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Arts et culture

Kimya : rap unificateur aux couleurs de la République Démocratique du Congo

Culture
4 octobre 2020

Crédit visuel : Christopher Katsarov 

Par Gaëlle Kanyeba – Cheffe du pupitre Arts et Culture

Kimya, le rappeur et slameur a dévoilé jeudi dernier le nouveau vidéoclip de la chanson Vivre au Soleil. Le titre s’inscrit dans son Extended Play (EP) Or et Flamme, court album sorti en 2017. Sa musique engagée et rassembleuse est, depuis, acclamée par la critique. 

Le lauréat de l’édition 2016 de Rond-Point, demi-finaliste du Festival International de la chanson de Granby de 2017, et gagnant du prix découverte de la Trille Or en 2019 s’est rapidement imposé sur la scène franco-ontarienne.

La Rotonde (LR) : Autant de reconnaissance pour Or et Flamme, ça vous met de la pression ?

Kimya (K) : Oui ça me met énormément de pression, surtout que lorsque j’ai commencé à faire la musique, on me considérait déjà comme un artiste émergeant. Pour moi, avoir accompli toutes ces choses en si peu de temps, ça fait peur, et ça me pousse à réfléchir à la direction de ma carrière. D’autant plus que je me considère aussi comme un artiste en apprentissage dans l’industrie de la musique francophone.

LR : Votre dernier projet musical est sorti en 2017, et votre prochain album sortira en 2021. Pourquoi attendre quatre ans ?

K : Parce que j’avais besoin de grandir. La musique est arrivée très rapidement dans ma vie. Il n’y a pas si longtemps, je n’étais qu’un jeune qui n’avait jamais mis les pieds sur scène, d’ailleurs je n’y pensais même pas. Aujourd’hui, je peine à croire tout ce que j’ai pu réaliser en trois ans, c’est incroyable.

Ensuite, il faut comprendre que mon premier album, je l’ai écrit avec toute une rage de vouloir grandir et changer le monde. Je pense que j’avais besoin d’avoir le temps de vivre autre chose pour me concentrer sur un nouvel album. J’ai fait le choix de ne pas céder à la pression du public simplement par respect pour lui ; je veux être capable de proposer de la qualité. Je devais écrire des textes qui ont d’abord du sens pour moi, et pour y arriver, il fallait que je vive autre chose.

LR : Le mot « libre » revient beaucoup dans vos chansons. Vous sentez-vous opprimé ? Êtes-vous un artiste torturé ?

K : Je ne dirai pas que je suis un artiste torturé. Mais quand j’ai sorti mon premier album, il y avait beaucoup de choses qui se passaient dans ma vie, et j’avais besoin de respirer, de m’évader, de partir loin.

C’est une des raisons pour laquelle j’avais déménagé à Vancouver, car ma vie personnelle n’était pas celle que je voulais qu’elle soit. Mon entourage ne reflétait pas qui je voulais être. Au niveau familial, ma mère était très malade. Avec tout ça, j’avais juste le goût de partir. Ce n’est pas que je voulais fuir mes problèmes, mais il fallait que je prenne de la distance pour avoir un regard neuf et trouver une solution […].

Mon premier album a été thérapeutique, j’ai commencé à l’écrire quand ma mère est décédée. À ce moment-là, j’ai tout remis en question, que ce soit ma propre vie ou ma place au Canada. L’album m’a permis de dire des choses à ma mère que je n’ai pas eu l’occasion de lui dire de son vivant. Aussi, avec tout ce qui se passait au Congo, je me suis consolé en exprimant ma peine.

LR : Est-ce qu’aujourd’hui vous allez mieux ?

K : Aujourd’hui, je suis plus heureux. Dans l’album sur lequel je travaille, il y a plus des couleurs, avec des sonorités qui viennent du Congo, des chansons plus joyeuses, dansantes. C’est ça que je voulais apporter au nouvel album, plus de gaieté et de sourire, comme pour dire « Tu sais quoi ? Malgré tout ce qui s’est passé, les choses vont quand même bien ».

LR : Vous dites vous être questionné sur votre place au Canada. Avez-vous fini par la trouver ?

