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Des avis partagés quant au nouveau mode d’enseignement bimodal

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24 septembre 2021

Crédit visuel : Dereck Bassa – Photographe

Un article rédigé par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

Cours retardés par les problèmes techniques, séances Zoom non enregistrées, étudiant.e.s en ligne oublié.e.s, charge de travail décuplée… le mode d’enseignement bimodal pose des difficultés, tant pour les professeur.e.s que pour les étudiant.e.s. Si ce système a permis un retour partiel sur le campus, il se heurte en ce début d’année à des difficultés techniques, humaines et pratiques, provoquant le mécontentement de certain.e.s élèves et professeur.e.s.

Le 8 septembre dernier fut une rentrée particulière pour les étudiant.e.s et le personnel de l’Université d’Ottawa (l’U d’O), marquée par un nouveau mode d’enseignement : le bimodal. Selon l’Association des professeur.e.s à temps partiel de l’Université d’Ottawa (APTUO), au moins 444 cours sont donnés en bimodal pendant la session d’automne, et au moins 535 le seront en hiver.

De grands moyens humains et matériels

Les professeur.e.s interrogé.e.s expliquent que la Faculté des sciences sociales a engagé une cinquantaine d’assistant.e.s techniques, surnommé.e.s les « pixies », des étudiant.e.s dont le rôle est d’assister les enseignant.e.s avec les incommodités de l’enseignement bimodal. En outre, l’Université a investi dans du matériel (caméras, écrans, micros, ordinateurs, projecteurs) pour s’assurer du bon fonctionnement des cours bimodaux. Les pixies se sont également occupé.e.s d’animer certaines formations pour les professeur.e.s.

Megan Blanche est l’une de ses étudiant.e.s. Elle s’occupe du volet virtuel des cours bimodaux, facilitant les interactions avec les élèves et offrant un soutien technique pour les professeur.e.s rencontrant des difficultés sur Zoom et Brightspace.

Blanche souligne que la majorité des professeur.e.s sont très satisfait.e.s de leurs services. Tou.te.s les professeur.e.s interrogé.e.s pour cet article s’accordent pour souligner leur satisfaction et même leur reconnaissance envers les pixies et la personne qui les encadre, Meghan Ede, surnommée la « fée des technologies ». Les professeur.e.s soulignent que la présence des pixies permet de les rassurer et de les décharger d’une grande quantité de stress, bien qu’il n’y ait néanmoins pas toujours assez de pixies pour couvrir tous les cours.

Si des services et des formations diverses ont donc été offerts aux professeur.e.s, Sarah-Maude Camiré, assistante technique pour les cours bimodaux, juge qu’il « y aurait dû avoir davantage de tests concrets, où les professeur.e.s pouvaient essayer le système, aller dans les salles… ». Certain.e.s professeur.e.s n’avaient jamais eu l’occasion de tester les systèmes avant la rentrée scolaire. De plus, elle ajoute que l’U d’O a investi beaucoup d’argent et de temps dans un nouveau système, mais sans prendre la peine de s’assurer que tout était optimal ni même fonctionnel.

Une professeure de criminologie qui a souhaité rester anonyme dit s’être rendue aux formations proposées mais n’avoir rien appris. « On reçoit un guide PDF, qui explique aussi bien ce que l’on doit savoir que lorsqu’on se présente en personne lors des formations. » déclare-elle. Elle poursuit sur le fait que l’apprentissage par l’expérience reste ce qui fonctionne le mieux.

Une professeure de psychologie anonyme se réjouit de la présence de caméras dans toutes les salles de classe mais regrette qu’il soit si difficile d’en changer l’orientation. Cela l’empêche de dessiner des schémas sur les tableaux de sa salle de classe, car reprogrammer la caméra lui ferait perdre trop de temps.

De nombreux problèmes techniques

Blanche souligne que cela prendra du temps pour s’adapter au système bimodal. Selon elle, « les professeur.e.s doivent adapter leur style d’enseignement, et il est légitime que cela crée des frustrations ». La professeure de criminologie ajoute qu’il s’agit d’un défi technologique énorme : « Je maîtrisais l’enseignement avec la plateforme en salle de classe, j’ai appris à maîtriser Zoom, et là, on a un mélange complexe des deux ».

À chacun de ses cours, elle souligne qu’au moins deux ou trois problèmes nécessitent un appel au service informatique, provoquant des interruptions constantes. Sébastien Savard, professeur en service social, rapporte des difficultés lors de son premier cours, où il n’avait pas de pixie, pour entendre les étudiant.e.s à distance voulant intervenir. Inversement, les étudiant.e.s en ligne n’entendent pas les interventions des étudiant.e.s en présentiel, poussant les professeur.e.s à devoir répéter à voix haute leurs propos. Plusieurs professeur.e.s suggèrent d’investir dans des micros pour les élèves, afin de permettre aux étudiant.e.s en ligne d’entendre ces interventions. Cela permettrait, selon Savard, de créer un climat de synergie entre les deux groupes.

