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Pouvoir et perceptions ; symptômes du non-consentement ?

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5 novembre 2018

Illustration Andrey Gosse 

 

Par Emmanuelle Gingras, journaliste

Il n’est pas à oublier que le mouvement #moiaussi a d’abord été fondé en 2006 par l’activiste Tarana Burke. Toutefois, il y a presque exactement un an, une nouvelle vague de revendications s’empare du mouvement qui ne semble plus vouloir se taire.

Il y a un an, Harvey Weinstein se faisait accuser par plusieurs femmes, qui ont dénoncé les agressions sexuelles qu’il leur a fait subir. Vient ensuite une vague de revendications née du mouvement #moiaussi. Singularisé par sa masse importante, le mouvement pointe à plusieurs agressions sexuelles commises par des noms familiers et a su déterrer du silence les victimes – hommes comme femmes –d’aujourd’hui et du passé.

Brigitte Paquette, auteure du livre La déferlante #moiaussi. Quand la honte change de camp, portait le 29 octobre dernier une conférence sur l’histoire de la dénonciation d’abus à caractère sexuel. Après #notokay, #pussygrabback, #whywomendontreport, #stopcultureduviol,  #onvouscroit et #beenrapedneverreported, qu’est-ce que le hashtag #moiaussi revendique-t-il de plus ? Selon la sexologue de métier, les mouvements qui précèdent #moiaussi auraient toujours été oubliés dans le temps. #moiaussi serait donc un relèvement aux dents plus effilées puisqu’il porte l’accumulation des revendications enterrées.

Paquette commence la conférence en énumérant une série de célébrités ovationnées qui auraient créé le scandale suite aux dénonciations les visant. De Chaplin à Rozon, l’auteure survole l’histoire des agressions sexuelles les plus connues à l’international et rappelle à l’auditoire la facilité avec laquelle les agresseurs s’en sont sortis. Serait-ce l’emprise qu’exerce leur pouvoir ? Les gens, par respect des figures qu’ils admirent, ont tendance à penser qu’un quelconque comportement déplacé de leur part ne puisse se produire. Les remises en question faites aux propos des victimes seraient, selon l’auteure, la source du problème : « Toutes les fausses croyances qui circulent et qui banalisent les agressions sexuelles déresponsabilisent les agresseurs ».

Des lois non-adaptées

« Historiquement, les femmes victimes d’agressions à caractère sexuel n’ont jamais été crues », explique l’auteure. C’est la phrase que Paquette considère comme « la plus importante de la conférence ». L’auteure et sexologue travaille aussi dans un refuge pour femmes violentées. Ainsi, par son témoignage personnel, celle-ci explique qu’à la suite d’une agression, l’incohérence du discours chez la victime est une séquelle connue.

Elle aborde donc la contradiction quant au système judiciaire canadien concernant les agressions sexuelles qui, au moindre manque de cohésion dans le discours de la victime, établit un doute contre elle : « Le procureur de la couronne ne travaille pas pour défendre les droits de la victime, il est là pour trouver des preuves suffisantes pour accuser l’agresseur ». Le silence de la victime serait donc, selon elle, justifié par la peur de ne pas être crue et de vivre les répercussions de ses dénonciations. #moiaussi est donc, selon elle, un moyen d’unir les victimes, anonymement ou non, et de faire parler les gens par solidarité.

L’ambiguïté du consentement, au coeur du problème ?

Vient ensuite une association directe à un problème de culture populaire. Selon Paquette, l’hypersexualisation dans les médias serait un facteur aggravant le problème : « on encourage les jeunes filles à être sexy et ouvertes sexuellement ». Stéphanie Patrick, doctorante en études féministes et de genre, croit que cette idéalisation sur le comportement a un reflet direct sur les relations. « La culture populaire et les médias ne nous présentent pas seulement l’idéal de la relation, elles constituent aussi notre compréhension de ce qui est considéré comme acceptable et “normal» », explique-t-elle.

Une notion d’ambiguïté quant au consentement est alors soulevée : « Le consentement disparaît aussitôt que quelqu’un se sent inconfortable ou contraint dans le faire de quelque chose, particulièrement quand il y a une différence de pouvoir (par exemple, dans des relations de salarié-employeur). Malheureusement, notre culture nous enseigne que l’inconfort et la contrainte sont les parties nécessaires des relations sexuelles », continue Patrick. La sexualité se dit être un mal nécessaire à l’épanouissement, ce qui normaliserait le non-consentement.

Un mouvement nécessaire ?

Après un an d’acharnement, on en vient à se demander sur les impacts du mouvement #moiaussi : « Je pense qu’il a stimulé des discussions très importantes sur non seulement l’agression sexuelle, mais aussi par rapport aux “zones grises” de beaucoup de relations : tant dans le lieu de travail que privé », explique la doctorante et enseignante à l’Université d’Ottawa. Selon elle, une des solutions pour continuer à sensibiliser est l’éducation. Toutefois, il semblerait que certains retours politiques font obstruction à la sensibilisation au mouvement.

Cet automne, le programme d’éducation sexuelle en Ontario établi en 2015 subit un retour vers l’arrière. Il s’agit d’une erreur de la part de Doug Ford, selon la doctorante. « L’abrogation récente du programme d’études d’éducation sexuelle à l’Ontario est un grand pas en arrière. Les enfants doivent être instruits au consentement dès le jeune âge », continue Patrick. Selon elle, il s’agirait entre autres d’un problème d’exercice du pouvoir et de titre qui aurait besoin d’être abordé.

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