
Jocelyn Forgues met la francophonie sous les projecteurs avec son nouveau film « Et Maintenant ? »
Crédit visuel : Max Forgues
Entrevue réalisée par Ismail Bekkali – Journaliste
Le réalisateur et scénariste franco-ontarien Jocelyn Forgue réalise avec « Et Maintenant ? » son deuxième long métrage, dont certaines scènes ont été tournées à l’Université d’Ottawa. Le film, dont la sortie est prévue pour l’automne 2025, raconte l’histoire de Vincent, chanteur confronté au cancer de la langue, et des relations qui se forment durant cette épreuve. Forgues partage avec La Rotonde son parcours, ses influences, et ses espoirs pour l’avenir du cinéma franco-ontarien.
La Rotonde (LR) : Comment êtes-vous devenu réalisateur ?
Jocelyn Forgues (JF) : Lorsque j’étais au secondaire j’ai eu la piqûre du théâtre, après je suis allé à Los Angeles pour une formation d’acteur. Ça m’a apporté à devenir à la fois acteur professionnel, à enseigner les arts dramatiques et à voyager à travers le Canada. Je suis originaire de l’Ontario, mais j’ai habité dans l’Ouest canadien pendant des années. Lorsque j’ai quitté l’Ouest, on offrait des bourses pour aller étudier la réalisation et la scénarisation à l’INIS à Montréal, l’Institut national de l’image et du son. Je voulais découvrir un autre médium de jeu et d’interprétation, mais au lieu que ce soit au théâtre, que ce soit avec une caméra. J’ai obtenu les bourses, je suis allé étudier, et depuis je gagne ma vie comme scénariste-réalisateur.
LR : Quelle est l’importance de la francophonie dans votre travail et dans ce film ?
JF : J’ai grandi dans une famille francophone en Ontario, donc en minorité. Grâce à mon métier, mes voyages au Canada, j’ai appris à connaître les différentes francophonies, que ce soit par exemple en Saskatchewan, les Franco-Manitobain.e.s, Franco-Albertain.e.s, etc. Quand je parle de francophonie, je parle des francophonies. Cela m’influence beaucoup.
Je pense que ma créativité et mon imaginaire sont aussi francophones. Donc les histoires dans ma tête sont des personnages francophones, dans des milieux francophones. Dans mes dialogues parfois se glissent parfois des anglicismes et des personnages anglophones. Je pense que c’est une réalité partout au Canada. Ayant vécu dans différentes provinces, des milieux minoritaires, ça vient définitivement teinter mon imaginaire.
LR : Quels sont les principaux thèmes que vous souhaitez explorer dans ce film ?
JF : C’est un film sur le cancer, donc on va parler de maladies graves, mais ça demeure une dramédie. Oui, c’est un drame, ce n’est pas un sujet facile à aborder, mais il y a des moments légers aussi. Je me suis grandement inspiré de mon vécu, parce que j’ai eu un cancer de la langue, comme le personnage principal, et j’ai prêté ce vécu à un personnage fictif. Ce n’est pas un film autobiographique, mais pour pouvoir approfondir la psychologie du personnage, je me suis inspiré de comment je l’ai vécu comme francophone en situation minoritaire.
Le cancer était nouveau pour moi, dans le sens où on entend beaucoup parler de cancer, mais lorsque l’on passe à travers, on sait ce que ça représente. Après avoir dû passer à travers des traitements de chimio, de radiation, et tout ce système de santé pendant des mois, je me suis dit qu’il y avait des éléments intéressants pour en faire une belle histoire, pour permettre au public de ne pas juste entendre parler d’une histoire de cancer, mais de le vivre à l’écran avec eux. Je me suis dit qu’il y a quelque chose d’universel dans cette histoire.
LR : Quels ont été les défis que vous avez rencontrés lors du tournage ?