Une augmentation de la charge de travail et du stress

Pour Camiré, « les professeur.e.s font tout ce qu’ils peuvent pour s’adapter, ils font beaucoup d’effort et essaient de comprendre ». Néanmoins, ces difficultés augmentent leur charge de travail. Savard déplore que ses collègues ne pensent pas toujours à quitter leur cours à l’heure, et ainsi ne laissent pas assez de temps au ou à la prochain.e professeur.e de s’installer et de s’assurer que tout fonctionne.

La professeure de psychologie remarque également une augmentation de sa charge de travail, par exemple dans le nombre de courriels envoyés par les étudiant.e.s, qui portent davantage sur des problèmes techniques que sur des questions de contenu. Elle a également dû animer des heures de bureau supplémentaires et, quand elle le peut, vient une demi-heure avant son cours.

Pour la professeure de criminologie, c’est surtout la charge de stress qui est augmentée : « Je stresse beaucoup car, à chaque cours, je sais qu’il va y avoir des problèmes, et en effet il y en a toujours eu jusqu’à présent ». Le soutien des pixies aide à minimiser ce stress.

Des étudiant.e.s en ligne délaissés

Puisque tou.te.s les étudiant.e.s paient les mêmes frais de scolarité, il serait logique selon les étudiantes interrogées qu’ils.elles bénéficient de la même qualité d’enseignement. Or, plusieurs élèves en ligne dans les cours bimodaux se plaignent d’être souvent oublié.e.s et moins bien considéré.e.s que ceux.elles qui étudient en présentiel.

C’est le cas de Camiré, qui étudie en ligne depuis Sherbrooke. Elle pense que les étudiant.e.s en ligne se font souvent oublier : elle cite pour exemple les Powerpoints non partagés, les micros laissés sur silencieux, les cours non enregistrés, les professeur.e.s ne répétant pas les questions des élèves dans la salle…

La professeure de criminologie reconnaît qu’elle est moins attentive au chat, puisqu’elle est en train de parler aux élèves : « C’est comme s’il fallait que je me dédouble constamment ». Elle avoue être naturellement plus intéressée par ceux.elles qu’elle voit que ceux.elles qu’elle ne voit pas, et ainsi oublier l’ordinateur au profit des personnes se trouvant devant elle. « Il y a une tendance naturelle à créer un contact plus consistant et plus fort avec les étudiant.e.s qui sont en présentiel », ajoute Savard.

Selon Blanche, il est primordial que les professeur.e.s amorcent une réflexion sur leurs pratiques pédagogiques. D’après elle, cela nécessite une remise en question de l’ancien modèle traditionnel d’enseignement. Elle explique qu’il est nécessaire d’inclure les étudiant.e.s en ligne autant que les étudiant.e.s en présentiel, afin de faire en sorte que chacun.e sente faire partie du cours.

L’espoir d’un retour en présentiel

La grande majorité des professeur.e.s et des élèves semble souhaiter un retour complet sur le campus dès que la situation sanitaire le permettra. Enseigner en ligne est souvent démotivant, particulièrement quand aucun.e étudiant.e n’ouvre sa caméra. « J’avais l’impression d’enseigner à des écrans d’ordinateurs. », se désole la professeure de criminologie. Elle se réjouissait donc de l’enseignement bimodal. 

Si Savard reconnaît que la situation n’est ni parfaite ni idéale, il déclare que son plaisir d’enseigner est décuplé par la présence des étudiant.e.s. « J’aurais préféré qu’on fasse comme les universités du Québec avec tout le monde en présentiel, mais ce n’était pas possible de le faire au moment où ils ont planifié la session d’automne », déclare-t-il.

Un système destiné à devenir permanent ?

Blanche rapporte entendre souvent dire que l’enseignement en ligne serait le futur de l’éducation. Ce serait pour elle une grande erreur, et elle espère qu’on ne globalisera pas le modèle virtuel ou bimodal. Elle affirme : « L’université ne devrait pas être une industrie capitaliste qui vise à faire de l’argent mais un lieu où l’on conserve et où l’on produit le savoir ». La qualité d’enseignement est également selon elle bien moindre, et le sentiment de collégialité des cours en présentiel n’est pas reproductible sur Zoom.

L’APUO se déclare inquiète de l’augmentation des cours bimodaux à l’hiver, ce qui pourrait indiquer une volonté de l’U d’O de rendre permanent ce mode d’enseignement. Il pourrait en effet être intéressant financièrement pour l’U d’O de continuer d’offrir des cours en ligne ou bimodaux, pour toucher de nouvelles clientèles. Les investissements conséquents dépensés laissent également penser pour Savard qu’il pourrait leur être avantageux de poursuivre sur cette voie.

Savard est très réfractaire à cette idée. Il ne voudrait pas que les cours à distance deviennent permanents, mais au contraire qu’ils demeurent « une mesure exceptionnelle pour faire face à une situation exceptionnelle ». L’enseignement à distance est selon lui quelque chose d’intéressant mais devrait être cantonné à des programmes et des clientèles particulières, et non remplacer l’enseignement traditionnel en présentiel qui reste selon lui la meilleure solution.

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