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Arts et culture

Documenter l’histoire des femmes : une nécessité

Contribution
8 mars 2023

Crédit visuel : Louise de Grosbois. uOttawa, Archives et collections spéciales 

Lettre ouverte rédigée par Talia Chung, Bibliothécaire en chef et vice-provost (gestion des savoirs), Université d’Ottawa 

Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, est souvent l’occasion de célébrer les gains obtenus au terme d’âpres combats. De manière plus réaliste, c’est aussi l’occasion prendre la mesure des iniquités qui perdurent et de souligner les acquis qui sont désormais menacés. La protection des droits reproductifs et l’accès aux services, la reconnaissance de l’égalité des genres comme un aspect fondamental des droits de la personne… Voilà autant d’enjeux qui illustrent l’importance de poursuivre les luttes féministes. 

Dans ce contexte, documenter l’histoire des femmes et mettre en lumière les progrès accomplis demeure primordial. Encore aujourd’hui, trop de figures marquantes sont invisibles, trop de contributions importantes risquent d’être oubliées. Raconter ces histoires constitue donc un effort de sensibilisation nécessaire, pour ne pas dire un devoir de mémoire.

Et ces histoires, trop souvent méconnues, ne peuvent s’écrire sans archives ni sources primaires.

Les Archives des femmes : des collections uniques au service du changement

La collection des Archives des femmes de la Bibliothèque de l’Université d’Ottawa (U d’O) a été créée en 1992, à la suite du don de la collection des Archives canadiennes du mouvement des femmes (ACMF). Les ACMF ont d’abord été mises sur pied à Toronto sous le nom de Women’s Information Centre en 1977. Celles-ci étaient alors consacrées à la collecte d’informations sur les activités féministes à travers le Canada. Au fil des années, le Centre a conservé une multitude d’infolettres, de rapports, d’affiches, de chandails et d’autres documents, formant l’une des plus importantes collections liées aux mouvements féministes de la deuxième vague au Canada. Lorsque la collection des ACMF a été léguée à l’U d’O en 1992, cela a incité la Bibliothèque à poursuivre sa collection dans ce domaine.

Aujourd’hui, les Archives des femmes de la Bibliothèque de l’U d’O comprennent près de 170 fonds d’archives, incluant à la fois des fonds d’individus et d’organisations. Elles comprennent également une collection de périodiques féministes, qui compte environ 1300 titres.

De même, les Archives canadiennes des femmes en STIM, un centre d’expertise unique mené par la Bibliothèque de l’U d’O et Bibliothèque et Archives Canada, en collaboration avec l’Institut canadien pour les femmes en ingénierie et en sciences, permettent de documenter la contribution des femmes en science, technologie, ingénierie et mathématiques.

Petites et grandes histoires d’impact

Faire des recherches à l’aide des Archives des femmes, c’est tomber sur une multitude de trésors qui ne demandent qu’à être déterrés.

Parmi les histoires qui émergent de nos collections, notons celle de la revue L’Entrelles, une publication féministe et populaire de l’Outaouais ayant existé de 1979 à 1982. Distribuée à travers les CSLC de la région (de Hull à Maniwaki, et d’Aylmer à Mont-Laurier), la revue est née de la volonté d’une cinquantaine de femmes qui désiraient se doter d’une tribune.

Témoignant d’un important besoin, la revue trouve rapidement son public. Au terme de la première année, le collectif avait déjà publié six numéros. Et de janvier 1979 à mai 1980, le tirage était passé de 100 à 2000 exemplaires !

En explorant la correspondance de L’Entrelles, on peut dresser le profil des abonnées : des étudiantes d’Ottawa, une librairie de Québec, la coordinatrice nationale de Fédération des femmes canadiennes-françaises, et même Myra Cree, alors animatrice de l’émission Second regard à Radio-Canada.

En juin 1981, la revue figure dans le magazine Châtelaine et sa popularité explose. Des lectrices de partout au Québec écrivent pour s’abonner… et demander le numéro spécial sur la sexualité ! On lit désormais L’Entrelles à Montréal, Chibougamau, Shawinigan, Granby, Gentilly, Châteauguay, Charlemagne, Rivière-du-Loup, Saint-Adolphe, Grand-Mère, Cap-Rouge, et même à Campbellton, au Nouveau-Brunswick.

En parallèle, la revue mène des actions militantes. En 1981, celle-ci écrit à Eaton pour dénoncer une publicité sexiste. La même année, une lettre est envoyée à Jean Chrétien, alors ministre fédéral de la Justice, afin d’appuyer un projet de loi sur les infractions sexuelles et la protection des jeunes. Et en 1982, le collectif L’Entrelles se joint aux organisations qui réclament une politique de financement provincial pour les maisons d’hébergements pour femmes du Québec.

Même si l’aventure de L’Entrelles prend fin après quelques années, celle-ci démontre bien l’impact qu’a pu avoir la revue – et le collectif derrière elle – à l’échelle de la province. Car si l’objectif original était d’envergure locale (fédérer les femmes de l’Outaouais), leurs voix ont su trouver une portée beaucoup plus large, à l’image du combat qu’elles menaient.

Un nouveau portail pour faciliter la collaboration

En collaboration avec des organismes culturels du Canada, la Bibliothèque de l’U d’O s’est engagée à promouvoir et à faciliter l’accès aux archives documentant l’histoire des mouvements des femmes au Canada, notamment grâce à un don anonyme d’un million de dollars.

C’est pourquoi nous sommes ravi.e.s de lancer le Portail des mouvements des femmes au Canada, un répertoire pancanadien bilingue des documents d’archives accessibles dans les institutions patrimoniales du pays. L’objectif : faciliter l’accès aux sources primaires, mettre en valeur le patrimoine documentaire, et renforcer la collaboration d’un océan à l’autre.

Le Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (CRCCF) de la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa est l’un des organismes qui contribuent au portail. Une participation qui viendra appuyer le rayonnement de l’histoire des femmes francophones, comme nous l’indique sa Responsable des archives, Christine Dupuis : « Le Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (CRCCF) s’intéresse à la société et à la culture des communautés francophones de l’Amérique du Nord d’hier et d’aujourd’hui. Il mène des activités de recherche et de diffusion du savoir en plus de conserver et de mettre en valeur une riche collection de ressources documentaires. Le secteur des archives est heureux de collaborer avec la Bibliothèque de l’Université d’Ottawa pour mettre en valeur le patrimoine documentaire des femmes francophones au Canada. Ce partenariat offre un bel espace pour faire valoir les archives de celles-ci et connaître leurs histoires. »

Préserver le passé, écrire l’avenir

En terminant, il est important de préciser que les centres d’archives ne peuvent préserver que les documents qui leur sont légués, tout comme le Portail des mouvements des femmes au Canada ne peut relayer que les informations qui sont partagées avec lui.

C’est pourquoi je lance l’appel suivant : si vous avez des documents d’archives à léguer, des collections à mettre en valeur, ou encore des histoires à raconter, nous voulons vous entendre et collaborer avec vous !

Car l’histoire nous le démontre : le changement passe nécessairement par la solidarité et l’action concertée.

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