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Arts et culture

En périphérie de ville : exposition photographique Fringe

Eve Desjardins
14 février 2023

Crédit visuel : Eve Desjardins — Cheffe du pupitre Arts et culture

Critique rédigée par Eve Desjardins — Cheffe du pupitre Arts et culture

Du 26 janvier au 13 février, on retrouvait à la Galerie Art+ sur Sussex des photos capturées par l’artiste suisse canadien Paul Ozzello pour une exposition intitulée Fringe. Le sujet des photographies était diviseur : des portraits de camionneurs lors du convoi de février 2022. Un an après les manifestations, ses photos tentent « d’humaniser les camionneurs », selon Ozzello.

Les éléments formels de l’exposition

Les photos prennent le format de polaroids réimprimés en plus grande taille. Chacune des photographies mesure 16 par 14 pouces, est imprimée sur du papier pour beaux-arts et est encadrée par la galerie. Les photos mélangent portraits de camions et de camionneurs. Lorsqu’il y a un sujet figuratif présent dans les portraits, le bas de la photographie est signé par son sujet. Parmi les signatures, on retrouve des motifs récurrents, dont le cœur qui apparaît huit fois. S’il y a un sujet qui n’a pas signé son portrait, Ozzello laisse quand même des traces d’humanité avec des plissements ou des empreintes de doigts dans les reproductions.

Les sujets sont cadrés devant leurs camions, avec la plaque d’immatriculation bien visible. Il y a très peu de sourires, si oui, ce sont des couples avec leurs chiens. Les photographies ont un effet documentaire, mais grâce à l’appareil photographique utilisé, elles semblent nostalgiques. Ce sont des archives contemporaines.

La neige brume les compositions, ajoutant du contraste aux photographies noires et blanches. Il y a une atmosphère, un moment capté dans sa singularité. Ceci peut être vu dans l’œuvre Mad Max I, la plus populaire de l’exposition, qui fut réimprimée en gros format.

Une critique socioculturelle

L’intention artistique de Ozzello est difficile à discerner. Il semble vouloir valoriser les camionneurs, mais les abaisse en même temps. Il enlève à ses sujets l’anonymat d’être parmi une foule. Leurs noms sont notés, même si ce sont possiblement des alias, comme Star et Temple dans la photo Star and Temple. Ou bien, lorsque la signature est presque illisible, comme c’est le cas avec Garrick Halinen. La fiabilité des sujets est remise en question de manière à ce que le.la visionneur.se soit déstabilisé.e par l’insincérité des photos.

À travers la géographie du centre-ville d’Ottawa, le.la spectateur.ice peut se situer au sein des photographies. La tour de la Paix du Parlement est déstabilisante ; ces manifestations n’étaient pas paisibles pour la communauté ottavienne. Cette exposition photographique devient alors une manifestation des dangers de notre propre communauté. Les fenêtres des églises sont barricadées, on ne peut pas y trouver de points de repère, car elles se ressemblent toutes.

La rhétorique « protéger nos enfants » apparaît souvent parmi les slogans des camionneurs. Cependant, aucun enfant n’est présent dans les photographies. Il faut que le.la spectateur.ice imagine que les sujets sont parents, qu’ils ont laissé leurs enfants chez les grands-parents, mais ont quand même apporté leur chien. Ce sont d’assez bonnes personnes pour ne pas faire subir à leurs propres enfants la cacophonie du convoi, mais pas assez pour ne pas le faire subir aux enfants qui habitent dans ces quartiers. Le tout parsemé du slogan le plus populaire au sein des photographies : « Fuck, Trudeau », que l’on retrouve à seize occasions. 

Les photographies sont imprimées par les Éditions Tulipes, soit manuellement par Ozzello, à Montréal. Chaque impression piézographique a cinq éditions, vendues à 295 $ hors taxes chacune.

Est-ce nécessaire ?

Ozzello positionne son.sa spectateur.ice comme une personne de périphérie, quelqu’un qui n’a pas eu la chance de rentrer dans la manifestation pour voir ce qui s’y passait « vraiment ». Cependant, étant en périphérie, l’expérience du ou de la spectateur.ice est brimée par les frustrations des manifestations. C’est une expérience aussi « vraie » et authentique que celle qui leur infligeait du mal.

Formellement, ce sont de belles photographies. Par contre, il est impossible de ne pas être influencé.e par ses biais personnels lorsqu’on visionne ces œuvres. Le tout soulève des questions intéressantes. Par exemple, est-ce que l’artiste est neutre ? Paul Ozzello, fidèle à son héritage suisse, prétend rester politiquement neutre quant à son exposition. Cependant, il est plutôt question de savoir si l’observateur.ice doit être neutre. Il n’est pas question de séparer l’art de l’artiste, mais bien de séparer le sujet en contexte, de son.sa spectateur.ice.

Les destinataires de cette exposition sont difficiles à déterminer. Dans le diagramme de Venne des personnes qui achètent de l’art dans une galerie, et des personnes qui supportent le convoi, il n’a pas beaucoup de chevauchement entre les deux parties. Quel est alors le but d’avoir une plateforme si on ne l’utilise pas ?

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