Crédit visuel : Hidaya Tchassanti – Directrice artistique
Chronique rédigée par Ismail Bekkali – Journaliste
L’actualité nationale des dernières semaines a été marquée par une réforme de la politique migratoire en ce qui concerne les étudiant.e.s internationaux.ales. Dans une volonté de réduire son nombre d’entrées, le gouvernement fédéral a pris la décision d’introduire un cap d’admission pour les futur.e.s étudiant.e.s, et de transformer radicalement son programme de permis de travail post-diplôme. Alors que des dizaines de milliers de personnes font potentiellement face à une déportation forcée, d’autres semblent se réjouir de cette baisse d’effectif.
Le conte contemporain de l’immigration est aujourd’hui bien connu du grand public, à un tel point que le scénario d’un.e héros.ïne principal.e qui fuit les conditions de vie atroces de son pays est devenu monnaie courante. Loin des histoires tragiques des réfugié.e.s de guerre, l’immigration implique aussi des personnages plus banals, se mettant en quête d’une situation stable, voire d’ascension sociale à l’étranger. Parmi cette panoplie de pays qui recueillent les espérances de beaucoup, le Canada s’est longtemps démarqué du lot avec une politique migratoire très ouverte.
Cette politique a eu tendance à cibler certains profils, notamment les étudiant.e.s, pour contribuer à sa population résidente. Toutefois, ce n’est pas sans mise en garde ! La voie du preux étudiant.e est un chemin semé d’embûches, mais qui mène à force d’efforts et de persévérance, à la paix intérieure et financière. Ces étudiant.e.s étranger.e.s sont devenu.e.s des travailleur.se.s, puis des résident.e.s, et éventuellement des citoyen.ne.s, qui vécurent heureux.ses et eurent un peu d’argent. Ainsi se conclut le cycle naturel de l’immigré.e, initié.e dans des temps immémoriaux par le tout-puissant gouvernement fédéral canadien.
Quand l’espoir d’ascension devient un cauchemar de déportation
Force est de constater que l’actualité politique actuelle perturbe ce cycle de la vie. L’équilibre est rompu, le gouvernement fédéral n’accorde plus le permis de travail permettant aux aventurier.e.s d’avancer dans leur quête. Les étudiant.e.s étranger.e.s qui viennent de débuter leur aventure, se retrouvent alors coincé.e.s. Perdu.e.s dans la sombre forêt de l’incertitude, leurs objectifs sont brisés : l’ascension est remplacée par la déportation, la stabilité par la précarité, et le foyer social laisse place à la honte familiale.
Parallèlement, il semblerait que beaucoup de résident.e.s se plaignent, à juste raison, des ressources de plus en plus insuffisantes pour subvenir à leurs besoins. Le taux de chômage monte, pendant que les prix des loyers refusent de baisser. Face à cette situation de crise, certain.e.s rejettent la faute de ce manque sur cette population étrangère, supposément ingrate du privilège qui leur est donné. L’étudiant.e étranger.e devient lui ou elle aussi responsable de bien des maux, incluant entre autres le vol d’emplois et l’invasion culturelle.
Bien que ces enjeux d’inflation et de surpopulation soient réels, il me semble important de rappeler qu’il est inutile de faire culpabiliser d’autres personnes pour une simple raison : au sein d’une société, la fonction d’un individu est rarement celle d’acteur, mais plutôt celle d’objet passif. Une communauté ne peut être tenue responsable d’une dynamique qu’elle-même subit, et que seul l’État peut corriger. Penser autrement ne ferait que déresponsabiliser son gouvernement.
Au-delà de cette considération, le sentiment d’injustice exprimé par certain.e.s envers les étranger.e.s est tout aussi non fondé. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le cadre démocratique du Canada n’accorde pas une égalité des chances à tou.te.s, chose qui est tout à fait normale. Il en va de l’ordinaire pour un État de privilégier ses citoyen.ne.s, plutôt que des étranger.e.s. Ainsi, les résident.e.s temporaires ne peuvent simplement pas « voler » d’emplois, leurs diplômes d’éducation ne sont en fait souvent pas reconnus, et l’accès à un logement étudiant leur est défavorisé.
Économie sauvée, étranger.e.s sacrifié.e.s
Loin d’être exhaustive, cette liste comprend des difficultés dont chaque étudiant.e international.e a conscience en venant au Canada, et se résigne à endurer. Ce qui n’est pas normal en revanche, c’est de constater que des citoyen.ne.s se plaignent des étranger.e.s comme des enfants gâtés. Ce manque de compassion est très ironique sachant qu’une majorité de canadien.ne.s sont soit issus de l’immigration, soit héritier.e.s d’anciens colonisateurs.
Même si le statut de « résident.e temporaire » laisse entendre que la déportation serait contractuellement juste, l’éthique d’une telle initiative me semble inhumaine compte tenu du montant d’efforts, de temps, et surtout d’argent, investis par les étudiant.e.s et travailleur.se.s venant de l’étranger. Le prix faramineux de l’éducation postsecondaire est à lui seul le signe d’un braquage de portefeuille inavoué. Les frais de scolarité des citoyen.ne.s sont gelés, mais aux dépens d’une augmentation annuelle qui se compte en milliers de dollars pour les étudiant.e.s internationaux.ales.
Bien que les institutions universitaires soient les principales à blâmer pour une telle escroquerie, il ne faut pas oublier celle accomplie par le gouvernement canadien. Chaque travailleur.se venu sur le territoire paye des taxes, déclare ses revenus, et participe activement à l’économie nationale, pour être finalement gracieusement remercié.e par une déportation forcée.
Cette dernière contradiction ne peut que révéler une dynamique d’exploitation. Tout comme il est légitime pour un gouvernement de diminuer son nombre d’arrivant.e.s pour le bien de ses citoyen.ne.s, il est abject de constater que cela se fait aux dépens d’autres êtres humains. La date d’expiration d’un permis d’études ou de travail n’est en aucun cas une date de péremption. Merci de réaliser que les personnes qui sont déportées ne sont pas des produits dont il faut se débarrasser une fois qu’ils ont été usés.