Crédit visuel : Sophie Désy – Photographe
Article rédigé par Antoine Jetté-Ottavi – Chef du pupitre Arts et culture
Ouvert au public jusqu’au 23 septembre au local 115 du 100 rue Laurier, le projet de l’artiste multidisciplinaire Kai Holub, intitulé « Porn for Pals », accueille de nombreuses visites et engendre différentes réactions. La raison : l’artiste aborde frontalement le sujet de la sexualisation. Holub, qui étudie à l’Université d’Ottawa (U d’O) en arts visuels et complète une mineure en écriture créative en langue anglaise, cherche avec son projet à encourager les personnes queers et trans à se réapproprier la pornographie.
Évolution et processus
Cara Tierney, enseignant.e en sculpture à l’U d’O, se remémore le début du travail de l’artiste. Lors de sa première rencontre avec les projets de Holub en avril dernier, Tierney avait noté un style plein d’humour et de compassion.
Selon iel, il y a toujours une grande richesse dans l’histoire du portrait queer, qui est encore plus intéressant lorsqu’une relation lie l’artiste et le modèle. C’est d’ailleurs le cas de « Porn for Pals », puisque Kai Holub représente des personnes qu’il connaît directement, à travers leurs fantasmes, auquel il préfère le terme de « fantaisies ». Tierney ajoute que le renouvellement des portraits au cours des quatre derniers mois montre l’esprit vif, créatif et énergique de l’étudiant. Iel remarque une amélioration dans son écriture et la mise en paire de l’art visuel et de la littérature.
L’enseignant.e note qu’« associer des pièces visuelles à du texte a souvent pour effet de simplifier la façon dont nous expérimentons une œuvre, en réduisant le sens du tableau ». Iel rassure pourtant qu’Holub « atteint un équilibre poétique qui ouvre l’œuvre avec un double mouvement et qui dirige le sens tout en laissant beaucoup de travail au spectateur ». Cet aspect se retrouve non seulement dans « Porn for Pals », mais également dans les autres projets de Holub, dont son oeuvre « Smile if you’re horny ».
Ce que Tierney trouve particulièrement rafraîchissant dans la récente exposition de Holub est la façon dont sa création d’images, qui naît du mélange de fantaisies, n’expose pas et ne rend pas vulnérable, mais plutôt taquine et titille tout en obscurcissant ses sources. D’après l’enseignant.e, cela encourage à produire un effet de joie et de défiance dans le partage des fantaisies, plutôt qu’un sentiment de honte.
Histoire de sexualisation
Étant sa première exposition seul, le projet représente un grand défi pour Holub. Celui-ci explique que tout a commencé lors d’une discussion avec ses ami.e.s. Ils.elles partageaient des anecdotes concernant leurs expériences personnelles avec les sites pornographiques et ont constaté avoir tou.te.s un ressenti similaire en consultant ce genre de matériel.
Souvent, d’après lui, il suffisait d’ouvrir la première page d’un site pornographie pour éprouver un abandon des désirs et une découverte du mal-être. En effet, le contenu mis de l’avant sur les sites comme Pornhub est souvent homophobe, misogyne, raciste et transphobe, fait remarquer l’artiste.
Pour aider son entourage à contrer cette hostilité des sites pornographiques, l’artiste a choisi de rédiger des textes à partir de fantaisies décrites par ses ami.e.s. Des peintures naissent ensuite de ces textes, et chaque sujet peint possède ainsi sa propre narration. À ce processus de création s’ajoute une longue recherche sur la pornographie et les habitudes sociales concernant son utilisation.
Holub s’indigne d’ailleurs devant les statistiques de visionnement et les inclut dans deux toiles : « Good ol’ boys club » et « Watcha watching ». La première expose le pourcentage de visites faites par des hommes sur les sites de pornographie (71% selon Pornhub) et révèle l’influence du « male gaze ». La deuxième toile liste les sujets les plus recherchés, dont les catégories trans, anal, « milf », « 3some » et « lesbian ».
À partir de son travail, Holub souhaite non seulement identifier la déshumanisation des acteur.ice.s et de l’auditoire de ces sites, qui encourage les stéréotypes sexuels, mais aussi réinventer le plaisir charnel pour les personnes queers et trans. Il aimerait continuer son aventure avec d’autres muses dans l’avenir.
Modèle et vernissage
Mercredi 11 septembre 2024 a eu lieu un vernissage réservé aux personnes âgées de 19 ans et plus. Les spectateur.ice.s étaient invité.e.s à prendre part à une discussion autour de la sexualisation et de la fantaisie. Sur place, les visiteur.ice.s pouvaient déguster un buffet en compagnie de Holub et d’autres artistes invité.e.s.
Chantalyne Beausoleil, partenaire du peintre, affirme qu’il était « tellement agréable de voir [son] partenaire prononcer des mots aussi sincères, drôles et captivants à une foule de personnes queers » et de discuter « d’un projet sur lequel il avait travaillé avec une telle ardeur ».
Beausoleil a été à maintes reprises modèle dans les dessins et les peintures de son partenaire, et se retrouve notamment dans cette exposition sous les traits réinventés des personnages. Cette participation lui a permis de développer son amour de soi et de défaire la honte héritée de l’expérience des personnes n’étant pas des hommes sur leur propre chair et leur bien-être.
Pour iel, en tant que personne queer, cette expérience marque un moment important pour les membres de la communauté LGBTQ+ : une réunion ancrée dans l’inspiration créative de Holub, dont le but est de partager les désirs de l’esprit et du corps, sans se soumettre aux destructions de la sexualisation.