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La haine me fait perdre la foi

Rédaction
15 juin 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Journaliste

Chronique rédigée par Nisrine Nail – Journaliste

Les funérailles publiques de Talat Afzaal, âgée de 74 ans, de Salman Afzaal, âgé de 46 ans, de Madiha Salman, âgée de 44 ans, et de Yumna Salman, l’adolescente de 15 ans, se sont déroulées le 12 juin. Un hommage à cette famille tuée à London, Ontario, percutée délibérément par un islamophobe dans son véhicule. La communauté musulmane se voit de nouveau en deuil. 

Premier jour de deuil

Je ne vais jamais oublier la fois où ma petite sœur est rentrée de l’école la mine grise. On l’avait traité de terroriste cette journée-là. Une jeune fille de 13 ans. Ne portant même pas le voile. Ce fut la première fois. Mais loin d’être la dernière. 

Je ne vais jamais oublier la fois où le panier de ma mère s’est violemment fait frapper par le panier d’un homme grand, costaud et blanc dans une allée au Costco. Un regard rempli d’indignation. Indigné, car ma mère avait le culot d’exister. 

Je ne vais jamais oublier la fois où mon père s’est fait dire que sa « tête d’Arabe islamique » ne méritait pas d’être ici et qu’il doit retourner dans son « État d’islamistes ». Parce que bien entendu, tous les Arabes sont musulman.e.s. Et évidemment, tous les musulman.e.s sont des terroristes. Et bien entendu, tous les terroristes vivent dans « l’État d’islamistes ». 

Je ne vais jamais oublier la fois où une éducatrice a dit à une enfant qu’elle aurait plus d’ami.e.s si elle ne portait pas son hijab. 

Je ne vais jamais oublier la fois où un couple a harcelé une femme dans le centre commercial pour qu’elle enlève son voile. « Ne veux-tu pas être libre? Veux-tu rester soumise? On essaye de te sauver ». 

Je ne vais jamais oublier la fois, ou devrais-je dire les maintes fois, où l’on a vandalisé la mosquée de mon secteur. Un endroit de paix qui a dû sombrer dans l’angoisse.

Je ne vais jamais oublier la fois où un homme qui portait une longue barbe s’est fait demander par un groupe de jeunes ignorants s’il portait une bombe sur lui. En plein jour, à l’arrêt de l’autobus. En toute franchise, je ne saurais même décrire son expression. Ce que je sais, c’est que cet opprobre brutal le marquera à jamais.  

Parce que, oui, tout commence par un tout petit préjugé. Le préjugé devient un stéréotype. Qui devient ensuite une étiquette permanente. Qui finit par devenir une cible. Et cette cible inaltérable demeure. Les choses peuvent paraître si inoffensives, jusqu’à ce qu’elles s’élargissent et finissent par être destructives. Comme une étincelle qui déclenche un incendie. Comme un regard haineux qui se conclut par quatre cercueils. 

Deuxième jour de deuil 

J’ai toujours eu une relation compliquée avec ma foi. Je sais très bien que je ne suis pas la seule. J’en ai discuté récemment avec une amie au téléphone. Appelons-la Amal. Ceux et celles qui connaissent l’arabe sauront que je n’ai pas pris ce nom par hasard. 

Amal et moi nous questionnons sur tout. Absolument tout. Et un sujet de réflexion qui revient de manière récurrente dans nos conversations, ce sont bel et bien nos croyances. On a conclu que converser sur la foi nous a toujours rendues mal à l’aise. Sûrement parce qu’on veut s’éloigner de tout jugement. Mais pourquoi est-ce si difficile pour nous d’accepter notre foi ? Ou même de simplement en parler ? Pourquoi est-ce que l’on craint ce jugement ? Et bien, fort probablement en raison de toutes les situations dégradantes dont j’ai été témoin. 

« Je crois que j’ai juste peur d’être musulmane », dis-je en rigolant nerveusement.

Silence. 

Pas de réponse. 

Je ne peux même pas voir son visage pour lire ce qui se passe dans sa tête. 

Et merde. Je pense que j’ai dit une connerie. 

« Amal, je m’excuse, c’est sorti tout seul, je n’ai – »

« Nisrine… » m’interrompt-elle. « Je pense que j’ai peur d’être musulmane aussi ».

Je ne vais pas entrer en profondeur sur mes crises existentielles hebdomadaires et celles d’Amal, car là n’est pas le point. Ceci n’est même pas question de ma foi. Ceci est une question d’avoir la certitude que si j’étais ouvertement de foi musulmane, je ne risquerais pas de me faire délibérément foncée dessus par un truck

X jours de deuil

Je suis tellement fatiguée de voir les gens mourir à cause de qui ils.elles sont. Je suis tellement fatiguée de voir des gens se faire tuer parce qu’ils existent. Je suis tellement fatiguée de voir les gens se faire arracher la vie de leurs mains à cause de leur identité. Parfois, j’ai le cœur tellement lourd par le chagrin, la colère, l’appréhension et l’anéantissement que j’ai du mal à respirer. Je ne veux plus être endeuillée en raison de la haine. De toute façon, je n’en peux plus. 

Ces meurtres, parce que oui, ce sont des meurtres, sont un rappel constant aux minorités qu’elles ne sont pas en sécurité, qu’elles sont loin d’être acceptées. Que vous soyez une femme, un.e membre de la communauté 2SLGBTQIA+, que vous soyez autochtone, noir.e, asiatique, que vous soyez juif.ve, musulman, etc. Vous allez devoir malheureusement souffrir pour qui vous êtes. Ce n’est plus tolérable. Ne pas être libre de vivre et d’être, n’est pas tolérable. 

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