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Arts et culture

Accepter et affirmer son identité en tant qu’artiste

Culture
22 janvier 2021

Crédit visuel : Nancy Mcl – Photographe

Entrevue réalisée par Gaëlle Kanyeba – Cheffe du pupitre Arts et Culture

Artiste transgenre et non-binaire, Lionel Lehouillier est une figure montante de la scène artistique d’Ottawa-Gatineau. Iel se livre sur son coming out, la place de son identité dans sa carrière, et son point de vue sur l’avancée des droits et libertés de sa communauté au Canada. 

La Rotonde (LR) : Quand est-ce que vous avez fait votre coming out

Lionel Lehouillier (LL) : Publiquement, je l’ai fait en septembre 2018, même si j’en avais déjà parlé à certain.e.s de mes proches. J’y pensais déjà depuis deux ans, mais je ne savais pas trop comment m’y prendre […]. En fait, ça a été un très beau moment pour moi. J’ai sous-estimé mon entourage, qui m’a témoigné beaucoup d’amour et de soutien, et m’a permis de me sentir encore mieux dans ma peau.

LR : Est-ce que cela a affecté votre place dans le monde du théâtre, qui a souvent la réputation d’être fermé et sélectif ?  

LL : Premièrement, j’ai eu la chance d’entrer dans le théâtre avant de faire mon coming out. De plus, disons que ça a amélioré ma carrière. Tout d’un coup, j’étais plus authentique […]. Il faut savoir qu’avant […], j’avais beaucoup de colère en moi. Mais quand tu vas bien, tu es plus agréable.

Et puis, étant une personne transmasculine, j’avais plus d’opportunités. Je ne veux pas dire que c’est plus facile pour les garçons, mais disons que le milieu théâtral est beaucoup plus compétitif quand tu es une femme. Il y a beaucoup de recherches de diversité dans le monde culturel, donc en m’identifiant du côté masculin du genre, mon casting a changé, et cela a boosté ma carrière.

LR : J’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup de personnes trans ou non-binaires sur les scènes de la région. Peut-on exprimer son identité sans compromettre sa carrière selon vous ?  

LL : Je pense que oui. Je ne dis pas que c’est facile, mais sincèrement, je pense que j’ai été chanceux. Partout où je suis allé, on m’a toujours accueilli avec respect. Néanmoins, ça m’est arrivé qu’une personne me fasse comprendre que je ne puisse pas jouer sur sa scène, car je suis une personne trans. Mais ça ne m’est arrivé qu’une ou deux fois.

Je pense aussi qu’en ce moment, les bailleur.euse.s de fonds ont conscience de ce manque de diversité, et ils.elles insistent pour qu’il y ait plus de personnes en situation minoritaire. Sinon, effectivement, je pense que ça aurait été un peu plus difficile pour moi.

LR : Vous êtes un visage de référence pour la communauté trans de la région. Considérez-vous que c’est pesant de devenir, du jour au lendemain, porte-parole de toute une communauté ? 

LL : Oui je l’avoue, c’est difficile. Dans la communauté théâtrale francophone d’Ottawa, je pense que les gens qui sont ouvertement trans, ne s’affichent pas. Je pense [d’ailleurs] qu’il n’y a que moi, à moins que je me trompe. Du coup, on m’approche souvent pour avoir mon avis. Je deviens une espèce de représentant.e.

Des fois, on se rapproche de moi car on veut que je dise si ce qu’une personne fait est bien, ou si un certain concept est acceptable pour les personnes trans. Ma réponse, c’est souvent que je suis une personne trans, mais que je ne représente pas toute la communauté. À mes yeux, ça peut me paraître bien, mais ne te fie pas seulement à ma parole.

C’est beaucoup de poids sur mes épaules. Mais en même temps, je trouve ça vraiment important qu’on pose ces questions à des personnes trans, et non à des personnes cisgenres. J’aime mieux que l’on fasse ça, plutôt que l’on ne fasse rien du tout.

LR : Le Canada est l’un des pays où les lois concernant les communautés LGBTQ+ sont les plus avancées selon plusieurs rapports. Néanmoins, trouvez-vous qu’il y ait suffisamment d’outils d’éducation sur la sensibilisation non-binaire et trans ?

LL : Non, je ne pense pas que ce soit suffisant ou adéquat, même si c’est mieux qu’ailleurs. Il y a toujours une espèce de crainte vis-à-vis des personnes trans comme moi qui sont transmasculines. Ils.Elles disent qu’on est en train de voler des filles, par exemple. Parce qu’apparemment, il y a plein des filles qui décident de devenir trans puis réalisent plus tard qu’en fait, elles ne le voulaient pas, et ça leur laisse des dommages irréparables. Ils.Elles disent que nous sommes une mode. Pourtant, qu’est-ce qu’on gagnerait à aller influencer les filles à devenir trans ? C’est très nocif ce qui se passe actuellement.

C’est un peu comme ce qui s’est passé il y a quelques années, quand la communauté gay a commencé à avoir plus de droits et à être mise de l’avant. Il y avait beaucoup d’homophobes tacites, c’est-à-dire [dans une optique de] « tant qu’on ne me dérange pas, je m’en fous un peu ». Mais dès que les homosexuels ont eu le droit d’adopter les enfants, ça a commencé à créer beaucoup de colère.

Je pense que c’est ce qui se passe actuellement avec les personnes trans. Depuis qu’on encourage les médecins à utiliser un consentement éclairé des personnes qui se disent trans, il y a beaucoup de colère chez les parents des adolescent.e.s. Tout à coup, on leur dit qu’ils.elles n’ont plus le pouvoir sur leur enfant. Et oui, si il.elle veut faire sa transition, tu dois l’accepter comme étant son droit et son choix.

Il y a encore pas mal de choses à revoir, comme l’écriture dans la langue française qui exclut les gens non-binaires, ou la précarité des personnes trans en situation d’itinérance ou prostitué.e.s. On se rend compte que ces gens-là ont du mal à aller dans les refuges, car ils.elles sont encore très genré.e.s. Il ne s’agit pas d’une situation où « on ne veut pas vous aider », c’est juste que l’on n’y avait pas pensé, et on ne sait pas comment régler la situation actuelle.

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