Par Nicolas Rioux – Contributeur
Si le gouvernement fédéral a bel et bien légalisé le cannabis, le gouvernement du Québec, lui, l’a surtout réglementé de façon virulente.
Par un glacial vendredi après-midi, Francis, 21 ans, sorti d’une succursale de la Société québécoise du cannabis (SQDC) avec quelques petites cocottes qu’il avait bien l’intention de consommer pour célébrer la réussite d’un examen difficile.
Non seulement était-il bien content de pouvoir enfin consommer un produit dont la qualité était assurée, mais surtout, rassuré de pouvoir le faire sans crainte de devoir rendre visite à monsieur le juge et de risquer sa future carrière de notaire.
Francis se doutait bien qu’il ne pourrait pas fumer à l’université, dans un établissement de santé, un gymnase, un restaurant, un casino ou un bar. Bref, il allait de soi que les émanations de sa petite pipe indisposeraient les gens dans un lieu public fermé et que le législateur s’empresserait de prohiber une telle pratique.
Ça lui était égal. Il avait l’intention de retourner à son appartement pour se tirer une puff avant d’écouter Netflix. Arrivé à destination, c’est avec empressement que Francis s’installa sur son balcon pour enfin consommer son produit.
Mission impossible
À peine eut-il le temps d’allumer un briquet que son voisin d’en face l’apostropha à distance : « t’es pas gêné de fumer ça ici ? Attends pas que le proprio en entende parler ! ». Francis se rappela : son propriétaire l’avait avisé de modifications aux conditions de son bail. Il n’avait plus le droit de fumer du cannabis, ni dans le logement, ni sur le balcon, ni dans le stationnement. En soupirant, Francis décida plutôt de s’installer en toute quiétude sur le bord du trottoir.
Manifestement malchanceux, il se fit apostropher de nouveau, cette fois-ci par un patrouilleur de la Sûreté du Québec qui s’immobilisa et baissa sa fenêtre : « tu sais que je pourrais te donner 1 500$ d’amende pour ce que tu es en train de faire ? ». Le policier lui expliqua qu’il était interdit de fumer sur la voie publique, ce qui inclut les routes, les chemins, les rues, les ruelles, les ponts, les voies piétonnières, les pistes cyclables et surtout, les trottoirs.
Sérieusement intrigué par toutes ces interdictions, Francis rentra chez lui pour lire sur la nouvelle loi québécoise concernant le cannabis. Il découvrit qu’il ne pouvait pas non plus fumer de cannabis dans les abribus, les tentes, les chapiteaux, les terrasses, les parcs, les terrains de jeu et de sport, les terrains de camps de jour, de camps de vacances et plus encore.
Il commença à réfléchir sérieusement. Comment allait-il faire pour consommer légalement un produit qu’il s’était, par ailleurs, procuré légalement ? Francis n’avait jamais apprécié l’alcool, une drogue qui avait causé bien du mal dans sa famille. Il avait voulu se tourner vers une substance moins nocive pour la santé et moins criminogène, mais voilà qu’il peinait à trouver un lieu où il était permis de la consommer !
En bon juriste, il réfléchit aux possibilités qu’il lui restait.
Et s’il volait au-dessus de l’atmosphère ?
Bien sûr, l’espace extérieur à l’orbite terrestre n’était assujetti à aucune restriction sur la consommation de cannabis. Toutefois, il devait non seulement acheter une fusée, mais trouver un pilote pour la conduire pendant qu’il planait. Trop compliqué.
Et s’il allait sur un lac avec son canoë ? Ses yeux devinrent ronds ; mais oui ! La voilà sa solution ! Les lacs et les rivières n’étaient pas interdits dans la loi. Seul petit détail, il ne pouvait piloter le canoë sans se rendre coupable de conduite avec les facultés affaiblies. Il devait rapidement trouver un bon pilote pour l’accompagner.
Tout juste avait-il composé le numéro de son meilleur ami qu’il se rappela comment dame nature n’avait pas été très complaisante dans les derniers jours en soufflant sur la province une vague glaciale.
L’idée du canoë devint soudainement ridicule. Francis décida de laisser tomber et de finalement fumer dans son appartement malgré l’interdiction. Avait-il d’autres choix ?
Le sommeil ne tarda pas à le gagner. Dans les bras de Morphée, il fit un rêve bien étrange, presque irréaliste. Les yeux fermés, Francis sourit. Dans son rêve, le cannabis était légal !
Notes de la rédaction
L’auteur est bachelier en droit (LL.L.) de l’Université d’Ottawa et candidat à la maîtrise en droit (LL.M.) de la même Université. Il conduit actuellement ses recherches sur la décriminalisation des drogues.
Celui-ci s’est appuyé sur la/le :
2. Loi encadrant le cannabis (ci-après la « Loi »), ch. C-5.3, aux art. 8 et 12.
3. Loi, art. 107(1)
4. Loi, art. 16(3)
5. Loi, art. 16(1)
6. Ibid
7. Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46), art. 253(1).