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Arts et culture

Quelqu’une d’immortelle : entrevue avec Camille Paré-Poirier

Marie-Ève Duguay
18 janvier 2022

Crédit visuel : Courtoisie – Eva-Maude TC

Entrevue réalisée par Marie-Ève Duguay – Cheffe de pupitre Arts et culture

Camille Paré-Poirier est diplômée de l’École de théâtre au Cégep de Saint-Hyacinthe et travaille, depuis quelques années déjà, comme comédienne et autrice. En plus d’avoir récemment publié son livre Dis merci chez les Éditions de Ta Mère, elle coproduit en partenariat avec Transistor Média une série de baladodiffusions, qui met en scène Camille et sa grand-mère Pauline.

La Rotonde (LR) : Qu’est-ce qui vous a poussé à poursuivre une carrière dans le domaine des arts ? 

Camille Paré-Poirier (CPP) : Ma mère a toujours eu le rêve d’être comédienne, mais elle est devenue avocate au lieu. Quand nous étions jeunes, mon frère et moi, nous avons fait énormément d’activités parascolaires en art. Nous avons baigné dans l’improvisation et dans le théâtre tout au long de notre scolarisation.

Cela avait du sens pour moi de me lancer dans le domaine des arts. Je pense que j’allais le regretter si je ne m’essayais pas ! Mon frère aussi est comédien. Jusqu’à maintenant, tout va bien !

LR : En décembre dernier, vous avez lancé votre création audio, Quelqu’une d’immortelle. De quoi s’agit-il, au juste ?

CPP : Quelqu’une d’immortelle, c’est des conversations que j’ai enregistrées avec ma grand-mère au cours des cinq dernières années. Quand elle est emménagée dans un centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) à Montréal, je me suis mise à l’enregistrer. Elle commençait à perdre la mémoire et je voulais garder des traces de sa vie. J’ai remarqué que j’en savais très peu sur elle avant ma naissance. Je suis née alors qu’elle avait 70 ans, donc elle avait déjà vécu plusieurs choses !

Au départ, je l’enregistrais plutôt pour moi et pour ma famille. Plus ça allait, plus j’ai réalisé que nos conversations ouvraient la porte à des questions existentielles et philosophiques que je trouvais très intéressantes. Ce point de départ, entre petite-fille et grand-mère, s’est ensuite ouvert au rapport à la mort, à la technologie, aux liens intergénérationnels et à ce qui est inné et ce qui est acquis, entre autres.

J’ai contacté Transistor Média, à Aylmer, et le projet les a emballés. J’ai développé trois épisodes qui prennent le format de balado ; je vois le tout comme une histoire, comme un documentaire, où je romantise et poétise le matériau de base. J’espérais surtout que le projet touche à plusieurs personnes, et pas seulement ceux et celles qui connaissent ma grand-mère.

LR : La pandémie a-t-elle influencé votre processus artistique ? 

CPP : Au tout début, j’avais la vision d’en faire une production théâtrale. Mais avec la pandémie, j’ai dû me concentrer sur la baladodiffusion, plutôt que d’en faire un projet pour le théâtre.

Avant la pandémie, j’enregistrais la voix de ma grand-mère en personne. Mais lors des confinements, nous avons été forcées de parler au téléphone. J’ai alors constaté l’importance d’être ensemble dans la même pièce et l’importance du contact physique, surtout chez les aîné.e.s, pour qui le contact physique permet de s’ancrer dans la réalité.

Le décès de ma grand-mère pendant la pandémie a été un gros coup qui m’a également donné envie de parler de la crise dans les CHSLD. Je ne voulais pas faire venir d’intervenant.e.s ; je préférais simplement parler du sentiment d’isolement qui était partagé par ma grand-mère et par moi. C’est ainsi que le projet est né.

LR : Dans la série, vous abordez des thèmes comme l’âge et la mort, entre autres. Pourquoi avez-vous choisi de parler de ces thèmes ?

CPP : Je voulais surtout que le projet rejoigne les gens de mon âge. Souvent, les projets sur les personnes âgées s’adressent surtout aux personnes âgées elles-mêmes, même si elles savent ce qu’est de vieillir et d’être malade. J’ai trouvé une grande compréhension dans ma vingtaine grâce à ma relation avec ma grand-mère et à sa sagesse. Cela m’a donné beaucoup de recul sur ma propre existence, et j’ai réalisé que la vieillesse et la mort sont des étapes de la vie normale et que nous y passons tou.te.s.

J’ai fait plusieurs liens entre ma vingtaine et sa quatre-vingt-dizaine à travers ces thèmes. Je voulais parler des changements en ce qui concerne nos rôles dans la famille : quand ma grand-mère a commencé à perdre son autonomie, elle se retrouvait un peu à être infantilisée, et moi, à 20 ans, je devenais une adulte, et mon rôle changeait aussi. On vivait tout cela en parallèle ; je me sentais déracinée en emménageant à Montréal, et elle perdait sa maison en emménageant en CHSLD.

Je suis contente de voir que ma grand-mère est intéressante pour les autres aussi. Le plus beau compliment qu’on m’ait fait sur ce projet en général, c’est que les gens me parlent de leurs grands-parents.

LR :  Pouvons-nous nous attendre à plus de contenu d’ici un futur proche ? 

CPP : Le projet balado ouvre la voie à plusieurs autres questions. Le rapport au langage, c’est quelque chose que j’ai vraiment envie d’explorer, tout comme le mythe familial par rapport à la langue et le rapport à la chanson qui, dans ma famille, est très précieux. Jusqu’à la toute fin, ma grand-mère accordait beaucoup d’importance au vocabulaire, même quand elle perdait contact avec la réalité. 

Je me dirige plutôt vers un projet théâtral pour la suite, mais j’ai tout de même adoré l’expérience du balado et je ne manque pas de matériel si je veux éventuellement faire une deuxième saison. Je trouve qu’il y a quelque chose de vraiment riche dans la contrainte d’avoir seulement recours au son. Le balado permet de laisser les gens imaginer ma grand-mère, malgré ne l’avoir jamais vue, et permet aussi de se projeter dans l’univers du CHSLD.

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