Inscrire un terme

Retour
Opinions

Absurdité, avarice et autoritarisme au menu pour la Coupe du monde au Qatar

Dawson Couture
27 novembre 2022

Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur artistique

Chronique rédigée par Dawson Couture – Chef du pupitre Sports et bien-être

La Coupe du monde au Qatar, par où commencer ? Ce concours visionné par 3,5 milliards de spectateur.ice.s est cette année entaché par des allégations de corruption, de violation des droits humains et de destruction environnementale. Si les Canadien.ne.s se préparent à voir leur équipe sur la plus grande scène du monde pour la première fois en 36 ans, ils.elles auront à affronter le dilemme de supporter l’insupportable.

Comment ça, la Coupe du monde au Qatar ?

La candidature du Qatar était d’une absurdité frappante en 2010. En raison des températures hallucinantes dans la Péninsule arabique, on a proposé de climatiser des stades extérieurs et de repousser la compétition à l’hiver. Le pays avait la tâche de quasiment reconstruire Doha, la capitale, pour accueillir le monde dans des stades et des logements encore à être construits. Son bilan en matière de droits humains aurait également dû être suffisant pour réévaluer la décision.

La réalité est que l’argent parle, surtout dans une organisation sans cran comme la Fédération internationale de football association (FIFA). Le Qatar a historiquement bénéficié de son accès à d’immenses réserves de pétrole et de gaz naturel. Afin de diversifier ses investissements et « sportwash » son image internationale, le pays aurait soudoyé des membres du comité exécutif de la FIFA pour qu’ils appuient sa candidature en 2010.

Parmi les 24 membres du comité, la plupart ont été suspendus, poursuivis par la justice, ou simplement soupçonnés de corruption. Le vice-président de la FIFA, Michel Platini, aurait été le vote décisif. Suite à sa rencontre avec le président français, ainsi qu’avec l’héritier du Qatar en 2010, comme par hasard, le pays arabe a acheté le Paris Saint-Germain ainsi que des avions de combat pour un montant évalué à 6,3 milliards de dollars.

Bafouer les droits de tous et toutes

Afin de construire l’infrastructure nécessaire pour accueillir cette Coupe du monde, le Qatar a eu recours à des milliers de migrants africains et asiatiques. Une fois arrivés, ces derniers avaient peu de chances d’échapper aux mauvaises conditions de travail : contrats défavorables, dettes des frais de recrutement, confiscation de leurs passeports, retenues sur leur salaire, etc.

Le travail forcé sous une chaleur étouffante est certainement responsable pour une grande partie des 6 500 décès depuis l’attribution de la Coupe du monde au Qatar. Les familles des victimes ont été informées que ces dernières avaient succombé de « causes naturelles » ou en raison d’« insuffisances cardiaques », les privant d’une explication légitime pour le retour de leur mari, fils ou père dans une boîte en bois. 

Les membres de la communauté LGBTQ2+ encourent également le risque d’être arrêté.e.s, voire condamnées à la peine de mort, sous la loi de la charia. Human Rights Watch a documenté des arrestations arbitraires et des abus de Qatarien.ne.s LGBTQ2+, certain.e.s ayant même été forcé.e.s de suivre des séances de thérapie de conversion. Un ambassadeur officiel du tournoi a d’ailleurs décrit l’homosexualité comme une « déviance mentale » lors d’une entrevue télévisée en Allemagne.

Si cela n’était pas assez, le bilan environnemental du pays et de la compétition est si mauvais que c’en est risible. Les représentants du Qatar ont promis que leur tournoi serait le « premier Mondial neutre en carbone ». La FIFA estime cependant que l’événement sera responsable du relâchement de plus de 3,63 millions de tonnes de dioxyde de carbone, soit le double des éditions précédentes, en Russie et au Brésil.

À chaque étape, le Qatar s’est retrouvé progressivement isolé dans sa défense de la Coupe du monde, avec l’exception de la FIFA. Dans une diatribe prononcée la veille du match d’ouverture, le président de l’organisation sportive a réprimandé les détracteur.ice.s pour leur eurocentrisme. Le président de la FIFA a défendu la politique d’immigration du Qatar, un discours clairement politique, en la contrastant à celles des pays d’Europe. Il faut dire qu’il n’a pas tort de dénoncer l’hypocrisie et la xénophobie européenne. Un tel discours, cependant, sert clairement à protéger l’image du Qatar et les poches des investisseur.se.s.

L’indignation et plus à l’agenda

Doha ressemble aujourd’hui à une réalité dystopique. On soupçonne que l’émirat aurait même payé pour des faux spectateur.ice.s. La dystopie se passe cependant à une échelle planétaire, alors que nous voyons le sport perdre peu à peu ce qui a fait sa grandeur, au profit de l’avarice. Il ne faut pas oublier que les attributions de toutes les Coupes du monde depuis 1998, à l’exception de celle de 2002, ont fait l’objet d’enquêtes judiciaires pour versement de pots-de-vin. Lorsque le sport devient uniquement une opportunité économique, le tournoi commence à perdre son sens. 

Il est quasiment impossible de suivre le tournoi cette année sans prendre conscience des réalités qui l’ont rendu possible. Dans les premières minutes de jeu du match d’ouverture, des milliers de téléspectateur.ice.s, via Twitter, ont automatiquement pensé.e.s à la corruption pour expliquer l’annulation par l’arbitre d’un but hors-jeu contre le Qatar.

À l’occasion de la Coupe du monde 2026, la FIFA prévoit un remodelage complet du format du tournoi afin d’inclure plus d’équipes, plus de matchs décisifs, et donc faire plus de profits. Si l’alarme semble prématurée, c’est parce que cette tendance se manifeste simultanément à travers le monde sportif, modifiant fondamentalement notre relation avec le sport.

Les médias et les acteur.ice.s concerné.e.s se sont prononcé.e.s trop tardivement pour avoir une influence décisive sur cette Coupe du monde. Certain.e.s analystes suggèrent toutefois que les téléspectateur.ice.s ne sont pas impuissant.e.s. Comme nous l’a démontré la vague de manifestations en avril dernier contre la nouvelle « Super League », une compétition qui aurait garanti la permanence de certains clubs de soccer sur la scène européenne, nous ne sommes pas obligé.e.s d’accepter la réalité que nous offrent les multimilliardaires.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire