Inscrire un terme

Retour
Sports et bien-être

Quand le sport devient une addiction

Camille Cottais
15 février 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Chronique rédigée par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

On évoque très souvent les bienfaits du sport, mais très peu ses méfaits. Lorsque l’activité sportive devient excessive, elle provoque pourtant de nombreux risques, sur la santé physique comme mentale. On parle alors de bigorexie pour désigner un trouble alimentaire caractérisé par un besoin compulsif de faire du sport, de façon toujours plus intense et obsessive.

La bigorexie a été reconnue en 2011 comme une addiction comportementale par l’Organisation mondiale de la santé. Certaines personnes, majoritairement des hommes, développent ce trouble alimentaire spécifique, tandis que pour d’autres, souvent des femmes, l’addiction au sport s’inscrit dans un diagnostic plus large d’anorexie mentale. Elle s’accompagne alors d’une sous-alimentation et d’une distorsion de l’image corporelle (dysmorphophobie), c’est-à-dire d’une perception erronée de son corps.

Une obsession grandissante

J’ai développé une dépendance au sport dans le cadre de troubles du comportement alimentaires (TCA). Le sport fut alors un moyen de contrôler à l’extrême mon corps, un corps qui ne me satisfaisait pas, un corps jamais assez bien à mon goût.

Cela a commencé doucement : je me rendais à la salle de sport quelques fois par semaine, jusqu’à y aller tous les jours, puis plusieurs fois dans la même journée. Quand la pandémie a contraint les salles de sport à la fermeture, je me suis mis à m’entraîner chez moi, de plus en plus, jusqu’à perdre totalement le contrôle.

Mes journées étaient rythmées par le sport, principalement la musculation. J’en faisais deux, trois, parfois quatre heures par jour, sans jamais prendre un jour de repos. En plus de cela, je marchais des heures en rond pour brûler des calories supplémentaires, obsédée par le chiffre qu’indiquait le compteur de pas de mon téléphone.

L’entraînement sportif me prenait des dizaines d’heures par semaine, sans compter le temps de préparer les séances, de me doucher, d’y penser, ou encore de m’échauffer ou de m’étirer, ce que je faisais très peu, augmentant encore davantage les risques. Pourtant, je ne suis absolument pas une athlète professionnelle : j’ai tellement peu de muscles que je peine à ouvrir une bouteille de soda. Cela montre bien la contre-productivité de mon surentraînement : je ne me musclais pas, je n’améliorais pas ma performance, je satisfaisais seulement mon addiction.

Une véritable drogue

Je pensais tout le temps à mes entraînements et privilégiais le sport à toute forme de vie sociale. Même en vacances avec des ami.e.s, il fallait que je fasse du sport. Même malade, il fallait que je fasse du sport. Même blessée, il fallait que je fasse du sport. Je ne pouvais plus m’arrêter, car si je ne m’entraînais pas intensément tous les jours, j’étais en « manque », j’étais irritable, je déprimais, et perdais toute estime de moi.

Faire du sport était devenu un besoin compulsif, vital, une drogue. J’avais besoin « d’avoir ma dose » pour me sentir bien, pour me soulager. Après mes séances, je ressentais une grande euphorie, un sentiment de plaisir. En effet, le sport génère, au même titre que les drogues ou le sexe, des hormones comme la dopamine, l’endorphine, l’adrénaline et la noradrénaline, qui stimulent le circuit du plaisir et jouent donc un grand rôle dans le développement d’addictions.

« On ne peut pas faire trop de sport »

Tout comme manger sainement, aller à la salle de sport est intrinsèquement perçu comme un signe de bonne santé. Lorsque j’évoquais mon addiction, nombreuses étaient les personnes à m’affirmer qu’on ne pouvait pas faire trop de sport. Je me suis d’ailleurs vite aperçu que faire du sport à outrance était plus accepté socialement que de m’affamer : on me réprimait quand je ne mangeais pas, mais on me félicitait quand je m’entraînais plusieurs heures par jour.

Même certain.e.s professionnel.le.s de la santé ne prenaient pas cela au sérieux. Une psychiatre et une kinésithérapeute ont ainsi soutenu que ma pratique sportive était une bonne chose pour ma santé mentale, alors même que je leur expliquais ne pas être capable de me reposer. Même chose pour ma famille qui se réjouissait de ma pratique intensive et m’encourageait à continuer.

Les risques du surentraînement

Les raisons de la dépendance au sport sont multiples : physiques (rôle des hormones mentionnées plus haut), psychologiques (problèmes d’estime de soi, TCA…), mais aussi sociales, compte tenu de la culture du régime, de la grossophobie ambiante, de la valorisation extrême du sport et des idéaux de beauté irréalisables. Cette pression sociale pour atteindre un corps « parfait » pousse les individus à être insatisfaits, voire à haïr leur corps.

Dans tous les cas, non seulement faire plusieurs heures de sport par jour est souvent inefficace pour se muscler et améliorer sa performance sportive, mais peut surtout être lourd de conséquences pour la santé, mentale comme physique.

En plus d’un épuisement physique comme mental, mes séances de sport à rallonge me provoquaient des maux de dos et des hématomes sur le corps, notamment à la poitrine, et ce, sans m’être cognée. Elles engendraient également des comportements asociaux ou encore des troubles du sommeil, et même un début d’arthrose… à 19 ans. En outre, une pratique sportive excessive comporte des risques de blessures, comme des fractures ou des déchirures musculaires, de problèmes cardiovasculaires et même cérébraux.

Ainsi, il serait selon moi judicieux que les sportif.ve.s prennent des jours de repos, limitent le temps de leurs séances, respectent leurs limites et leur corps, prennent le temps de s’échauffer, de s’étirer, mais aussi de se reposer. Je pense qu’il ne faudrait pas culpabiliser de manquer un ou plusieurs entraînements, car il y a plus important dans la vie que le sport. Celui-ci devrait être fait pour s’amuser, et non pour tenter d’atteindre des idéaux de beauté arbitraires et irréalisables.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire