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Arts et culture

Journée nationale des peuples autochtones : « Ceci ne se limite pas à une reconnaissance, c’est aussi un appel à l’action. »

Crédit visuel : Jessica Malutama – Co-rédactrice en chef (photo), Jurgen Hoth (édition)   

Article rédigé par Jessica Malutama – Co-rédactrice en chef

Deux jours après la date officielle de la Journée nationale des peuples autochtones, l’Agora de Jock Turcot s’est animée. Tambours, chants, récits, danse : la communauté universitaire s’est rassemblée pour faire mémoire, célébrer et amplifier les luttes des peuples autochtones d’hier et d’aujourd’hui.  

Célébrer, résister, apprendre 

La voix d’Avalyn Kwai Pun, étudiante et coordinatrice au Centre d’expérience des étudiant(e)s racialisé(e)s et autochtones (Centre EÉRA) a résonné dans l’Agora alors qu’elle ouvrait la cérémonie du 23 juin : « Célébrer et honorer la Journée nationale des peuples autochtones ne se limite pas à une reconnaissance, c’est aussi un appel à l’action. » 

Organisée par le Centre EÉRA, le Centre des ressources Autochtones de l’Université d’Ottawa (CRA) et appuyée par le Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa (SÉUO), la matinée s’inscrivait dans une volonté de mémoire, de justice et de solidarité. 

Dans son allocution, l’organisatrice communautaire a rappelé la résilience des communautés autochtones « malgré des siècles de colonisation », leur lien vivant à la Terre et l’urgence de tendre l’oreille aux luttes contre l’effacement des peuples autochtones, au Canada, à Gaza et ailleurs dans le monde. 

« Le véritable respect signifie écouter, apprendre et s’opposer à l’injustice, où qu’elle se produise et à chaque fois qu’elle se produit », a-t-elle affirmé. 

Dara Wawatie-Chabot, étudiant.e et superviseur.e des relations autochtones au Centre EÉRA a souligné que l’Université d’Ottawa (l’U d’O) se trouve sur le territoire non cédé des peuples anishinabeg. « [Cette journée] est très importante pas uniquement parce que c’est une célébration, mais aussi parce que c’est un moment d’éducation.» 

Pour iel, la réconciliation ne peut exister sans vérité et exige un apprentissage sans fin qui engage chacun.e. Quanah Traviss, vice-président à la philanthropie de l’Association des Étudiant(e)s Autochtones (AÉA) a évoqué la pluralité des vécus liés à cette journée, y compris le sien, dans sa prise de parole.

« La Journée nationale des peuples autochtones, c’est complexe. Elle signifie quelque chose de différent pour chaque personne [autochtone ou allochtone] dans cette salle. »  

Il a ajouté : « […] Pour moi, c’est un bon jour pour être autochtone et pour célébrer tout le chemin parcouru, la beauté qui a persisté malgré tout ce qu’on a traversé. Ça, personne ne pourra nous l’enlever. Peu importe à quel point ils.elles essaient, ils.elles n’y arriveront jamais. », a-t-il exprimé.

Des combats d’hier qui perdurent 

« Tant de choses nous ont été arrachées. Nos histoires ont été effacées, nos langues balayées », a confié Nani Rose, membre de la Nation anishinaabe algonquine. Si des savoirs subsistent, dit-elle, c’est grâce aux ancêtres, qui ont « littéralement risqué leur vie pour sauver nos chants, nos langues et nos façons d’être. » 

Cette survie, insiste-t-elle, reste fragile. Prenant la parole sur le projet de loi C-5, elle critique la manière dont le gouvernement canadien bafoue les ententes conclues par les ancêtres. « Les droits des peuples autochtones profitent à tous.te.s », a-t-elle rappelé, soulignant que la lutte pour la Terre Mère et toute forme de vie est un combat universel. 

Pourtant, a-t-elle ajouté, « chaque fois que nous nous levons, nous mettons nos vies en danger », face à des politiques « qui cherchent encore à nous effacer. »  Trop souvent, a-t-elle avancé, les peuples autochtones ne sont pas pris en compte dans les décisions politiques « guidées par une logique du profit ».  

