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Sports et bien-être

Grossophobie médicale : des discriminations aux lourdes conséquences

Camille Cottais
23 janvier 2023

Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur artistique 

Article rédigé par Camille Cottais – Secrétaire de rédaction

Les militant.e.s contre la grossophobie dénoncent que la grosseur soit souvent associée à la paresse, la bêtise, la compulsivité ou encore le manque de volonté. Ces stéréotypes sont selon eux.elles omniprésents dans la société, mais également au sein du milieu médical, conduisant parfois à une mauvaise prise en charge des patient.e.s au corps « hors normes ».

Jean-Philippe Chaput est professeur au département de pédiatrie de l’Université d’Ottawa (U d’O) et chercheur sur les saines habitudes de vie et l’obésité chez les enfants. Ce dernier définit la grossophobie médicale comme l’ensemble des discriminations du personnel médical envers les personnes présentant une surcharge pondérale. Les attitudes et remarques grossophobes sont, selon lui, très répandues parmi les médecins.

Des attitudes discriminatoires et de nombreux stéréotypes

Pour Chaput, la grossophobie est avant tout causée par des stéréotypes associés aux personnes grosses : « on a tendance à voir une personne avec obésité comme quelqu’un qui mange trop, qui ne bouge pas et qui est paresseuse, on ne creuse pas plus loin », s’exprime-t-il. Il explique pourtant que les causes de l’obésité sont parfois davantage génétiques que comportementales.

C’est le cas d’une étudiante en quatrième année à l’U d’O, qui a préféré rester anonyme. Bien que ses parents et ses grands-parents soient tous en obésité ou en surpoids et qu’il soit presque impossible pour elle de maigrir, elle se désole que ses médecins lui présentent la perte de poids comme solution à tous ses problèmes de santé. Règles abondantes, enzymes au foie, migraines, hyperlaxité et même entorse : les médecins ont toujours lié son poids à tout ce qui lui arrivait, refusant d’explorer d’autres prises.

Elle s’estime ainsi victime de « gaslighting médical », un terme désignant une attitude de condescendance des médecins à l’encontre des patient.e.s, minimisant leurs symptômes physiques ou les considérant comme psychologiques, remettant en question leur douleur et leur crédibilité, refusant de prescrire des examens complémentaires, etc. Certain.e.s ont également des commentaires blessants à son encontre : « même quand j’étais jeune et plutôt mince, les médecins disaient à mes parents qu’il fallait s’assurer que je mange santé pour ne pas que je ne devienne comme eux ».

Le professeur en pédiatrie rappelle que 90 à 95 % des régimes échouent sur le long terme, notamment car une perte de poids mène à une augmentation de la faim et à une diminution du métabolisme. Selon lui, il faut donc lutter contre le mythe selon lequel perdre du poids serait facile.

Les dangers de la grossophobie médicale

L’étudiante anonyme affirme que la grossophobie médicale a de fortes conséquences sur sa santé physique comme mentale. « Aujourd’hui, à 20 ans, je me retrouve [à cause de la grossophobie] avec beaucoup de problèmes de santé qui auraient dû être sus et diagnostiqués lorsque j’étais plus jeune ». Les seuls problèmes médicaux pour lesquels l’étudiante estime qu’elle et ses parents sont pris au sérieux sont ceux qui affectent le plus stéréotypiquement les personnes grosses, comme le diabète de type 2 ou l’hypertension.

Ainsi, avant de consulter, la peur de vivre de la grossophobie lui provoque beaucoup d’appréhension : « les soirées avant un rendez-vous médical, je me surprépare parce que j’ai tellement peur de ne pas être crue, de me faire dire que c’est juste parce que je suis grosse, que c’est juste dans ma tête », raconte-t-elle les larmes aux yeux. Le professeur confirme que les personnes avec obésité ont tendance à moins consulter que le reste de la population par peur de vivre des discriminations.

Selon l’étudiante, les médecins encouragent parfois les personnes grosses à adopter des comportements restrictifs dangereux, voire des troubles alimentaires. Elle prend l’exemple d’un rendez-vous médical lorsqu’elle avait 16 ans, durant lequel le médecin l’a félicité d’avoir perdu du poids et lui a dit de continuer, alors même qu’elle lui expliquait ne presque pas manger. La majorité des médecins n’envisagent selon l’étudiante pas la possibilité qu’il soit possible de faire trop de sport ou bien qu’une personne grosse puisse ne pas assez manger.

Chaput ajoute qu’en raison des discriminations qu’elles vivent, les personnes en surcharge pondérale ont plus de problèmes de santé mentale et notamment un plus haut taux de suicide que le reste de la population. Pour l’étudiante, les remarques grossophobes des médecins sont d’autant plus culpabilisantes.

Une médecine en retard ?

Pour l’étudiante, la médecine est en retard par rapport aux évolutions de la société. Elle regrette que les médecins aient tendance à se croire supérieur.e.s aux autres et à refuser, lorsqu’ils.elles ne savent pas quelque chose, de l’admettre aux patient.e.s. Cela ne concerne donc selon elle pas seulement le poids : « une personne mince qui va aller voir un médecin avec les mêmes symptômes que moi va être crue, tout comme un homme blanc va davantage se faire prendre au sérieux qu’une femme racisée ».

Pour l’étudiante tout comme le professeur, il faut se concentrer sur la santé, et non sur le poids, les deux n’étant pas nécessairement corrélé.e.s. Il explique que contrairement à l’opinion populaire, il n’y a pas de risques pour la santé à avoir un surplus de poids lorsque l’on adopte de bons comportements. Le poids n’est donc qu’un indicateur de santé parmi d’autres, souligne-t-il.

Chaput reste optimiste : il remarque que la grossophobie est de plus en plus abordée dans la société tout comme dans les journaux scientifiques. Il évoque, par exemple, un changement de vocabulaire, du terme « personne obèse » à celui de « personne avec obésité », ce dernier évitant de définir la personne par sa condition.

Chaput évoque l’existence de sites internet qui, de façon similaire à RateMyProfs, permettent de noter et de laisser un commentaire public à un.e médecin. Si ces sites comportent de bons et de mauvais côtés, ils peuvent en théorie aider des personnes en surpoids à se guider vers certain.e.s soignant.e.s. En pratique cependant, le Canada fait face à une pénurie de médecins, qui ne permet pas aux patient.e.s de pouvoir choisir leurs médecins, rappelle le professeur, à moins de se tourner vers des cliniques privées.

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