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Les conséquences de la discrimination raciale sur la santé mentale

Camille Cottais
25 janvier 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Article rédigé par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

L’Université d’Ottawa (U d’O) a mis sur pied en octobre dernier le premier centre de recherches universitaires sur la santé des personnes noires au Canada. En effet, le domaine de la santé n’échappe pas au racisme systémique. Les discriminations vécues par les personnes racisées ont ainsi des conséquences sur leur santé physique, mais surtout mentale.

Le Centre interdisciplinaire pour la santé des Noir.e.s (CISN) est à l’initiative du professeur de l’École de psychologie de l’U d’O Jude Mary Cénat. Son objectif, explique Emmanuelle Bernheim, professeure en droit civil à l’U d’O et membre du comité du Centre, est de rassembler des connaissances sur le sujet de la santé des personnes noires. Selon elle, ce dernier est peu documenté au Canada, alors même que le racisme systémique est très étudié dans d’autres pays comme en Australie ou chez nos voisins étatsuniens.

Ce manque de données sur le sujet empêche de rendre visible et donc de combattre les phénomènes de racisme systémique en santé, une lacune que souhaite combler le CISN. Celui-ci, en collaboration avec des facultés, des instituts de recherche ou encore des organismes publics, étudie les déterminants biologiques, sociaux, économiques et culturels en santé, afin de lutter pour l’équité en santé, explique l’U d’O.

Diversité raciale parmi les professionnel.les de santé

L’U d’O propose plusieurs ressources en santé mentale destinées aux personnes racisées ou autochtones. Divers groupes de soutien animés par des psychothérapeutes racisé.e.s sont disponibles, tout comme des consultations individuelles avec le thérapeute Pierre Bercy qui travaille particulièrement avec les communautés racisées. Quant aux étudiant.e.s autochtones, iels peuvent contacter le Centre de ressources autochtones qui offre, entre autres choses, des services de counselling.

L’Université mentionne également le site Counseling on connecte qui propose des services s’adressant aux communautés autochtones, noires et LGBT2SQ, ainsi que des listes recensant des psychothérapeutes racisé.e.s. Elle reconnaît ainsi l’importance pour les personnes racisées d’être suivies par des thérapeutes eux.elles-mêmes racisé.e.s et d’avoir accès à des services culturellement adaptés, ce que confirment les sources interrogées.

Iman Diarra, étudiante de première année en droit civil, affirme qu’elle aurait des difficultés à se confier à un.e thérapeute non racisé.e, car celui.celle-ci ne comprendrait pas pleinement son expérience et ne la prendrait peut-être pas au sérieux. Maeva Kassi, membre de  l’Association des Leaders Étudiant.e.s Noir.e.s, ajoute qu’il.elle pourrait avoir des préjugés culturels inconscients et commettre des micro-agressions à l’égard de son.sa patient.e, aggravant ainsi sa santé mentale. Il est donc important selon elle de ressembler à son.sa thérapeute pour pouvoir être compris.e, pour créer un lien de confiance et pour que le cabinet soit un safe place pour la personne marginalisée.

Selon un sondage mené auprès de 328 Canadien.ne.s noir.e.s par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC), 60 % affirment qu’ils.elles seraient plus enclin.e.s à utiliser les services de santé mentale si le.la professionnel.le était noir.e. Accueillir plus de personnes racisées dans le personnel de santé mentale de l’U d’O pourrait faire une énorme différence, selon Diarra : « Cela pourrait aider les personnes racisées à se sentir plus concernées par les situations de santé mentale, et plus à l’aise de parler à des personnes qui vont les croire, qui ne vont pas minimiser leur expérience du racisme, les accuser d’exagérer, etc. On ne veut pas entendre ça, surtout quand ces sujets sont aussi tabous dans nos communautés. »

Racisme systémique en santé

Les deux étudiantes et la professeure s’accordent pour affirmer qu’il existe incontestablement au Canada un racisme systémique en santé. La professeure de droit civil évoque par exemple les stérilisations forcées à l’encontre des femmes autochtones et noires, tout comme le décès de Joyce Echaquan suite aux maltraitances du personnel médical de l’hôpital Saint-Charles-Borromée au Québec. En France, le décès de Naomi Musenga suite à un appel aux urgences où elle fut moquée par les opératrices tandis qu’elle agonisait n’est qu’un exemple de plus d’une société dans laquelle la douleur des femmes racisées n’est pas prise au sérieux.

Le racisme, les inégalités et les préjugés ont des conséquences palpables sur la santé physique, mais aussi mentale des personnes racisées. Selon la Commission ontarienne des droits de la personne, vivre de la discrimination raciale peut conduire à des risques plus élevés de dépression (36 fois plus de risque selon une étude du professeur Cénat), de suicide et de toxicomanie, tout comme d’anxiété et de stress (et donc de maladies causés par le stress comme l’hypertension artérielle). Elle rappelle également les hauts taux de suicide et d’alcoolisme chez les peuples autochtones, conséquences de la colonisation et du traumatisme intergénérationnel en découlant.

Ce racisme systémique en santé peut en outre faire obstacle aux soins. Ainsi, selon la CSMC, 50,8 % des Canadien.ne.s blanc.he.s estimant avoir une santé mentale passable ou mauvaise ont utilisé les services de santé mentale, contre seulement 38,3 % des Canadien.ne.s noir.e.s. Les personnes noires sont donc moins enclines à demander de l’aide lorsqu’elles sont en détresse psychologique, ce qui peut également être expliqué, selon Kassi, par la persistance d’un tabou autour de la santé mentale au sein des communautés noires. L’étudiante affirme par exemple qu’aller chez le.la psychologue est souvent vu dans son pays comme « un truc de blanc.he.s ».

Également, les services de santé mentale sont très onéreux et souvent non couverts par les assurances maladie, nous rappelle Bernheim. Les personnes racisées et autochtones étant plus touchées par le chômage et la précarité et gagnant en moyenne moins que les personnes blanches, elles ont donc plus difficilement accès aux psychothérapies, aux services de psychiatrie et à la médication, poursuit la professeure.

Diarra conclut en rappelant qu’il n’est pas nécessaire d’avoir été soi-même victime de discrimination raciale explicite pour que sa santé mentale soit affectée. En effet, elle explique que les personnes racisées grandissent dans une société où la violence à leur encontre est omniprésente, et développent donc de l’anxiété en conséquence, conscientes que la même chose pourrait à tout moment leur arriver, et ce souvent en toute impunité.

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