
Quand l’Université d’Ottawa taxe ses étudiant.e.s avec des frais « accessoires »
Crédit visuel : Archives de La Rotonde – Jurgen Hoth
Éditorial rédigé par le comité de rédaction de La Rotonde
Étudier à l’Université d’Ottawa (U d’O) coûte cher. Que l’on soit étudiant.e ontarien.ne, canadien.ne ou international.e, les frais de scolarité représentent déjà une charge lourde pour une population souvent confrontée à la précarité. À cela s’ajoutent de nombreux montants accessoires imposés par l’Université, qui alourdissent encore la facture, et que les étudiant.e.s découvrent souvent avec surprise.
Démarches supplémentaires ? Coûts systémiques.
Les droits accessoires à l’U d’O sont des frais facturés en plus des frais de scolarité. Couvrant un large éventail de services offerts aux étudiant.e.s, ils sont souvent présentés comme optionnels.
Pourtant, dans certains contextes, ces derniers sont essentiels comme dans la réception de documents officiels tels que les diplômes, lors de la demande de syllabus, du paiement de frais d’adhésion au régime COOP, lorsque l’on doit remplacer son laissez-passer U-Pass, ou encore quand l’on fait une demande de report d’un examen, sans garantie d’acceptation (60$).
Une attestation d’études officielle via la plateforme MesCertif peut coûter jusqu’à 24,04 $. Une version papier ? 28,59 $. Un diplôme : 102,75 $. Un syllabus en format officiel : 28,59$ par cours pour certains programmes. C’est 275$ par cours si vous étudiez en sciences infirmières, et que vous choisissez le Forfait 1 proposé par l’U d’O. Vous devrez débourser 880$ si vous êtes un.e étudiant.e national.e souhaitant intégrer un programme COOP, si l’option est facultative à votre programme d’études, et 1 105$ si vous êtes étudiant.e international.e.
Ces frais peuvent vite s’accumuler et atteindre des centaines, voire des milliers de dollars, des sommes qui dépassent largement un budget étudiant moyen. Certes, on peut invoquer la qualité des services offerts, mais la multiplication de frais imprévus, leur opacité et, comme nous le verrons, dans certains cas, leur automatisation numérique rendent leur justification difficile et d’autant plus fragile.
Pourquoi facturer chaque étape du parcours universitaire ?
Difficile à avaler lorsque l’on sait que, via MesCertif, ces documents sont générés automatiquement sans intervention humaine, une automatisation qui rend ces tarifs d’autant plus injustifiables. Difficile aussi d’accepter que beaucoup de ces documents ne soient offerts que dans une seule langue dans une université qui se proclame pourtant « la plus grande université bilingue français-anglais au monde ». Donc, si vous les voulez dans les deux langues, il faut payer deux fois.
Ces petites démarches ne sont pas sans conséquences. Récemment, un étudiant de l’U d’O a dû abandonner sa candidature à un programme de deuxième cycle à l’étranger, faute de pouvoir assumer le coût des descriptions officielles exigées pour les 40 cours qu’il avait suivis au premier cycle. À 28,59 $ le document, sa facture s’élevait à 1 143,60 $. Faute de pouvoir débourser cette somme considérable, son parcours académique a été compromis.
Et ce cas est loin d’être isolé. Lorsqu’un.e étudiant.e demande un document officiel, c’est rarement par choix, à savoir que ces services sont essentiels à leur cheminement académique ou professionnel. Cette réalité illustre un fossé grandissant entre la politique institutionnelle et les réalités étudiantes. Une stratégie financière d’autant plus préoccupante alors que la précarité étudiante atteint aujourd’hui des sommets.
En 2021, selon un rapport de Meal Exchange, 56 % des étudiant.e.s au Canada étaient confronté.e.s à l’insécurité alimentaire. Sur notre propre campus, entre 400 et 500 étudiant.e.s fréquentent chaque mois la banque alimentaire du Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa.
Certaines études exposent aussi que jusqu’à 28 % de la population étudiante vivrait une forme d’itinérance. Ces conditions de vie affectent directement les capacités d’étudier, de se loger, de se nourrir, de persévérer, et de se créer un avenir viable. Ainsi, pourquoi ajouter de tels frais à une population déjà fragilisée ?
À qui la responsabilité ?
Il est difficile de traiter de la question des droits accessoires sans la situer dans un contexte plus large de sous-financement chronique de l’enseignement postsecondaire en Ontario. La province finance le moins son réseau universitaire public, avec environ 10 000 $ par étudiant.e canadien.ne, contre près de 30 000 à Terre-Neuve-et-Labrador.
Depuis 2019, le gouvernement Ford a gelé les frais de scolarité sans compenser les pertes financières subies par les établissements, les poussant à chercher des revenus ailleurs. À cela s’ajoute la décision du gouvernement fédéral de réduire massivement le nombre de permis d’études internationaux, privant les universités d’une autre source de revenus. Certes, l’Université ne peut combler des millions de dollars simplement par l’imposition de coûts accessoires, voire les pallier à elle seule, mais faire porter le poids de ce déséquilibre à travers la multiplication de tels frais laisse un goût amer.
Dans ce contexte, une exigence de transparence s’impose et le simple fait de publier les montants accessoires en ligne ne suffit pas. Le rôle du Bureau des gouverneurs, qui approuve chaque année les hausses de frais en fonction de critères, devient central. Quels critères précis guident ces décisions ? Des études d’impact ont-elles été menées ? Une stratégie financière à long terme a-t-elle été définie, et si oui, est-elle cohérente avec la mission éducative de l’Université ? Selon nous, il ne suffit pas de justifier ces décisions par des « besoins financiers » ou des « pressions inflationnistes » si elles se font au prix de l’endettement ou de la détresse de ceux.celles qui font vivre l’Université.
En tant qu’institution publique, l’Université d’Ottawa a une responsabilité envers sa communauté étudiante et elle ne peut pas continuer de gérer ses finances comme une entreprise privée sans égard quant aux retombées directes de ses décisions sur les étudiant.e.s. Explorer d’autres avenues stratégiques et reconnaître que certaines pratiques actuelles ne sont plus viables doivent faire partie de l’introspection que le Bureau des gouverneurs doit amorcer, s’il ne l’a pas déjà fait.
Des mesures concrètes sont possibles, comme exonérer les étudiant.e.s les plus vulnérables, demander un appui financier plus marqué de la part des gouvernements malgré un climat d’austérité budgétaire, et cesser d’imposer des frais qui ne reflètent pas les coûts réels des services. Il ne s’agit pas ici de nier la complexité de possibles défis budgétaires auxquels fait face l’Université, mais de refuser que leurs conséquences soient systématiquement refilées à la population étudiante. Ce sont nos conditions de vie, notre accès à l’éducation et notre avenir collectif qui sont en jeu. Il est temps de poser la question de savoir quelles stratégies nous voulons légitimer et au bénéfice de qui ?