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Être végane est un privilège

Camille Cottais
16 novembre 2021

Crédit Visuel : Dereck Bassa – Photographe

Chronique rédigée par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

Au Canada et ailleurs dans le monde, de plus en plus de personnes décident d’arrêter de consommer des produits d’origine animale (POA), que ce soit pour des raisons environnementales, écologiques ou encore relatives à la santé. Nous pouvons alors nous demander : le véganisme est-il un mode de vie accessible à tou.te.s ?

Selon des chiffres de 2018, au Canada, 4,5 % de la population serait végétarienne et 2,7 %, végétalienne, des chiffres en constante augmentation. Cette normalisation du véganisme a été accentuée par les préoccupations environnementales grandissantes mais aussi par la visibilité croissante des mouvements véganes et antispécistes.

Ces mouvements proclament souvent que tout le monde peut et devrait être végane. Or, cette idée peut être accusée d’être capacitiste, classiste et raciste, parce qu’elle valorise les corps blancs, valides et riches, tandis que les corps racisés, handicapés et pauvres sont rendus invisibles. Ainsi, si le véganisme n’est pas oppressif en soi, le discours végane peut l’être, car la capacité de pouvoir faire des choix alimentaires est un privilège.

En tant que végétarienne, je ne cherche pas à démontrer que le véganisme serait mauvais, mais seulement à m’interroger sur les limites de sa soi-disant universalité et accessibilité. J’ai longtemps cru que tout le monde pouvait devenir végane et que les omnivores ne le restaient que par égoïsme. Je pense aujourd’hui que le véganisme est une bonne chose mais également qu’il repose sur des privilèges de race, de classe et de capacité.

Tout le monde peut être végane ?

Être végane peut être chronophage et demandant en énergie, rendant ce mode de vie moins accessible pour les personnes ayant des enfants, plusieurs travails ou un handicap comme une maladie chronique. La précarité touche beaucoup les personnes handicapées qui doivent parfois payer des frais médicaux tout en étant au chômage et sont donc dépendantes d’aides financières. Cela ne leur permet pas toujours d’acheter des aliments considérés « sains » ou même de vivre près de magasins vendant des produits végétaliens.

Être végane requiert davantage de temps mais aussi d’argent, de capacités culinaires et de connaissances sur la nutrition et la cause animale. Ces dernières nécessitent de plus un accès à internet et un certain niveau d’études auxquels les classes défavorisées ont moins accès. La pauvreté restreint la possibilité de faire des choix alimentaires ; les similicarnés ou les oléagineux restent extrêmement chers en épicerie comparativement à un steak haché ou du jambon blanc.

Les personnes présentant beaucoup d’allergies alimentaires (notamment au soya ou aux légumineuses) peuvent avoir des difficultés à trouver d’autres sources de protéines. D’une façon similaire, les troubles alimentaires empêchent parfois d’être végane, que ce soit à cause des crises d’hyperphagie durant lesquelles la perte de contrôle est totale, ou de l’anorexie mentale qui entraîne déjà des carences et l’élimination de plusieurs catégories d’aliments. Beaucoup d’anorexiques utilisent le véganisme comme excuse pour éliminer certains aliments caloriques et justifier une perte de poids. C’est ainsi que le taux de troubles du comportement alimentaires et notamment d’orthorexie est beaucoup plus élevé chez les végétalien.ne.s et végétarien.ne.s.

Les convictions ne doivent pas être mises avant sa santé : le véganisme n’est pas éthique s’il faut se rendre malade pour sauver quelqu’un d’autre.

Racisme et colonialisme au sein du discours végane

Les mouvements véganes peuvent être considérés comme des formes de colonisation pour les peuples autochtones. Spirituellement, animaux et nature sont considérés par plusieurs nations autochtones comme égaux aux humains, mais certain.e.s véganes jugent ces cultures comme intrinsèquement inférieures en raison de la centralité de leur consommation de viande. La chasse aux phoques est souvent un moyen de subsistance, notamment chez les communautés inuites ou d’Alaska. Il s’agit d’une question de souveraineté alimentaire, et prôner l’abolition de cette pratique s’inscrit dans une mentalité coloniale.

Si le véganisme est aujourd’hui associé à la blancheur, il n’a pas été inventé par les blanc.he.s mais est présent depuis longtemps dans des communautés racisées et est notamment promu par certaines religions comme l’hindouisme, le bouddhisme ou le jaïnisme. Le pays comptant le plus de véganes est l’Inde.

Beaucoup de véganes blanc.he.s comparent l’esclavage, l’apartheid ou l’Holocauste avec l’industrie de la viande. Il est évident que comparer l’oppression des juifs ou des Noir.e.s à celle des vaches est raciste et déshumanisant. People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) a notamment fait polémique avec des campagnes aux titres aussi évocateurs que « The Holocaust on Your Plate » ou « Are Animals the New Slaves? » juxtaposant des images de juif.ve.s dans les chambres à gaz et de cochons brûlés vifs, puis d’esclaves et d’animaux enchaînés.

La comparaison entre personnes racisées et animaux est d’autant plus problématique compte tenu de l’animalisation historique des corps racisés. Elle présuppose également que la violence contre les Noir.e.s appartient au passé, que les animaux sont les « nouveaux noirs » dans une société post-raciale.

La culpabilisation : une technique contre-productive

La culpabilisation est une technique fréquemment utilisée par les véganes. Le sentiment de supériorité de beaucoup de véganes les pousse à affirmer que le végétalisme est le seul mode de vie éthique, le seul moyen pour être un être humain décent. Au-delà de ses implications capacitistes et classistes, cette culpabilisation s’avère souvent infructueuse : elle ne fait que confirmer la position des carnistes considérant les véganes comme des extrémistes fermé.e.s d’esprit.

L’argument écologique du véganisme est primordial mais s’inscrit dans une conception néolibérale de la crise écologique comme responsabilité de l’individu et non de la société. Tout comme bannir les pailles en plastique au nom de l’écologie est capacitiste, il est plus facile de déresponsabiliser le système capitaliste quant au réchauffement climatique en affirmant que les petits gestes sauveront la planète.

Existe-t-il une nourriture « pure » ?

Dans sa définition du véganisme, The Vegan Society inclut la mention « as far as is possible and practicable ». Pourtant, socialement, une personne n’est considérée végane que si elle l’est à 100 %.

On peut contester cette idée d’un véganisme « parfait » en rappelant qu’acheter un steak de soya chez Walmart n’empêche pas la marque d’exploiter ses employé.e.s ou de vendre des produits carnés. Manger végane ne signifie pas ne pas contribuer à une société carniste et à l’exploitation animale : l’achat d’un produit bénéficie toujours à l’économie capitaliste, une marque… Il faudrait alors ne pas manger du tout pour avoir une consommation 100% éthique et végane. Dans notre monde globalisé et industrialisé, il n’y a aucune nourriture réellement pure, naturelle ou sans cruauté.

Pour être plus accessible et accommodant, le véganisme devrait donc être moins intransigeant et accepter la présence de concessions selon les situations de chacun.e. Il est inutile de lutter contre une forme d’oppression tout en participant à la perpétuation d’autres. Le véganisme doit ainsi être intersectionnel et inclusif : sa définition devrait être plus fluide et non un concours de pureté. Être végane devrait signifier chercher à faire le moins de mal possible et non à atteindre une perfection irréalisable, car plusieurs personnes étant véganes de façon imparfaite valent mieux qu’une seule l’étant parfaitement.

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