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Actualités

Ma Rotonde

Web-Rotonde
11 avril 2012

collaborateur spécial

Patrick Lagacé

Je me souviens encore de l’adresse, 631, King-Edward. C’est au 2e étage que nous, l’équipe de La Rotonde, sévissions. J’utilise le verbe sévir à dessein : dans cette première moitié des années 1990, La Rotonde était un véhicule conçu pour emmerder tout le monde sur le campus de l’Université d’Ottawa.

Les politiciens étudiants, l’administration du recteur Marcel Hamelin, les profs, les croisés de l’environnement, les Anglais croqueurs de grenouilles, les sportifs des Gee-Gees à grosse tête : personne n’échappait à nos flèches enthousiastes.

Tout cela était fait d’une manière épouvantablement maladroite. Quand je relis mes vieilles Rotonde, j’ai l’impression de regarder Les Simpson dessinés par des enfants de 6e année. Ce n’était pas du journalisme. Mais en même temps, c’était exactement ça.

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Je me souviens d’un film, Pump up the Volume, que j’avais vu au cégep, en 1990. Avec Christian Slater, qui incarne l’animateur d’une radio pirate qui fout le bordel dans une école secondaire, à force de dire des vérités qui dérangent…

Slater, échotier anonyme, disait tout le temps à ses auditeurs suspendus à ses lèvres, chaque soir : « Dites des horreurs! »

J’avais décidé que cette Rotonde, celle que j’ai dirigée de 1993 à 1995, serait la fille bâtarde de ce Slater incitant à emmerder l’univers et à dire des horreurs…

Pour un dossier sur la pauvreté étudiante, une photo du chef de la section Actualités, Martin Landreville, marchant vers un organisme d’aide aux sans-abri. Il ne porte qu’un slip (et des souliers), sinon il est quasiment à poil. C’était à la une du journal…

Inspiré par les beuveries des Anglos, le jeudi, j’avais commis une chronique coiffée de ce titre : « Pisser debout ». Le texte avait fait scandale. Évidemment, la semaine suivante, le suivi s’intitulait « Pisser assis »…

Endormis par des hordes de profs plates incapables de mettre de la vie dans leurs cours, nous avions mis la patte sur des documents publics, mais pour ainsi dire jamais consultés : le résultat des évaluations des profs, par les étudiants. C’était gros comme des bottins téléphoniques, ces documents, il fallait tout décoder à la mitaine, mais qu’importe : nous avions ainsi pu nommer les meilleurs et les pires profs du campus, noir sur blanc. Triomphe!

Évidemment, les pires profs n’appréciaient pas de voir leur nom dans le journal. Mais justement, c’est ça, le journalisme : tenter de mettre de la lumière sur ce qui n’était pas vraiment destiné à la consommation publique…

C’est ainsi que Daniel Leblanc — oui, oui, le Daniel du Globe and Mail — avait réuni des informations destinées à ne pas voir la lumière du jour, donnant à penser qu’un prof de la Faculté des arts était un escroc académique.

Peu après la parution, le prof avait été mis à la retraite.

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C’est la nostalgie qui me fait dire ceci, bien sûr : mais nous osions, nous étions méchants, nous n’avions peur de rien sinon d’être ennuyants. Et tout cela se faisait dans un mélange d’amateurisme, de passion débridée et de gaucherie teintée de malaise qui n’est pas sans rapport avec l’état d’esprit qui anime un jeune adulte découvrant les plaisirs de la chair…

En plus, La Rotonde a servi d’incubateur à des amitiés qui, à ce jour, sont dans ma vie. Je parle de Doum Fugère, de Bruno Genest, de Martin Landreville, de Richard Dufour, de Jean-François Plante, de Daniel Leblanc, de Manon Genest…

Bref, j’ai vécu certaines des plus belles années de ma vie, à La Rotonde. Merci, La Rotonde, et longue vie.

Travailler ou « bénévoler » dans un journal étudiant ne vous mènera pas forcément au journalisme. Mais je ne connais personne, parmi mes camarades de l’époque, qui se soit impliqué à fond à La Rotonde et qui n’ait pas, aujourd’hui, une vie minimalement intéressante.

C’est le cadeau du ciel que je vous souhaite, Rotondiens qui entrez dans le monde des grands : une vie intéressante.

(Patrick Lagacé, chroniqueur à La Presse, a collaboré à La Rotonde de 1991 à 1995, comme bénévole, chef de pupitre et rédacteur en chef. Sa chronique, « Le monde comme il va », a paru dans La Rotonde de 1993 à 1995.)

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