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Projet de loi C-11 : une révolution tranquille de la diffusion en ligne

Dawson Couture
26 juin 2022

Crédit visuel : Jason Hafso – Unsplash

Article rédigé par Dawson Couture – Journaliste

Le projet de loi C-11, qui a pour but de moderniser la Loi sur la radiodiffusion, a été adopté le 22 juin dernier à la Chambre des communes et continuera son chemin au Sénat au cours des prochaines semaines. Le gouvernement espère ainsi incorporer les plateformes de diffusion par Internet dans le régime de réglementation de la radiodiffusion au Canada.

Les discussions concernant le projet de loi sont devenues de plus en plus politisées lors des derniers mois. Les conservateur.rice.s s’y opposant dénoncent l’impact potentiel sur les compagnies de diffusion en ligne, les petit.e.s créateur.rice.s de contenu numérique et la liberté d’expression. 

Le projet de loi a été désigné comme une priorité par le gouvernement de Justin Trudeau. Avec l’appui du Nouveau Parti démocratique et du Bloc Québécois, les libéraux.ales ont pu le faire passer avec un résultat préliminaire de 208 député.e.s pour et 117 contre.

Moderniser ou bouleverser ?

Le projet de loi C-11 est conçu pour étendre le pouvoir réglementaire du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) au-delà des diffuseurs traditionnels, afin d’inclure les plateformes en ligne telles que YouTube, Netflix et Spotify. De cette façon, ces plateformes numériques seraient contraintes à promouvoir le contenu canadien et contribuer financièrement à leur création.

Cette étape est essentielle pour protéger et promouvoir le contenu canadien de l’influence étrangère, selon Marla Boltman, directrice générale des Amis de la radiodiffusion canadienne.  Elle estime que cet effort passe par le partage d’histoires, notamment par des moyens audiovisuels. Pour elle, « la survie de nos histoires repose toujours sur le soutien du gouvernement. »

Professeur titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’Internet et du commerce électronique à l’Université d’Ottawa, Michael Geist s’est opposé ouvertement à ce projet de loi depuis sa première proposition en 2021, en tant que projet de loi C-10. Pour lui, l’argument des parties prenantes est insuffisant pour justifier la réglementation des plateformes de diffusion en ligne.

Des compagnies comme Netflix et Disney ont clairement indiqué qu’elles se considéraient déjà des contributeurs majeurs au marché canadien, explique-t-il. Tandis que les partisans du projet de loi font l’éloge de sa capacité à promouvoir du contenu francophone, Geist estime qu’il pourrait en réalité dissuader les entreprises de faire des affaires sur le territoire canadien. 

Des retombées économiques…

Depuis 1991, la Loi sur la radiodiffusion fait la promotion de contenu canadien sur nos radios et chaînes de télévision. Par leur programmation et leurs offres d’emplois, les compagnies visées sont contraintes à investir dans la culture et l’économie canadienne. Dans l’état actuel, Boltman fait remarquer que les compagnies de diffusion en ligne évitent ces obligations.

Exiger des contributions de ces compagnies donnerait, selon elle, un terrain de jeu égal entre les diffuseurs canadiens et les plateformes étrangères. « Cela enverrait un message au monde que le Canada est ouvert aux affaires, mais qu’il n’y a plus de tours gratuits », appuie-t-elle.

Le ministre du Patrimoine et porte-parole pour C-11, Pablo Rodriguez, estime que le projet de loi pourrait générer plus d’un milliard de dollars par année en retombées aux créateur.rice.s canadien.ne.s. Geist se dit toutefois sceptique à l’égard de ce chiffre. Il soupçonne que ces entreprises ne fassent que réaffecter une partie de ce qu’elles ont déjà dépensé de manière à satisfaire aux exigences. « L’idée que ces entreprises vont soudainement trouver un nouveau milliard de dollars à dépenser au Canada semble franchement fantaisiste », déplore-t-il.

L’un des enjeux clés est la définition même de ce que le CRTC devrait entendre par « contenu canadien ». Alors que des compagnies comme Netflix déclarent avoir déjà investi des milliards de dollars dans le contenu canadien et affirment respecter les normes canadiennes de tournage, Geist croit que cela sera insuffisant pour satisfaire aux nouvelles exigences. Pour lui, la nature subjective du terme « contenu canadien » risque d’octroyer beaucoup de pouvoir au CRTC, un organisme non élu.

… et le contenu généré par les utilisateur.rice.s ?

Le Comité permanent du patrimoine canadien a écourté le débat sur le projet de loi à un jour pour accélérer le processus. Durant les sept heures et demie d’examen, les membres ont dû voter sur plus d’une centaine d’amendements, souvent sans débat. Geist estime qu’il s’agit d’une violation des normes démocratiques puisqu’il « n’existait aucun argument convaincant pour limiter cet examen à un seul jour ».

Le professeur de droit croit que de nombreux amendements ont sans doute tenté d’aborder la question de la réglementation du contenu généré par les utilisateur.rice.s. Alors que le ministre Rodriguez a déclaré que la loi n’affecterait pas le contenu d’utilisateur.rice.s sur Tik Tok, Instagram ou YouTube, le président du CRTC admet qu’il pourrait néanmoins le réglementer. 

En incluant le contenu généré par les utilisateur.rice.s dans le champ d’application du projet de loi et en traitant les nouvelles nationales de Radio-Canada comme l’équivalent des vidéos de discussions technologiques sur YouTube, Geist craint que le CRTC puisse ordonner aux plateformes de donner la priorité à certains contenus. En s’immisçant dans le contenu posté par les individus, il soupçonne que le CRTC puisse le dé-prioriser à travers un algorithme selon leur définition de « contenu canadien ».

Même si l’inclusion du contenu généré par les utilisateurs n’est pas une priorité pour les défenseurs du projet de loi, selon Geist, ce point a été l’un des principaux sujets de controverse en raison de son impact potentiel sur la liberté d’expression en ligne. Google et YouTube ont demandé que le gouvernement retire explicitement ce type de contenu du projet de loi.

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