K : Je ne l’ai pas encore trouvée, mais la musique m’a ouvert tellement de portes, qu’elle me permet de livrer un message universel. Je considère mon exposition médiatique comme une grande occasion de parler, et de pousser les gens à la réflexion sur ce qui se passe dans mon pays natal. […]

Mais il y a une chose dont je suis certain : je suis ici pour améliorer les choses au niveau de la société, de ma famille et pour m’épanouir en tant que personne, parce que mes parents ont fait un gros sacrifice en faisant les efforts nécessaires pour que je sois au Canada.

Ce pays me donne la plateforme qui me permet de véhiculer des messages. Pour moi c’est vraiment gratifiant. « Je peux tout accomplir », c’est le message que j’aime faire passer aux gens qui viennent d’ailleurs et qui cherchent un pays où ils peuvent s’exprimer librement. Je suis l’exemple d’une personne qui est arrivée avec rien, et qui est aujourd’hui capable de faire des grandes choses. On peut faire n’importe quoi à partir du moment où on travaille fort.

LR : Dans vos chansons, vous faites de nombreux clins d’œil patriotiques et engagés au Congo. Peut-on aisément dire que vous êtes un artiste engagé pour la cause noire ?

K : Oui, et encore plus maintenant que lorsque j’écrivais mon premier album. Si les gens écoutent la chanson « Couleur », qui dit que le noir est la couleur du mal, pour moi ça fait vraiment référence à tout ce qui arrive aux jeunes noir.e.s ayant grandi au Canada. Je suis un artiste engagé pour la cause noire […], et grâce à ce que je fais, je peux véhiculer mes messages, interpeller le monde sur nos droits et mettre en valeur ma culture. Je pense vraiment que c’est ma mission.

D’ailleurs, dans mon prochain album, il y a encore plus de mots en lingala [langue bantoue parlée au Congo] car c’est vraiment important pour moi que les gens sachent qui je suis et d’où je viens, et à quel point ma culture est grande et riche. Le Congo a tant des choses à offrir et, pour moi, c’est gratifiant de pouvoir en parler.

LR : D’après vous, quelle est la place du rap et du slam dans le changement des mentalités ?

K : D’abord, une étude réalisée par l’Association québécoise de l’industrie du disque dit que la musique urbaine est le genre musical le plus écouté. Ça démontre l’influence que peut avoir le rap sur les gens. Mais je tiens à souligner que ce sont des artistes comme Le R premier ou ZPN qui ont pavé les voies pour nous dans l’industrie.

Avant, le rap était considéré comme une musique de gangsters, aujourd’hui, on ne fait plus grand festival sans inviter ces artistes. Le rap est bénéfique pour nous, c’est un outil de dialogue dans notre génération.

LR : Qui sont les personnes qui vous inspirent ?

K : Mon entourage m’inspire beaucoup, car mon rap parle de moi et de ce que je vis. En terme d’artistes, je suis inspiré par Damso, Youssoupha, Passy, car ils ont quitté comme moi, le Congo et aujourd’hui ont un succès monstre sur la scène internationale.

Au quotidien je me dis que s’ils l’ont fait, je le peux également. Tout récemment le beatmaker de Youssoupha m’a écrit en me disant « Keep going, on te soutient ». De plus, le fait de faire rayonner la musique francophone dans un milieu anglophone en venant du Congo, c’est déjà une grande réussite à mes yeux.

LR : L’industrie des arts et de la culture a été frappé de plein fouet par la pandémie, avez-vous été affecté par cette crise ?

K : Certes, au début, elle était un peu dépressive car j’étais seul chez moi et je ne voyais personne. Mais ça a fini par être un moment révélateur. Ça m’a permis de passer du temps avec moi et de me ressourcer ; j’ai appris à me connaitre et à prendre ma santé au sérieux.

Cette année a été l’année où je me suis senti le plus aimé. Malgré la distance, j’ai senti de l’amour. J’ai appris à trouver le bonheur, un bonheur que j’ai cherché pendant longtemps. En une phrase, je dirai que j’ai apprécié les moments que j’ai passé avec moi-même. Après presque un an sans spectacle, je suis remonté sur scène au Centre national des arts le 25 septembre, je me suis senti choyé.

LR : Dans votre prochain album, doit-on s’attendre à des collaborations surprenantes ?

K : Je travaille avec un guitariste qui s’appelle Zatara. Il a joué le son de Ndombolo à l’époque de Wenge Musica. Ça va ajouter un peu de couleurs africaines. Je vais aussi collaborer avec des artistes franco-ontariens, mais c’est une surprise.

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