JF : Les saisons sont importantes dans cette histoire, parce que le cancer n’est pas l’histoire d’une semaine. Pour moi, c’était très important d’illustrer le passage du temps à travers les saisons. Mais le plus grand défi, c’est toujours de trouver les sous. Ça, c’est plus au niveau de la production. Christelle, la productrice à ATO Média, semblait enthousiasmée par le scénario, et elle est allée cogner aux portes. On a eu la chance d’avoir accès à Téléfilms Canada, qui était vraiment la première source de financement.
Ensuite, le défi, était en pré-production, où il faut tout préparer, dont les lieux. Il y en avait deux qui étaient plus importants. Il fallait trouver un centre de cancérologie, on veut voir ce centre, voir notre personnage passer à travers les traitements, et c’est sûr qu’on ne peut pas juste s’immiscer dans un centre et commencer à tourner. On a eu l’appui incroyable de la Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa, qui nous a donné accès à leur édifice au 200 Lees, au troisième étage. Ils ont des laboratoires pour les cours d’infirmier.ière.s qui ressemblent à des hôpitaux, donc on a transformé l’étage en centre de cancérologie. L’autre lieu était la maison du protagoniste, qui est un personnage en soi, un médium visuel. La maison représente un peu son corps. On a pris une vieille maison qui était en abandon et que le personnage veut rénover. Un peu comme avec le cancer, il veut rénover son corps, le guérir et guérir la maison aussi.
LR : Avez-vous des attentes particulières quant à la réception de ce film par le public francophone ?
JF : Pour moi, le cinéma, ce sont des émotions qu’on essaie de faire vivre à un public, et je me suis dit qu’à travers cette histoire-là, il y a de belles émotions à vivre. Même si c’est sur le cancer, ce n’est pas un film glauque. C’est un film d’espoir. Maintenant, quelle sera la réception du public ? On ne sait jamais. Mais ce que je peux dire pour l’instant, c’est qu’au fur et à mesure que les gens lisaient le scénario, que ce soit la productrice, les comédien.ne.s ou l’équipe technique, la majorité m’ont partagé qu’ils.elles avaient ri, pleuré, et étaient très touché.e.s par l’histoire. Je me dis que si ça a autant touché l’équipe, je souhaite que ça touche aussi le public.
LR : Quels sont vos prochains projets ou vos aspirations futures ?
JF : J’adore le travail d’équipe sur un plateau, autant avec l’équipe technique qu’avec les acteur.ice.s, parce que le produit final donne un tout plus grand que ce que j’aurais pu faire seul. J’ai déjà reçu une nouvelle bourse d’écriture du Conseil des arts de l’Ontario pour écrire mon troisième long-métrage. Donc, je suis en scénarisation en ce moment, mais je développe aussi des idées de séries télé-fiction. Et puis à l’automne, on a avec ATO Média la troisième saison de Gang the Hockey qui s’en vient pour TFO. C’est sûr que comme réalisateur, on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve, mais c’est plus fort que moi : j’ai besoin de créer des personnages et des histoires qui peuvent divertir un public.
LR : Comment voyez-vous l’avenir du cinéma franco-ontarien ?
JF : Le plus grand défi est le financement. Au Canada, notre industrie est très différente de celle des États-Unis. On n’a pas des studios qui ont des milliards de dollars pour faire des films. Nos films sont souvent financés par nos gouvernements. Par exemple, Téléfilm Canada, c’est le gouvernement fédéral. Il faut que ces sources de financement soient ouvertes aux histoires franco-canadiennes.
On a vu dans le passé certains investisseurs qui disent qu’il n’y a pas de talent en région, que le talent est seulement à Montréal, que c’est à nous de faire nos preuves. L’argent est réparti deux tiers en anglais, un tiers en français, mais ce tiers, bien souvent, reste au Québec. Donc, nous, on a les miettes de ça : on est la minorité de la minorité. Je pense qu’on a tellement de créativité en région qu’on est capables de faire beaucoup avec peu. On voit depuis quelques années une ouverture aux investissements en région, et je suis convaincu qu’il y en aura plus à l’avenir.