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J’ai le droit de m’exprimer, mais y a-t-il des limites ?

Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique

Chronique rédigée par Charlie Correia — Journaliste

De nos jours, la société est de plus en plus consciente de ses droits et, en particulier, de sa liberté d’expression. Beaucoup invoquent leur droit à la liberté d’expression sans toujours prendre en compte les responsabilités qui l’accompagnent. La question suivante se pose donc : la liberté d’expression peut-elle affranchir de toute contrainte ceux et celles qui en abusent ? Jusqu’où peut-elle aller ?

Selon la Charte canadienne des droits et libertés du Canada, la liberté d’expression signifie avoir la « liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ». Jusque là, tout va bien. 

Un problème s’impose lorsque ceux et celles qui prêchent des propos insensés (je pense ici aux discours d’influenceurs masculinistes qui s’autoproclament « mâles alphas ») invoquent la liberté d’expression pour justifier leurs discours, qu’il.elle.s qualifient comme étant LA vérité. Comme l’expression le dit, la liberté d’expression a « le dos large » !

Répercussions négligées

Ceux et celles qui évoquent leur droit de parole pour propager des discours haineux oublient souvent un petit détail :  leurs propos peuvent avoir des conséquences. C’est bien beau la liberté d’expression, mais ces personnes sont-elles prêtes à assumer les retombées de leurs déclarations ? Les masculinistes extrémistes, convaincus que leur masculinité est menacée, diffusent des discours misogynes sans mesurer l’impact de leurs propos. Ils ne pensent pas aux jeunes hommes influençables, dont l’esprit critique n’est pas totalement développé, qui consomment leur contenu sans faire la distinction entre le vrai et le faux. 

Tout le monde a le droit de s’exprimer, mais jusqu’à quel point ? Pour reprendre une phrase que l’on m’a maintes fois répétée, tirée d’un proverbe français, « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». Quand tu empiètes sur la limite de mes droits, il peut y avoir des incidences.

Oui, la liberté d’expression est un droit fondamental, mais qui n’est pas absolu. Elle ne l’emporte pas sur les autres droits garantis par la Charte, comme la protection contre  la haine raciale, ethnique ou religieuse, l’apologie de crimes de guerre, les propos discriminatoires à raison d’une orientation sexuelle ou d’un handicap, etc.

Gestion des médias numériques  

La montée en popularité des réseaux sociaux, balados et autres blogues amène un débat dans le monde des médias. Les journalistes au Canada n’ont pas d’ordre professionnel qui protège le public dans la diffusion de contenus. Il existe des règles éthiques strictes et certaines instances, comme le Conseil de presse du Québec ou l’Ombudsman de Radio-Canada, mais ceux et celles qui ont des plateformes numériques indépendantes n’ont aucun encadrement qui régule les discussions qui sont diffusées. Cela permet à certaines personnes qui tiennent des propos problématiques de le faire librement, sans aucune restriction. L’absence de contraintes conduit parfois à l’imposition de croyances et d’idées des groupes dominants, entraînant des affrontements de tous genres.  

Cela s’avère plus grave lorsque des figures populaires ou des dirigeant.e.s important.e.s se servent des médias sociaux pour tenir des déclarations controversées. L’exemple le plus récent est Donald Trump et son disciple, Elon Musk. 

Rappelons nous que la suspension du compte X (Twitter) de Trump a été décidée par les ancien.ne.s responsables de la plateforme, inquiet.e.s des répercussions de ses allégations sur la population. Son bannissement, justifié par ses déclarations jugées problématiques, montre qu’il avait franchi un seuil critique. Bien sûr, Trump s’est insurgé, invoquant la liberté d’expression et dénonçant un complot contre lui. Son exclusion temporaire a illustré les dangers liés à la désinformation, mais son retour sur la plateforme, lui permettant à nouveau de propager des affirmations fausses ou trompeuses, souligne le manque de régulation des contenus en ligne.

Évidemment, Musk a soutenu sa décision en brandissant la liberté d’expression comme outil essentiel à la démocratie, mais en réalité, il ne faisait que légitimer leur plaisir mutuel à propager des absurdités sur la plateforme X. Ceci démontre clairement que l’absence de réglementation sur l’utilisation des médias sociaux empêche le respect des limites encadrant la liberté d’expression.

Entre liberté et régulation : un équilibre nécessaire

Pour revenir à mon questionnement initial, à quel moment la liberté d’expression peut-elle cesser d’être invoquée aussi largement et de manière autant abusive que le 5e amendement aux États-Unis

Il est impératif d’encadrer les médias numériques pour protéger à la fois le public et la liberté d’expression. Il est également essentiel d’éviter l’instauration d’une autocensure arbitraire sans contrôle indépendant et démocratique. En réalité, tout ce qui est interdit hors ligne ou dans les médias traditionnels devrait aussi l’être pour les médias en ligne. Tout le monde a le droit d’exprimer son opinion, mais il y a une manière de rapporter l’information sans la dénaturer et la sortir de son contexte. 

Bref, la liberté d’expression est un droit fondamental, mais qui n’est pas dénué de limites. L’abus de ce droit pourrait être l’une des raisons expliquant la crise médiatique actuelle.

Il est paradoxal de constater que les figures qui abusent de la liberté d’expression captent souvent plus d’attention que celles qui la défendent avec rigueur. Comment se fait-il qu’une partie de la population aime mieux se fier aux informations livrées par un.e blogueur.se ou influenceur.se quelconque, plutôt qu’à des journalistes formé.e.s pour rapporter des nouvelles ?  

Je ne trouve pas de réponse pour l’instant, mais je suis certaine qu’il faut équilibrer liberté d’expression et protection des autres droits, sans en faire un prétexte pour dire n’importe quoi.

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