Crédit visuel : Magalie Lefebvre Jean, Daniella Ingabire, Karine Cohen-Sanchez
Par Caroline Fabre – Rédactrice en chef
Daniella Ingabire est étudiante à la maîtrise à la faculté des sciences sociales, et assistante à l’enseignement (AE) à l’Université d’Ottawa (U d’O). Actuellement rédactrice d’une thèse sur les discours racistes dans les médias dirigés contre les réfugiés, elle sera également panéliste de la conférence sur Le racisme dans les institutions canadiennes le 15 octobre prochain. Elle aborde aujourd’hui la relation entre l’U d’O et le racisme.
La Rotonde (LR) : Il y a eu plusieurs cas de racisme sur le campus, récents et plus anciens. Qu’est-ce que ça dit sur l’Université, selon vous ?
Daniella Ingabire (DI) : Ça vient des images et discours que l’U d’O tente de vendre. L’image dans laquelle sa diversité compte beaucoup, ce qui est faux, mais il y a des efforts de changements en place. Je sais de source sûre que l’U d’O n’a presque pas de statistiques socio-démographiques sur ses étudiant.e.s. Si elle prétend avoir des bourses pour la diversité, la réalité est que, lorsqu’on applique à des bourses, l’Université ne sait pas si on est racisé.e ou membre d’une minorité quelconque. Tout ce qu’elle sait, c’est notre sexe car c’est demandé au moment de l’inscription. Elle sait seulement que nous sommes un.e étudiant.e canadien.ne, international.e ou autochtone.
J’ai vécu beaucoup d’expériences racistes au baccalauréat, mais aussi dans mes stages, ou à l’Université elle-même. Ce sont des vécus réels, qui ont été expérimentés par d’autres étudiant.e.s de couleur, ou même des étudiant.e.s blanc.he.s qui ont eu beaucoup de difficultés avec les soins en santé mentale. En matière de diversité, l’U d’O a beaucoup de chemin à faire pour arriver à atteindre le discours qu’elle prétend [déjà] avoir atteint.
Le bon côté des choses, c’est que comparativement à d’autres universités canadiennes, surtout québécoises, les universités ontariennes comme uOttawa et Carleton en parlent. Il y a des discussions […] en cours, il y a des comités créés un peu partout, on voit qu’il y a des choses qui sont en train de bouger. Je pense que c’est ça l’espèce d’ouverture dont on avait besoin, nous, étudiant.e.s racisé.e.s, issu.e.s de minorités sexuelles ou autres, pour pouvoir faire entendre notre voix et proposer des solutions concrètes.
C’est vraiment dans ce contexte-là que j’ai réussi à introduire mon plan d’action dans mon département, puis on espère le monter plus haut, au niveau de la faculté.
LR : Est-ce que vous pourriez nous parler un peu des services de soutien offerts aux communautés minoritaires ?
DI : Honnêtement je n’en connais pas ; je ne pense pas qu’il y en ait. S’il y en a, ils ne sont pas publicisés par l’Université, et je doute de leur efficacité, non pas pour leur enlever leur pertinence, mais […] [car ils se rapportent] à l’Université. Je ne sais pas pourquoi l’U d’O mettrait en place des instances pour aider les étudiant.e.s racisé.e.s ou issu.e.s des minorités si elle-même, à son niveau, ne veut rien faire pour nous aider.
Avant de mettre en place ce genre d’instances, il faut s’assurer que l’Université est vraiment prête et engagée à faire du changement. Nous, les gens qui vivons ces enjeux, nous savons comment les régler, mais nous n’avons pas les moyens pour. L’Université devrait intervenir avec nous, le tout doit être un travail de collaboration pour l’instant.
LR : Est-ce que vous connaissez, à l’inverse, des groupes de soutien créés par des étudiant.e.s auxquels les étudiant.e.s racisé.e.s pourraient se référer ?
DI : Les étudiant.e.s entre eux.elles se créent des instances informelles. En sciences sociales, ça existe. J’en ai créé un dans mon ancien programme d’études pour les étudiant.e.s racisé.e.s, pour parler des stages et du programme en général.
Je viens aussi d’en créer un autre avec mes ami.e.s ; on voulait agrandir notre groupe d’action à tou.te.s les étudiant.e.s du département. Finalement, on a décidé que le groupe serait ouvert à l’ensemble des étudiant.e.s de l’U d’O. On aura bientôt une rencontre pour décider de la manière dont on va ouvrir le groupe, comment on va coordonner les actions avec tou.te.s les étudiant.e.s qui sont invité.e.s.
Il y a plusieurs enjeux à prendre en considération : il y a des gens qui sont intéressés de se joindre à notre groupe, mais peut-être pas à l’aise de s’engager sur certains points, parce qu’ils.elles ont peut-être peur pour leurs emplois s’ils.elles font trop de bruit.
On essaye donc de trouver des façons de faire en sorte que les étudiant.e.s soient vraiment à l’aise à leur propre niveau d’action, qu’ils.elles soient le plus confortable [possible] pour ne pas nuire à leurs études ou à leur emploi.
