Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Éditorial collaboratif rédigé par Camille Cottais – Rédactrice en chef
Elon Musk a acquis le réseau social Twitter en 2022, le transformant en X, une plateforme synonyme de sous-modération, désinformation en tout genre et incitations à la haine. Mais depuis le rapprochement de l’homme le plus riche du monde avec Donald Trump, X-Twitter est clairement devenu un outil de propagande pour l’extrême droite américaine. Cette plateforme ne peut plus correspondre à nos valeurs, que ce soit en tant qu’individu, journal étudiant ou institution universitaire.
C’est une décision prise par de nombreux.ses personnalités publiques, médias indépendants, chercheur.se.s et collectifs dans le monde, tels que le journal britannique The Guardian, les journaux français Le Monde et Libération, ou encore l’ONG de protection environnementale Greenpeace. Si certain.e.s ont quitté le réseau social dès novembre, d’autres ont attendu le 20 janvier dernier, date symbolique de l’investiture de Trump à la Maison-Blanche, pour signifier leur opposition à l’ère post-vérité que tente d’instaurer le duo Trump-Musk.
Pourtant, Twitter n’a pas toujours été le lieu privilégié du racisme décomplexé, des théories complotistes et des fake news. Créé en 2006, le réseau n’a jamais été aussi populaire qu’Instagram ou Facebook, mais la présence massive des politicien.ne.s et des journalistes en a fait un outil médiatique incontournable. Son importance dans la culture web est également à souligner, avec son rythme effréné ayant permis l’émergence de « memes » et « threads » en tout genre.
Loin de nous l’idée de prétendre que Twitter était un réseau social de Calinours avant l’arrivée de Musk : son format ultra-rapide a toujours favorisé les communications agressives, méprisantes et polémiques, l’information s’y noyait souvent dans le bruit, et le cyber-harcèlement y a toujours régné en maître. Mais paradoxalement, Twitter a aidé à démocratiser les idées progressistes, notamment féministes, antiracistes et écologistes. On pense bien sûr au mot-clic #MeToo en 2017, qui a permis de libérer la parole des victimes de violences sexuelles, ou au #BlackLivesMatter. Si ces mouvements sont loin de se limiter à Twitter, le réseau a néanmoins facilité leur résonance médiatique et a été un outil privilégié pour témoigner du sexisme et du racisme dits « ordinaires ».
La trumpisation du réseau
Tout cela a cependant perdu en goût depuis l’arrivée de Musk, qui a acheté la plateforme en octobre 2022 pour la modique somme de 44 milliards de dollars. Pour rappel, Musk, dirigeant des entreprises Tesla et SpaceX, est l’homme le plus riche du monde, avec une fortune estimée à 433 milliards de dollars par l’indice Bloomberg. Soutien important de Trump, dont il a financé la campagne à hauteur de 270 millions de dollars, l’homme dont le salut nazi a choqué le monde entier a même été nommé « ministre de la réduction des coûts » par celui-ci.
Depuis son acquisition du réseau social, Musk a renvoyé environ la moitié de son personnel, incluant de nombreux.ses modérateur.ice.s. Les conséquences d’une quasi-absence de modération étaient prévisibles : une augmentation palpable des contenus pornographiques, des discours haineux, complotistes et autres contenus d’extrême droite sur la plateforme. Cela a été renforcé par des changements dans l’algorithme permettant la mise en avant des tweets de Musk et des partisan.e.s de Trump dans le fil d’actualité des utilisateur.ice.s. Les messages pro-Trump de Musk auraient ainsi récolté plus de 17 milliards de vues lors de la campagne électorale de 2024.
À cela s’ajoute la réactivation par Musk des comptes bannis pour incitation à la haine, comme ceux de Trump, Andrew Tate ou encore Jordan Peterson, qui envoie un message clair : X est aujourd’hui un espace où les discours toxiques et la désinformation sont tolérés, et même encouragés.
X a également modifié le badge de certification, qui permettait de reconnaître médias fiables, politicien.ne.s ou encore influenceur.se.s, en le réservant à n’importe quel.le utilisateur.ice souhaitant payer pour augmenter sa visibilité. Une privatisation partielle du réseau social qui le rapproche plus que jamais d’un boys club oligarchique et républicain.
Bref, le fait qu’autant d’utilisateur.ice.s utilisent toujours l’appellation « Twitter » plutôt que « X » ne montre pas seulement la difficulté à se détacher d’une vieille habitude. Cette tendance est révélatrice d’un sentiment de nostalgie pour un réseau qui a beaucoup trop changé pour que nous, étudiant.e.s, professeur.e.s, employé.e.s de l’Université, puissions encore nous y reconnaître.
