Inscrire un terme

Retour
Sports et bien-être

La résilience ou l’appel d’une capitalisation impérative de nos douleurs

Jessica Malutama
4 novembre 2024

Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique 

Chronique rédigée par Jessica Malutama — Cheffe du pupitre Sports et bien-être 

L’objet de cette chronique n’est pas de nier l’utilité de la résilience, voire sa pertinence dans certains contextes ayant laissé place à des transformations individuelles ou collectives à la suite de maux perpétrés par autrui à l’égard d’individus ou des groupes. Elle se veut plutôt la tentative d’une réflexion sur les attitudes que nous semblons préconiser culturellement lorsqu’un malheur nous arrive et que nous sommes urgemment confronté.e.s à la question de savoir comment y répondre.

Ce n’est que récemment que j’ai commencé à m’interroger sur la notion de résilience et sur les façons dont elle a de s’incarner dans la dimension personnelle de nos existences. En écrivant cette chronique, c’est avec difficulté que j’ai tenté de défricher son sens, sa portée et ses implications théoriques, mais aussi pratiques. Je me suis notamment posé la question de savoir pourquoi, face à un mal qui leur est arrivé, certains individus parviennent à le dépasser, tandis que d’autres restent engouffrés dans la souffrance ? Quelle attitude adopter face aux épreuves de la vie ?  Au micro d’un podcast de France Culture animé par Guillaume Erner, Boris Cyrulnik, psychiatre et promoteur de la résilience, définit l’attitude et le concept de résilience comme le fait de « se débarrasser d’un contrat avec un malheur passé ».

En ce sens, la résilience emprunte une logique de dépassement où la personne affectée ne peut s’arrêter au stade initial du choc. Elle doit rentabiliser ce mal par un acte libérateur : il faut qu’elle puisse tirer profit de son expérience traumatique en transformant le mal en mieux. 

Toujours à l’antenne de France Culture, on peut apprendre que la résilience est décrite à la fois comme un stade inné en nous, mais qu’elle est aussi le fruit d’un apprentissage. Ainsi, la résilience est-elle la bonne attitude ou la seule attitude à privilégier face aux déboires de la vie ? Pourquoi, juste après un traumatisme, notre attention doit-elle être directement orientée vers une suite nécessairement radieuse impliquant un processus de reconstruction de soi ? Et pour ceux.celles qui n’y parviennent pas, quelles conclusions peuvent-ils tirer de leur vie et de leur personne ? 

Deux modèles d’appréhension de nos maux

Le modèle de la résilience embrasse une vision de l’être humain et de la vie progressiste. Cyrulnik et Erner soulignent que la résilience accorde à l’être humain une plasticité essentielle : nous aurions inscrit.e.s en nous-mêmes la capacité de réagir favorablement à l’adversité. Pour cette raison, la résilience transmet la conception d’une attitude à adopter face au malheur de l’ordre de la transcendance. 

Dans ce même entretien avec Erner, la philosophe Laura Moaté va plus loin en voyant dans la résilience un « impératif de guérison [où l’on] obéit à un commandement qui voudrait que l’on ne soit plus ce que le traumatisme a créé. » Ainsi, pour elle, le modèle résilient propage un idéal représentatif, c’est-à-dire ce à quoi devrait ressembler un individu sain, à savoir que la personne résiliente est celle qui sait passer outre les effets négatifs des stigmates de la vie. Le sociologue Nicolas Marquis, quant à lui, décrit que la résilience s’impose comme une norme sociale véhiculant l’idée qu’il est « toujours possible de se sortir de nos difficultés. » Ainsi, la bonne manière d’agir n’est pas de s’apitoyer sur son sort, mais de « prendre le taureau par les cornes. » 

Cela implique qu’il existe de mauvaises manières de réagir au malheur, l’une d’entre elles étant ce que je vais appeler le modèle de l’effondrement. À la suite d’une circonstance traumatique, l’individu effondré est catapulté dans une détresse qu’il.elle juge insurmontable. Le mal qui lui est arrivé le condamne au désespoir. Dans l’incapacité de se projeter dans un futur prometteur, cet être se voit socialement assigner le sceau d’une déficience dont il devra nécessairement se débarrasser s’il entend dire qu’il a vécu une vie bonne.

De l’ordre de l’instable, de l’insaisissable et du décalage

La dichotomie qui précède est voulue. Avec cette dernière, mon objectif n’est pas de dénigrer les récits témoignant d’actes de résilience, car un tel discours pourrait avoir l’effet inverse du but recherché par ces démarches, soit une prise d’action sociale ou individuelle. Je n’entends pas non plus me faire l’apologue d’une sorte de fatalisme qui aurait pour objectif d’entériner tout élan de transformation pour écraser l’individu sous le poids d’une impuissance fondamentale sur laquelle il.elle n’aurait aucune prise. 

Avec cet exercice, j’ai tenté de traduire la temporalité floue et distincte dans laquelle l’un.e peut être jeté.e à la suite d’une expérience traumatique. Cette expérience peut prendre la forme d’une imposante remise en question perturbante. Ce qui me surprend après une infortune, c’est l’immédiateté avec laquelle nous prônons le discours de la résilience comme une évidence à la personne concernée. Pourtant, notre manière de nous y prendre peut parfois être en décalage avec l’expérience vécue par la personne blessée. De manière résolue, nous assenons à celui.celle qui est à peine en train de réaliser ce qui lui arrive des phrases comme « Tu dois te sortir de cette épreuve la tête haute avec la décision de vaincre l’adversité », « Le soleil brille derrière les nuages », « Tout arrive pour une raison et tu renaîtras de cette expérience d’autant plus fort.e ». Bien que je comprenne les bonnes intentions derrière ces encouragements qui visent à inviter la victime à s’accrocher à ce qu’elle ne peut pas encore voir, j’ai l’impression que vouloir penser directement à « l’après-choc », pour reprendre les mots de Moaté, peut se faire au risque de précipiter la personne traumatisée dans une démarche désincarnée qui n’est pas la sienne et d’omettre la valeur de regarder le mal qui nous a été fait dans les yeux, et qui est, lui aussi, porteur de sens. Selon moi, le cheminement titubant du.de la récipiendaire d’un mal est loin d’être préalablement tracé et certain. Il peut parfois prendre la forme d’une constante autoréflexion.

Après réflexion et alors que j’arrive à la fin de cette chronique, c’est en proie aux limites d’une démarche expérimentale et inachevée que je me dis que peut-être que la résilience s’impose d’elle-même comme un acte de foi envers soi-même et la vie. Peut-être permet-elle de répondre à des besoins psychologiques fondamentaux ou encore sommes-nous par nature des êtres de travail qui avons ce besoin de créer autre chose à partir de ce qui nous a fait mal. Je découvre que je veux être un peu plus critique dans la manière que j’ai de me rapporter aux deux modèles précédemment décrits. Plus précisément, je crois que la question de savoir comment le « travail de l’après-choc » doit s’articuler m’appartient, comme à tou.te.s. Or, il ne s’agit pas là d’une réponse définitive, car face au caractère insoluble de la vie, il demeure toujours quelque chose en excès, de l’ordre du mystérieux, qui échappe à la certitude et à la saisie.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire