domaines possibles.

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