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Féminismes et religions sont-ils incompatibles ?

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17 novembre 2020

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Par Aïcha Ducharme-Leblanc – Journaliste

La plupart des textes religieux ont la réputation de dépeindre les femmes comme dangereuses, pécheresses, faibles, coupables ou inférieures. Alors, comment peut-on pratiquer une religion et à la fois défendre les idéaux émancipateurs du féminisme ? 

Je vais commencer par parler franchement. Je ne suis religieuse que depuis trois ans, donc ma réflexion sur la Bible et mon exploration de la théologie féministe sont assez récentes. En fait, je suis devenue religieuse à peu près au moment où j’ai amorcé ma carrière universitaire en études féministes et de genre. Dès mon premier cours, j’ai su que je ne cadrais pas tout à fait dans le moule féministe standard ; je ne m’y suis pas intégrée parce que ma foi religieuse est vive, et parce que le féminisme est maintenant quasiment devenu synonyme de laïcité. 

Incertitudes et révélation

Le mouvement féministe (occidental) s’est développé dans le sillage de la laïcisation de la Révolution française, lorsque Olympe de Gouges a publié sa célèbre déclaration pour la défense des droits et libertés des citoyennes françaises. Toutefois, ce précédent laïque demeure très présent.

Il semble aujourd’hui insondable qu’une féministe fière, progressiste, sans scrupule, soit associée à une institution dite aussi « rétrograde », « anachronique » et « androcentrique » que sont les religions abrahamiques. C’est pourquoi j’ai éprouvé pendant trois ans des difficultés à réconcilier ma foi avec mes principes féministes, doutant que je puisse fusionner ces deux parties intégrantes de ma vie. 

Tout a changé l’été dernier, avec la lecture d’un livre intitulé What is the Bible ? de Rob Bell. Entre autres choses, l’auteur écrit principalement sur l’importance du contexte et de la localisation du contenu biblique. Selon lui, on le lit pour interpréter ce que signifie ce contenu pour nous, et dans quelle mesure il est pertinent dans notre vie. En fait, je me suis rendue compte que j’étais agente de ma propre foi religieuse. En contextualisant, je n’ai pas à dépendre de quelqu’un d’autre pour me dire ce que je dois croire ou faire. Dieu ne me dit pas ce que je dois faire ; il me guide et veille sur moi.

Sexualité de la femme

Une des doctrines du christianisme qui reçoit beaucoup d’attention est celle de proscrire les relations sexuelles avant le mariage. En tant que féministe, je m’y suis toujours opposée car je pense, dans la pratique, que cette doctrine met davantage l’accent sur le contrôle du comportement et de la sexualité des femmes, comme pour « préserver leur pureté ». 

Bien que la Bible stipule à plusieurs reprises que les relations sexuelles avant le mariage soient un péché (voir 1 Corinthiens 7:2 notamment), une fois que l’on considère le contexte historique dans lequel la Bible a été écrite, cette interdiction a plus de sens. Ce document a été écrit il y a plus de mille ans. À l’époque, la dichotomie honneur/honte était non seulement très forte, mais il n’existait aucune forme de contrôle des naissances, et il était alors beaucoup plus fréquent que les femmes meurent pendant leur accouchement. Les relations sexuelles étaient donc un sujet important car elles pouvaient entraîner beaucoup plus de conséquences qu’elles ne le font nécessairement aujourd’hui. 

Patriarcat dominant

Il suffit de lire un peu de la Bible pour constater qu’à la surface, c’est un récit patriarcal. Dans la Genèse déjà, en mangeant la pomme sacrée, Ève devient responsable de la chute de l’humanité, souillant les femmes à jamais. De plus, on entend souvent dire que Dieu, dont la représentation euro-occidentale est celle d’un homme blanc barbu, nous a créé.e.s à son image. Personnellement, je ne me vois pas en lui physiquement. Et la liste se poursuit.

Toutes les religions ont des aspects misogynes, tout comme de nombreuses institutions sociétales. Pensons au domaine du droit par exemple. Il a été conçu par les hommes pour servir les hommes. Pendant des siècles, et vraisemblablement aujourd’hui aussi, il a échoué à défendre les droits des femmes. Pourtant, le droit est aussi un outil formidable pour libérer les femmes, pour les émanciper de l’androcentrisme. 

Adopter un regard nouveau

La Bible est ce que je considère, à bien des égards, une littérature très progressiste et libératrice, même dans un sens féministe. Il n’y a pas trop longtemps, j’écoutais un discours de Keatan King, une femme prêtre presbytérienne, sur l’Annonciation dans l’Évangile de Luc ; c’est-à-dire lorsque l’Ange Gabriel visite la Vierge Marie et lui annonce qu’elle est enceinte de Jésus. Elle a fait un lien entre cet événement et les droits reproductifs des femmes, en relatant que dans cette partie de l’Évangile, l’Ange et Marie ont un dialogue. Marie a la possibilité de poser des questions, la grossesse n’est ainsi pas un devoir catégorique qui lui est imposé. 

Mais surtout, à la fin de la conversation, Marie dit : « qu’il me soit fait selon votre parole » (Luc 1:38), donnant ainsi son consentement à mener la grossesse à terme. Je tiens à rappeler que la liberté de reproduction est l’un des idéaux fondamentaux du féminisme. Effectivement, Dieu a donné aux femmes le droit de choisir, le droit le plus fondamental pour une femme, celui à l’autonomie corporelle. N’est-ce pas frappant ? 

Au final, il faut comprendre que les femmes ont été invisibles pendant des siècles ; dans la politique, dans l’histoire, et bien sûr, dans les institutions religieuses. Il y a des femmes, des féministes et des dissidentes dans tous ces domaines. Il s’agit d’assumer les tensions comme une invitation à enrichir notre regard. Cessons de nier les divergences, et écoutons toutes les voix féministes, sans préjugés. 

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