
Movember : les hommes ont le droit de pleurer
Crédit visuel : Élodie Ah-Wong– Directrice artistique
Article rédigé par Davy Bambara – Journaliste
Souvent associé à la moustache, Movember rappelle chaque année l’importance d’aborder la santé mentale masculine autrement. Longtemps centré sur le cancer de la prostate, le mouvement inclut désormais la santé mentale et la prévention du suicide, alors que les hommes restent les moins susceptibles de chercher de l’aide. Entre stéréotypes virils, souffrance silencieuse et initiatives sur le campus de l’Université d’Ottawa(U d’O), comment faire évoluer une culture où la vulnérabilité n’est plus un tabou ?
Un mouvement né de la moustache et devenu bien plus vaste
Lancé en 2003 par deux Australiens décidés à faire renaître la mode de la moustache, Movember s’est aujourd’hui étendu à l’échelle mondiale. Si l’idée initiale consistait à soutenir la recherche sur le cancer de la prostate et des testicules, la mission s’est élargie : prévenir le suicide, promouvoir le dépistage précoce, et surtout faire tomber les stéréotypes qui isolent encore trop d’hommes dans leur souffrance.
Une étude de la commission de santé mentale du Canada révèle que près de trois quarts des suicides sont commis par des hommes. Pourtant, ils demeurent nettement moins nombreux que les femmes à consulter un psychologue ou un médecin en cas de détresse. Une contradiction que le professeur émérite Philippe Cappeliez, spécialiste en psychologie du vieillissement et de la dépression chez les personnes âgées, résume sans détour : « Il existe une véritable épidémie silencieuse chez les hommes. Ils identifient moins leurs difficultés, consultent moins, et vivent leur détresse dans l’ombre.»
Quand la virilité devient un piège
Pour Cappeliez, cette vision des hommes sur eux-mêmes proviennent des normes culturelles qui traversent encore les sociétés, et il en découlent de grandes difficultés. « Un homme doit être fort », « un homme ne pleure pas », « il faut tenir bon »… Ces injonctions, répandues dès l’enfance, incitent les garçons puis les hommes à refouler leurs émotions et à cacher leurs faiblesses, jusqu’à en faire un réflexe.
Cette retenue forcée modifie même la façon dont ils expriment leur souffrance. Là où les femmes ont tendance à intérioriser l’anxiété ou la tristesse, les hommes la manifestent plus fréquemment par l’irritabilité, l’impulsivité ou des comportements à risque : consommation excessive d’alcool ou de drogues, conduite dangereuse, conflits récurrents, explique Cappeliez. Il ajoute que le résultat est souvent le même : une société qui interprète ces attitudes comme des « problèmes de comportement », plutôt que comme des signaux d’une détresse psychologique mal reconnue.
Les étudiants aussi ressentent la pression
Sur le campus, ces normes sont également présentes . Loïc Milongo-Taty, étudiant en science politique, en témoigne. Avant son entrevue avec La Rotonde, il ne connaissait pas la signification de Movember. Mais, après, le sujet l’a directement interpellé.
"Je peux comprendre que certains hommes aient du mal à en parler. Il y a tellement d’attentes et de responsabilités sur leurs épaules… Demander de l’aide, c’est parfois reconnaître qu’on n’arrive pas à tout porter. "
– Loïc Milongo-Taty –
Pour lui, le principal obstacle qui empêche les hommes de reconnaître leur vulnérabilité est l’orgueil. Une fierté masculine qui pousse à préserver l’image du « roc », même quand tout s’effondre intérieurement. Par ailleurs, comme beaucoup d’hommes de sa génération, il reconnaît que des phrases telles que « un homme ne pleure pas » ont façonné sa manière de gérer ses émotions.
Une offre de soutien complète et accessible à l’U d’O
À l’Université d’Ottawa, plusieurs services sont spécialement conçus pour accompagner les étudiant.e.s en difficulté, qu’il s’agisse de stress académique, de problèmes personnels ou de détresse psychologique. Le Centre de santé et mieux-être offre des consultations individuelles gratuites, en personne ou en ligne, ainsi que des ateliers thématiques avec des professionnel.le.s formé.e.s à la réalité étudiante. Autant d’outils facilement accessibles, mais encore trop peu connus
Toujours sur le campus, le café Nostalgica joue depuis plusieurs années un rôle actif dans la sensibilisation à la santé masculine. Chaque mois de novembre, l’établissement organise une cagnotte Movember pour récolter des fonds destinés à la prévention du suicide, au dépistage des cancers et aux programmes de soutien pour les hommes. Les employé.e.s comme les habitué.e.s participent régulièrement à ces initiatives, faisant du lieu un point de rassemblement engagé.
Pour le personnel du Nostalgica, cette implication s’inscrit dans une volonté de longue date : utiliser l’espace communautaire du café pour soutenir des causes qui touchent directement la population étudiante. Chaque don, petit ou grand, contribue ainsi à rappeler que la santé mentale des hommes mérite d’être visible et discutée.
