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Conséquences internationales des émeutes au Capitole

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14 janvier 2021

Crédit visuel : Mitchel Raphael – Courtoisie

Entrevue réalisée par Gabriella Santini – Contributrice

Docteur en relations internationales de l’Uni­ver­sité de Kent, Zachary Paikin est collaborateur au Réseau d’analyse stratégique, et chercheur senior invité au Global Policy Institute. Suite aux émeutes au Capitole à Washington, il discute des tendances au sein des partis politiques américains, et de la signification des événements pour le Canada et les grandes puissances.  

La Rotonde (LR) : Pour quelles raisons a eu lieu l’émeute au Capitole ?

Zachary Paikin (ZP) : La cause la plus immédiate est que le président [Donald] Trump a directement incité la violence contre une grande institution démocratique des États-Unis afin de contester la certification par le Congrès de l’élection présidentielle. Toutefois, ces évènements sont liés à la direction vers laquelle le Parti républicain se dirige depuis les dernières années. Trump n’est donc pas une aberration, il est un produit du Parti. Il ne fait que se conformer à la culture politique au sein de celui-ci, alors quasi explicitement tourné contre la démocratie.

LR : Le futur de la démocratie américaine est-il en danger ?

ZP : Lors de l’élection, Trump a obtenu plus de 74 millions de voix, alors que la victoire de Biden s’est produite grâce à trois victoires assez minces dans trois États, avec un total de 81 millions de voix. À long terme, le Parti républicain va donc détenir pas mal de chances de regagner le pouvoir.

Le système du Sénat et le collège électoral américain favorisent le Parti républicain. Il y a maintenant 15 États qui ont un total de 30 sénateurs républicains, ce qui représente la même proportion de la population nationale que la Californie, qui a deux sénateurs démocrates. C’est un système qui ne peut plus fonctionner selon son objectif traditionnel ; lorsque les États-Unis ont été créés, les plus grands États étaient six fois plus peuplés que les plus petits États. Aujourd’hui, les plus grands États sont 40 fois plus peuplés. Les fondateurs des États-Unis n’ont jamais vraiment pensé qu’il pourrait y avoir une telle situation dans laquelle les institutions des États-Unis soient en train de reproduire des résultats pas nécessairement représentatifs des votes populaires.

La conséquence d’un tel système est qu’il protège le Parti républicain qui n’a pas de comptabilité envers la population. Cela a facilité sa tournée contre la démocratie puisqu’il n’y a plus de conséquences pour le Parti. C’est inévitable, les Républicains vont continuer à gagner des sièges au sein du Sénat et de la Chambre des représentants, grâce au gerrymandering [soit le remaniement arbitraire des frontières de circonscriptions électorales en vue d’avantager un parti], et à la répartition de la population américaine.

LR : Qu’est-ce que l’émeute signifie pour les relations entre le Canada et les États-Unis ?

ZP : Les événements ont des implications très importantes pour la politique étrangère du Canada. Au Canada, nous avons cette idée que nous partageons une identité similaire et un certain nombre de valeurs avec les États-Unis. Après ces évènements, toutefois, nous devons réfléchir à ce que cela signifie. Nous devons apprendre à réfléchir par nous-mêmes et pour nous-mêmes.

Le Canada doit trouver un nouvel équilibre dans ses relations étrangères. Sans nécessairement remettre en cause son alliance avec les États-Unis, le Gouvernement doit réviser sa politique étrangère. Au sein de la population, il doit y avoir des discussions moins officielles. Comment pouvons-nous agir indépendamment des États-Unis ? Le Canada possède déjà plusieurs atouts, il s’agit juste d’un changement psychologique.

LR : Comment est-ce que les événements de Washington sont interprétés sur la scène internationale, notamment par les grandes puissances ?

ZP : S’ils augmentent la perception au niveau international selon laquelle les États-Unis ne possèdent plus un modèle démocratique politique à suivre, cela va certainement réjouir la Russie et la Chine [tous en compétition pour l’hégémonie]. Là est le produit du fait que la relation entre les États-Unis et la Chine, ainsi qu’entre les États-Unis et la Russie, est une relation à somme nulle. Ceci n’est pas inévitable. Après la Guerre froide, les États-Unis ont pris la décision de continuer de dominer le monde de façon militaire afin d’étendre leur hégémonie au niveau mondial. Le contexte est important.

LR : Des organismes de propagande chinois se sont emparés d’images de l’assaut du Capitole afin de fustiger les politicien.ne.s américain.e.s pour leur soutien des manifestations à Hong Kong en 2019. Que pensez-vous de cette comparaison ?

ZP : Il n’y a pas de parallèle entre ce qui s’est passé à Hong Kong et l’émeute au Capitole ; les deux contextes sont très différents. La Chine va toujours trouver des opportunités pour pouvoir avancer son propre narratif. Il s’agit de montrer à quel point les États-Unis possèdent une certaine hypocrisie dans le fait qu’ils critiquent les autres pays du monde lorsqu’eux-mêmes ont des conflits domestiques au niveau politique.

Si la Chine veut maintenant instrumentaliser le fait qu’il y a des doubles standards au sein du narratif, ce n’est pas surprenant. Les États-Unis ont créé les conditions qui incitent la Chine à se comporter d’une telle manière. Si les États-Unis n’avaient pas choisi il y a 30 ans d’essayer de transformer le monde, ils ne seraient pas aussi ouverts aux charges d’hypocrisie aujourd’hui.

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