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Opinions

Décriminalisons, légalisons et taxons les drogues

Camille Cottais
30 juillet 2022

Crédit visuel : Pexels 

Chronique rédigée par Camille Cottais – Journaliste

De plus en plus de militant.e.s, d’intellectuel.le.s et de politicien.ne.s, s’opposent aux approches répressives condamnant la possession et l’usage de drogues dures. La criminalisation est jugée coûteuse, inefficace et contre-productive. Certain.e.s réclament ainsi une décriminalisation, voire une légalisation, non plus seulement du cannabis, mais également des autres substances.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) et son leader Jagmeet Singh sont par exemple en faveur de la décriminalisation de toutes les drogues si celles-ci sont destinées à un usage personnel. Cette position est considérée comme une potentielle solution face à la crise des opioïdes, qui rien qu’en 2021 a tué plus de 7500 personnes au Canada, sans compter le nombre de décès liés au trafic de drogues ou de surdoses avec d’autres substances.

La Colombie-Britannique a fait un pas dans cette direction en demandant une exemption fédérale pour décriminaliser, à partir du 31 janvier 2023, la possession de petites quantités de certaines drogues. En juin dernier, le NPD avait déposé un projet de loi demandant la mise en place d’une politique similaire au niveau fédéral, mais cela avait été rejeté à la Chambre des Communes.

Si ces mesures peuvent sembler contre-intuitives, la décriminalisation et la légalisation s’avèrent efficaces pour lutter contre la stigmatisation, limiter le nombre de surdoses ou encore inciter les toxicomanes à aller chercher des soins, le tout sans augmentation significative de la consommation.

Échec des politiques de prohibition

Nous ne pouvons que constater l’inefficacité des politiques de criminalisation et de prohibition actuelles. L’illégalité des drogues et l’instauration de sanctions plus sévères dans un but de dissuasion n’entraînent pas une diminution de la consommation. Elles incitent plutôt les usager.e.s à se tourner vers le marché noir et adopter des habitudes de consommation clandestines et plus dangereuses.

La criminalisation des drogues stigmatise les toxicomanes, ceci les poussant à cacher leur consommation et leur rendant ainsi difficile l’accès aux services d’aide. La décriminalisation permettrait de mieux traiter les dépendances des usager.e.s de drogue. En outre, ces dernier.e.s sont susceptibles d’avoir un dossier criminel qui compliquera fortement leur accès au logement ou à un travail.

Criminaliser la consommation de drogue revient à criminaliser des personnes dépendantes plutôt que de les aider, à punir plutôt que de soigner. La toxicomanie est un problème de santé mentale, et non un délit ou un crime. Criminaliser la possession simple de drogue, soit apporter une réponse morale à un problème de santé publique, est ainsi absurde et discriminatoire.

La « guerre aux drogues » (war on drugs), déclarée par le gouvernement américain dans les années 1970, fut un échec retentissant. Coûtant des milliards de dollars et nourrissant la violence des trafics, elle a amplifié le problème plutôt que de le solutionner.

Alternatives : décriminalisation ou légalisation ?

La décriminalisation signifie que la possession et la consommation de drogues ne sont plus considérées comme des crimes, mais peuvent toujours être pénalisées, par exemple par une amende ou un avertissement plutôt qu’une peine de prison. Les usager.e.s doivent cependant toujours s’approvisionner sur le marché illégal. La légalisation va plus loin, puisque la consommation, et même parfois l’offre, sont légalisées : la substance peut ainsi être mise sous le contrôle de l’État, comme c’est le cas au Canada pour le tabac, l’alcool et le cannabis.

La légalisation du cannabis au Canada a créé un environnement sécuritaire et régulé de production, de distribution et de consommation, permettant une diversification des produits et surtout un contrôle de leur qualité. Ce modèle pourrait être appliqué à d’autres substances, mais doit s’accompagner d’autres mesures, comme des programmes de prévention et de traitement, ou le développement de sites d’injection.

En 2001, le Portugal est devenu le premier pays à décriminaliser toutes les drogues tout en réinvestissant les fonds alloués à la répression dans la prévention. Cela a permis une baisse de la consommation chez les jeunes et du nombre de décès liés aux drogues, une réduction des trafics et du taux d’infection au VIH des usager.e.s de drogue et une multiplication par deux du nombre de personnes en traitement pour addiction. Le Portugal est ainsi passé du plus haut taux de mortalité par surdose en Europe à celui le plus bas.

Plusieurs expert.e.s soulignent que la décriminalisation et la légalisation pourraient atténuer les effets de  la crise des opioïdes, puisque c’est en raison de la prohibition et du non-encadrement de l’héroïne que sont nés des produits facilement accessibles comme le fentanyl. La décriminalisation et la légalisation permettent de réduire significativement la stigmatisation des usager.e.s et les risques, notamment de surdoses.

Plusieurs jugent que la décriminalisation n’irait pas assez loin et aurait des effets pervers comme la distribution de contraventions à des itinérant.e.s : elle serait donc un premier pas vers la légalisation. Légalisation ne signifie pas nécessairement promotion ou banalisation : l’argument n’est pas de légaliser les drogues, car elles sont inoffensives, mais plutôt que la légalisation serait plus productive que la prohibition.

Source de revenu pour l’État 

Un argument économique s’impose : la criminalisation des drogues coûte cher à l’État et donc aux contribuables. Aux États-Unis, 40 milliards de dollars sont utilisés chaque année pour lutter contre la drogue. D’après l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime, le trafic de drogue génère 250 milliards de dollars américains par an dans le monde. Or, cet argent n’est pas taxé et ne contribue donc pas à financer les systèmes sociaux. Il a seulement pour conséquence d’enrichir les trafiquants.

À l’inverse, la légalisation des drogues créerait énormément d’emplois et permettrait de soulager nos prisons surpeuplées, en libérant jusqu’à un tiers des détenu.e.s. De plus, elle permettrait d’économiser des milliards de dollars et même, si un système de vente légale est mis en place, d’en rapporter. Depuis la légalisation du cannabis, le PIB canadien s’est vu dopé de plus de 43 milliards de dollars, selon un rapport corédigé par la Société ontarienne du cannabis et Deloitte Canada.

Les habitudes de consommation des drogues changent avec le temps et les moyens d’y faire face doivent, eux-aussi, évoluer. Il est impossible d’éliminer les substances psychoactives, qui font partie de la nature humaine. Il est possible en revanche d’en encadrer l’usage afin de limiter les marchés illicites et les risques de santé publique qui y sont associés.

 

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