Un combat idéologique
Musk n’a eu cesse de justifier son rachat de Twitter puis ses choix de modération et la réactivation des comptes polémiques par la défense de la sacrosainte liberté d’expression. Pourtant, il cache peu que son véritable but est de mener un combat idéologique contre ce qu’il appelle le « woke mind virus » (virus woke). Dans un tweet de mai 2022, il affirmait par exemple : « unless it is stopped, the woke mind virus will destroy civilization and humanity will never reached [sic] Mars » (s’il n’est pas arrêté, le virus woke détruira la civilisation et l’humanité n’atteindra jamais Mars). Non, ce n’est malheureusement pas une blague, écriture inclusive, rapports du GIEC, véganes aux cheveux bleus et étudiant.e.s en lettres en sarouel hantent apparemment les cauchemars de Musk.
Musk a d’ailleurs une conception bien à lui de cette fameuse liberté d’expression : laisser Trump et Tate déblatérer leurs âneries serait être un champion de la liberté d’expression, mais alors comment qualifier sa censure de tous les comptes et contenus allant à son encontre ? Musk a en effet suspendu à son arrivée de nombreux comptes de journalistes, d’influenceur.se.s et d’opposant.e.s politiques. Lorsque beaucoup ont décidé de migrer vers l’un des concurrents de X, Mastodon, Musk n’a pas hésité à censurer le mot « Mastodon » comme contenu sensible et à fermer tout compte contenant un lien Mastodon dans son profil. Comme toujours, la liberté d’expression des néo-fascistes est à géométrie variable.
Mais Musk n’est pas le seul à manger dans la main de l’extrême droite américaine : Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) semble suivre cette tendance préoccupante, en témoigne les changements récents dans la politique de modération sur les contenus haineux et les fake news. Mark Zuckerberg a en effet pris la décision le 7 janvier dernier de mettre fin à son programme de fact-checking aux États-Unis, ainsi que d’assouplir les règles de modération concernant notamment l’identité de genre et l’immigration. Il sera par exemple maintenant possible sur Facebook et Instagram de qualifier les femmes d’objets ou la transidentité de maladie mentale, sans être sanctionné.e. Celui qui avait longtemps évité de prendre parti lors des élections américaines n’hésite aujourd’hui pas à intervenir dans un podcast pro-Trump pour revendiquer plus d’« énergie masculine » et moins de politique de diversité.
On pourrait croire que le danger ne concerne que la société étatsunienne, que nous sommes, au Canada, immunisé.e.s à cette muskisation du débat public en ligne. Que nenni ! Musk n’hésite pas à s’impliquer en politique étrangère, notamment en soutenant activement les néo-nazis de l’AfD en Allemagne et de Giorgia Meloni en Italie et en tentant progressivement de s’ingérer en politique britannique.
Bref, il n’est pas si exagéré d’affirmer que X est devenu une arme mondiale de propagande néo-fasciste.
L’ère de la désinformation
Quitter X n’est cependant pas seulement un enjeu idéologique pour nous, c’est aussi une question d’éthique journalistique.
Même avant l’arrivée de Musk, la limite de caractères (140 puis 280 à partir de 2014) n’a jamais permis l’expression d’idées nuancées et la contextualisation des informations sur la plateforme. Pour notre équipe, réduire la complexité d’un article à 280 caractères pour en faire la promotion a toujours été source de frustrations.
Aujourd’hui, il est clair que X dévalorise le travail journalistique et même les principes démocratiques dans leur ensemble. En plus d’avoir suspendu la politique de vérification de l’information, notamment relative à la COVID-19, sur la plateforme, Musk a activement diffusé de fausses informations sur Kamala Harris, les migrant.e.s ou encore le processus électoral lors de la campagne présidentielle de 2024. Il n’a pas hésité à organiser des loteries à un million de dollars pour les électeur.ice.s de Trump, une pratique qui s’apparentent directement à de l’achat de votes. Il a même financé un faux site de campagne de Harris, Progress 2028, qui caricaturait à l’extrême son programme.
Ainsi, même si la présence sur les réseaux sociaux est indispensable pour un journal étudiant, la déchéance de X-Twitter ne peut que nous pousser à déserter cette plateforme qui ne correspond plus à nos valeurs. Aussi modeste soit notre influence dans ce vaste écosystème médiatique, nous refusons de contribuer un tant soit peu à la détérioration de notre environnement numérique et à l’extrême-droitisation du débat public.
Ce qui nous pousse à nous demander : pourquoi notre université continue-t-elle à être active sur cette plateforme, qui prône le contraire de ce qu’elle est censée représenter – réflexion critique, dialogue ouvert, authenticité, humilité intellectuelle ? L’Université du Québec à Rimouski (UQAR) est la première à avoir quitté X en raison de ses nouvelles règles de modération, et nous encourageons l’Université d’Ottawa à sauter le pas.
Nous invitons également les étudiant.e.s, professeur.e.s, journaux étudiant.e.s, clubs et associations, ainsi que les divers.es facultés et départements universitaires qui nous lisent à investir leur énergie dans des réseaux plus respectueux de l’information et de la démocratie, comme Bluesky et Mastodon. Quant à elle, La Rotonde continuera à vous informer sur Instagram, TikTok, Youtube, LinkedIn, Threads, et bien sûr directement sur son site web.