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La chronique : une arme à double tranchant 

Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique

Chronique rédigée par Mireille Bukasa — Cheffe du pupitre Actualités 

En cette période de résurgence des mouvements insurrectionnels en République démocratique du Congo, mon regard se tourne vers ceux et celles que l’on nomme dans le pays « la branche armée des chevaliers de la plume » : les journalistes. Quel genre journalistique devraient-il.elle.s privilégier pour transmettre leur contenu éditorial ?

Cette question est certes ordinaire pour tout organe de presse, nos contenus pouvant en effet prendre l’une ou l’autre forme parmi ce large panel de genres journalistiques : brève, éditoriale, compte-rendu, entrevue, portrait, critique et, pourquoi pas, une belle chronique. Cependant, le choix d’un genre journalistique dans une zone en pleine guerre, où il est question de vie ou de mort, est crucial. Un article de presse peut facilement se transformer en arme d’autodestruction pour son auteur.ice.

J’ai consacré 12 ans de ma carrière à travailler dans une région marquée par des conflits récurrents. Ce n’est peut-être pas beaucoup, comparé à Louis Cornellier, ce chroniqueur au Devoir dont les lignes m’ont charmée. Néanmoins, 12 ans suffisent amplement pour me permettre de vous expliquer l’attachement pour certaines pratiques journalistiques. Parmi elles, les faits. Rien que les faits, sans plus !

Vous ne le savez probablement pas : Cornellier rédige ses chroniques pour Le Devoir depuis 27 ans. Je naviguais Internet quand j’ai fait sa rencontre, le 10 février 2024, alors qu’il venait de publier une chronique dont le titre n’était autre que : « Une rencontre ». Hasard, ou pas ? Était-ce une rencontre avec moi ? Je ne saurais répondre avec exactitude, cependant j’ai suffisamment d’expérience pour certifier qu’un mot de trop, un simple commentaire, peut coûter une vie dans certaines régions du monde, bien loin des terres froides et paisibles du Canada. 

La chronique se veut un style libre dans lequel l’auteur.ice donne son avis sur un sujet, d’actualité ou non. Une façon de faire qui trouve toute sa valeur dans les sociétés dites « démocratiques ». Avez-vous lu la chronique de Cornellier du 30 décembre 2023 sur « le besoin des faits » ? Permettez-moi de partager un extrait de son texte qui m’a beaucoup intéressé.

Il déclare ceci : « Chaque jour, je lis mes collègues chroniqueur.se.s et éditorialistes du Devoir, de La Presse et du Journal de Montréal. En m’offrant leurs points de vue divers, ils m’aident à mieux comprendre le monde et à me remettre en question. Comme le journalisme d’opinion, de plus, permet une subjectivité assumée jusque dans le style, il rend l’expérience de lecture particulièrement agréable. Avec les chroniqueur.se.s qu’on lit toujours, on converse, même si on ne leur parle jamais ».

Conversons donc, monsieur Cornellier !

Chut… Vous devez vous rapprocher un peu plus de moi, parce que je dois le dire à voix basse… Vous savez, dans un monde où la liberté d’expression et la liberté d’opinion ne sont que des théories enseignées à l’école, le journalisme d’opinion est un couteau à deux lames.

À l’autre bout du monde, vous avez des collègues journalistes que vous n’avez probablement jamais lus, monsieur Cornellier. Pour leur sécurité, ils et elles ont décidé de se limiter à ce que vous définissez dans votre article comme la base du journalisme. C’est-à-dire les faits ! Vous comprenez donc que pour eux.elles, le journalisme d’opinion est un terrain glissant. J’étais avec eux.elles sur ce terrain et, contrairement à cette joie que vous ressentez en lisant vos collègues de La Presse et du Journal de Montréal, je paniquais en lisant un.e collègue qui osait donner son opinion sur un fait, surtout lorsqu’il touchait à la politique ! Je ne voulais pas ajouter un nouveau nom sur la liste des chevaliers de la plume tombé.e.s sur le champ de bataille.

Aujourd’hui encore, et ce depuis près d’un mois malheureusement, je me retrouve à examiner attentivement les publications des plus fougueux.ses parmi mes ancien.ne.s collègues pour essayer de les inviter à la prudence. Je me demande : Qui souhaiterait une liberté qui nous met en danger ?

Loin de moi la pensée de vous arracher la joie de lire vos collègues au quotidien, monsieur Cornellier. J’arrête donc de parler de la face dangereuse du journalisme d’opinion pour me délecter de vos belles chroniques !

Un environnement propice pour laisser fleurir une chronique 

« La chronique est la rencontre de l’actuel et de l’inactuel sur une table de dissection. Table de dissection en référence à l’attention quasiment médicale avec laquelle le chroniqueur se penche sur les symptômes de son époque», dit Alain Schaffner dans son article La chronique selon Jacques Perret.

Cependant, ce droit de « se pencher sur les symptômes de son époque » n’est pas accordé à tout.e journaliste. Cela dépend de l’environnement dans lequel il.elle exerce son métier. Ainsi, le journalisme d’opinion, dont la chronique, peut être utile dans les sociétés dites démocratiques, mais il n’est pas indispensable dans un contexte où la liberté d’expression reste encore un défi.

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