La création des « zones bulles » : mesure de sécurité ou menace contre le droit de manifester ?
Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Article rédigé par Mireille Bukasa — Cheffe du pupitre Actualités
Le conseil municipal de la ville d’Ottawa a voté, le 30 octobre dernier, en faveur de l’étude de faisabilité d’une éventuelle création de « zones bulles » anti-manifestations autour des endroits jugés vulnérables. Cette initiative s’inscrit, selon le maire d’Ottawa, Mark Sutcliffe, dans un contexte où le nombre de crimes haineux contre des groupes ethniques, religieux et LGBTQ+ serait croissant dans la capitale fédérale.
D’après le procès-verbal du conseil municipal publié sur le site web de la ville d’Ottawa, ces crimes haineux ont connu une croissance de 19 % en 2023. Cette augmentation justifie, selon Sutcliffe, cette motion visant le règlement sur les infrastructures sociales vulnérables. En réaction à la motion, les organisations communautaires, dans une correspondance transmise à La Rotonde, ont estimé que celle-ci représente une attaque regrettable et malhonnête contre le droit de manifester.
Parmi les conseiller.e.s municipaux.ales se dégage aussi une certaine réticence face à la motion proposée par Sutcliffe : « Ce genre de bulle juridique menacerait la liberté d’expression et d’association, car elle pourrait [viser] des activités complètement légales, comme le fait de tenir une pancarte ou de se rassembler lors de veillées silencieuses, et en faire des activités répréhensibles et illégales, » partage Sean Devine, conseiller municipal du district de Knoxdale-Merivale, dans une entrevue avec Radio-Canada.
Le site web de la ville d’Ottawa explique que les bâtiments que cherche à protéger la motion sont les écoles, les hôpitaux, les lieux de culte, les centres de garde d’enfants, les maisons de soins ainsi qu’un rayon de 100 mètres autour des édifices ciblés. La ville rassure que la municipalité n’a pris aucune décision pour l’instant : il reste à réaliser des consultations publiques dans le but d’évaluer de manière approfondie cette probable réglementation et des consultations avec le Service de police d’Ottawa pour déterminer la faisabilité de ce projet sur le plan opérationnel.
Motion à objectif ambigu
Cette motion, qui s’inspire du règlement de Vaughan, pose problème à plusieurs niveaux, s’indigne Sam Hersh, coordinateur de l’organisation populaire à vocation municipale Horizon Ottawa.
Dans une entrevue avec La Rotonde, Hersh dénonce premièrement la pénalité maximale de 100 000 $ dans le cas où le règlement sur les infrastructures sociales vulnérables serait enfreint. « Je pense que cette motion a moins à voir avec la sécurité des “communautés vulnérables” qu’avec la restriction du droit de manifester, » explique Hersh. « Les auteur.ice.s de cette motion parlent spécifiquement des manifestations anti-trans, mais il est clair que ce n’est pas leur objectif, car nous ne les avons jamais vu.e.s lors des manifestations anti-trans et ils.elles ne se sont jamais penché.e.s sur la question dans le passé. Établir un lien entre les manifestant.e.s anti-trans et ceux et celles qui mènent des actions contre le gouvernement israélien est très fallacieux. Il est évident qu’ils.elles tentent de réprimer les manifestations autour de Gaza et c’est une pente glissante, » poursuit le coordinateur du groupe de pression.
Oppositions à l’Université d’Ottawa
Integrity Not Spite Against Falastin (INSAF), club étudiant de l’Université d’Ottawa plaidant en faveur de la libération complète de la Palestine, s’oppose fermement à cette motion. Les membres du club qualifient d’ailleurs la motion proposée par Sutcliffe d’attaque directe contre le droit de manifester.
« La motion est extrêmement dangereuse, car nous vivons dans une ville où le maire vilipende et crée un environnement dangereux pour les communautés marginalisées », exprime un membre de l’INSAF voulant rester anonyme. Ce même membre estime que la motion brouille la frontière entre les droits légitimes de manifester et les menaces véritablement dangereuses pour la sécurité publique, en ce qu’elle donne notamment au maire la possibilité de mettre fin à toute manifestation à sa guise.
Une loi en vigueur depuis le 30 septembre 2017 stipule que toute personne qui ne respecte pas le règlement en matière d’utilisation d’un appareil de reproduction ou d’amplification de son est passible d’une amende minimale de 500 $ et maximale de 10 000 $. Le total des amendes quotidiennes peut dépasser 100 000 $, conformément à la Loi de 2001 sur les municipalités. Faisant allusion à ces contraventions relatives aux mégaphones, INSAF et Horizon Ottawa accusent la ville d’Ottawa de tenter de contrôler et de dissuader les gens de participer aux manifestations pro-palestiniennes. « Comme de nombreux.ses conseiller.e.s municipaux.ales l’ont mentionné, il existe déjà des lois pour gérer ces choses et la police est suffisamment outillée, » estime Hersh.
Les gens peuvent et doivent se sentir en sécurité dans leurs lieux de culte, écoles, hôpitaux, etc., mais cela ne peut se faire au détriment des droits des travailleur.se.s et des résident.e.s, conclut le coordinateur d’Horizon Ottawa.