En général, je pense que les étudiant.e.s ne sont pas trop au courant de ce genre d’instances car c’est très formel ; tout se fait à huis clos. Les gens font leurs propres initiatives dans leur propre département, dans leur propre groupe.
Au final, on ne sait pas trop ce qui se passe. C’est l’un des effets pervers du fait que les étudiant.e.s n’ont pas confiance dans l’Université, du fait qu’ils.elles se sentent opprimé.e.s. Ils.Elles ne savent plus à qui faire confiance, et préfèrent développer des initiatives à petite échelle, entre eux.elles.
LR : Que pourrait mettre en place l’Université pour venir en aide aux minorités ?
DI : D’une part, l’Université devrait analyser s’il n’y a pas de biais au niveau des bourses d’aide financière, qui font en sorte que certains profils soient privilégiés, et d’autres non. En ce moment, avec la COVID-19, c’est un contexte qui va vulnérabiliser ces étudiant.e.s qui l’étaient déjà. Il faudrait donc revoir les critères d’admissibilité à ces bourses […].
Aussi, ça serait important de faire des recherches concernant les profils socio-démographiques [des étudiant.e.s], pour avoir une idée de la diversité de l’Université, et voir comment elle peut transparaitre dans l’attribution des bourses. Je sais qu’en ce moment, il y a une initiative qui s’appelle Count me in, c’est un court formulaire que les étudiant.e.s peuvent remplir à partir de uoZone pour déterminer si les étudiant.e.s sont issu.e.s de minorités visibles, sexuelles, religieuses. Ça va être utilisé lorsqu’ils.elles vont appliquer pour le regime travail/études ou dans le cadre des bourses, pour s’assurer qu’il y ait moins de biais dans l’obtention [de celles-ci].
Je pense que des choses peuvent être faites au niveau des syllabus de cours ; ils devraient être décolonisés pour avoir plus de chercheur.se.s, d’auteur.e.s, racisé.e.s dans les cours. L’important, c’est de valider des auteur.e.s racisé.e.s. Il y a d’ailleurs une pétition qui a commencé à l’Université de Carleton, pour que les universités d’Ottawa donnent un cours obligatoire sur l’anti-racisme.
Ce serait un cours obligatoire pour les prérequis à l’obtention d’un diplôme de premier et deuxième cycle, ou d’un doctorat. Je pense qu’il est [en effet] important pour les gens, peu importe le domaine d’étude, de comprendre la diversité car celles et ceux qui vont graduer vont être confronté.e.s à des gens qui ne leur ressemblent pas.
Je crois aussi que des choses peuvent être faites pour la [sur]charge de travail des professeur.e.s et des AE racisé.e.s, ou issu.e.s de minorités sexuelles. Souvent, puisque nous sommes issu.e.s de minorités, des étudiant.e.s s’identifient à nous. J’ai eu des étudiant.e.s internationaux.ales racisé.e.s qui venaient me voir parce qu’ils.elles avaient des problèmes personnels, et dans leur communauté, c’est dur d’en parler. Donc j’étais leur seule ressource. Je prends le temps de m’asseoir, de discuter des ressources vers lesquelles je peux les diriger. C’est quelque chose qui est assez lourd, et je ne suis pas payée pour ça.
Mon collègue, qui était un jeune homme blanc, n’avait pas à faire ça. Quand ça m’arrivait, certain.e.s me disaient que je n’avais pas à le faire. Oui, mais je fais en sorte que les étudiant.e.s réussissent leur baccalauréat. Car quand moi j’y étais, j’avais envie d’avoir un.e AE qui me ressemble, pour que je puisse parler de ça. Ça ne m’est jamais arrivé, j’ai eu mon premier professeur noir rendue à la maîtrise.
C’est aussi un autre point : c’est important d’avoir un corps professoral diversifié. Je suis dans un département qui est énorme, qui a plus d’une trentaine de professeur.e.s. Mais les professeur.e.s noir.e.s, on ne les voit pas. S’il y en a, ils sont à temps partiel, à contrat. Ce sont des postes précaires ; ça serait important d’avoir des professeur.e.s à temps plein qui puissent représenter la diversité de l’Université au complet.
L’U d’O a une image féministe très questionnable, beaucoup de professeures sont des femmes blanches. Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de professeure noire à temps plein à l’U d’O ? Je n’en ai jamais vu de ma vie, je n’en connais pas.
C’est vraiment quelques éléments qui font partie d’un plan d’intervention que je mets en route ; j’ai été invité à une conférence qui va se donner bientôt sur le racisme. C’est là que je vais pouvoir donner plus d’informations sur le plan anti-raciste que j’ai formulé dans mon département d’études.
LR : Auriez-vous une dernière chose à rajouter ?
DI : J’encourage tou.te.s les étudiant.e.s qui sont intéressé.e.s par ces enjeux d’inclusivité à faire des projets, mais à ne pas les faire seul.e.s. C’est toujours mieux de les faire en équipe, pour avoir un soutien moral.
Ce genre de projet demande beaucoup d’énergie. Souvent, ce n’est pas rémunéré. J’ai eu beaucoup de chance de recevoir une bourse par rapport à cela, mais tout le monde n’a pas autant de soutien que j’en ai eu dans mon département.