Projeté au cours de la cérémonie, Mamandagokwe retrace les répercussions durables du colonialisme et des politiques d’assimilation du gouvernement canadien sur les peuples autochtones et les membres de Kitigan Zibi Anishinabeg. 

À travers les voix de Gilbert Widok et Wawatie-Chabot, le documentaire aborde la dépossession territoriale, l’impact des pensionnats et les défis vécus par les jeunes autochtones qui tentent de concilier vie étudiante en milieu urbain, loin de leur communauté, et questionnements identitaires.  

Au-delà des blessures collectives, Wawatie-Chabot souligne dans le film que la colonisation ne relève pas simplement du passé, elle « s’infiltre dans l’esprit », s’impose dans le quotidien, pousse à se remettre en question et à douter de sa propre valeur. La lutte, pour iel, est constante, même quand on croit y avoir échappé. 

Faire lien autrement 

Pour Mike Diabo, conseiller spécial au Bureau des affaires autochtones à l’U d’O, ce que la matinée appelait à faire ne peut s’arrêter à une seule journée et doit s’enraciner dans des changements structurels durables. Selon lui, la relation entre l’Université et les communautés anishinabeg qui l’entourent mérite d’être repensée. 

« L’Université est située sur un territoire non cédé. Il n’y a jamais eu d’accord, aucun traité. Selon les lois canadiennes elles-mêmes, il s’agit de terres anishinabe », rappelle-t-il. Pourtant, indique-t-il, cette réalité reste largement méconnue du public, en partie à cause du système scolaire qui n’a jamais véritablement transmis l’histoire et les droits des peuples autochtones. 

Ce manque de reconnaissance se manifeste, d’après lui, dans les dynamiques extractives encore trop fréquentes entre institutions et communautés autochtones. « On vient chercher des savoirs, des expert.e.s, des témoignages, sans offrir de réciprocité. Il n’y a pas de confiance, pas de respect dans ces relations. » 

Pour réparer ce lien, Diabo plaide pour une refondation du rapport entre l’Université et le territoire : « C’est comme si quelqu’un entrait dans votre maison. Il faut repartir sur de meilleures bases.  »

Ce renouveau passe aussi par une autre manière d’envisager le savoir. Bien qu’il salue les démarches entamées par l’Université avec le Plan d’action autochtone, Diabo invite à sortir des cadres rigides de l’enseignement universitaire occidentale et à reconnaître la richesse des pédagogies autochtones, fondées sur la transmission, l’expérience et l’immersion. 

« Ce ne sont pas des diplômes qui font un.e éducateur.ice. Dans nos communautés, il y a des porteur.euse.s de savoirs qui sont, à leur manière, les docteur.e.s de ce qu’ils.elles font. Il faut valoriser ces voix. » 

Il appelle ainsi les universités à favoriser de véritables partenariats dans le développement des cours, en créant des espaces de co-création entre professeur.e.s et membres des communautés autochtones. « C’est possible dans toutes les disciplines, il suffit de ne pas avoir peur de faire les choses autrement, dans le respect, sans marchandiser ces relations. » 

Malgré les défis, Dabio reste confiant. Dans le cadre de ses fonctions, il participe déjà au processus d’autochtonisation à l’U d’O et souhaite continuer à « retisser le lien avec [l’institution], nos communautés et ce territoire ». 

« On dit souvent que les jeunes sont les leaders de demain, mais dans ma communauté, on ne voit pas les choses comme ça. Les jeunes sont déjà nos leaders. Pas demain, pas l’année prochaine. Maintenant. », a partagé Traviss avec les participant.e.s.

Wawatie-Chabot a insisté : « Ce qu’il y a de plus beau, c’est que, malgré tout ce qui nous retient, on guérit. Je trouve de la beauté dans la lutte. »

La cérémonie s’est conclue par une prestation alliant danse des cerceaux et musique, offerte par le duo formé de l’étudiante Makhena Rankin-Guérin et de son frère Caleb, ainsi que par un dîner partagé et un atelier de perlage mené par une étudiant.e artiste

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