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Bruit et recherches du profit : le fléau des rénovictions

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12 janvier 2021

Crédit visuel : Valérie Soares – Photographe

Chronique rédigée par Gabriella Santini – Contributrice

Durant la pandémie, j’ai été victime de rénoviction, et je ne suis pas la seule. Mon propriétaire, la grande compagnie de gestion immobilière Propriétés Hazelview, a commencé un projet de construction ambitieux et bruyant, rendant l’isolement dans mon petit appartement insupportable. Alors que nous imaginons que ce sont les compagnies privées qui en sont responsables, la ville d’Ottawa est aussi complice ; la recherche du profit, tant au niveau corporatif qu’au niveau municipal, est mise avant le bien-être des citoyen.ne.s.

Les rénovictions, un terme courant qui réfère aux évictions liées aux rénovations, sont communes à Ottawa. Il s’agit d’une stratégie employée par les grandes compagnies de gestion immobilière pour augmenter le prix des loyers au-delà de ce qui est permis légalement. Puisqu’il y a un plafond de 2.2 % en Ontario sur les augmentations annuelles de loyer, les propriétaires font des rénovations insupportables pour pousser les locataires à déménager. Une fois les ancien.ne.s locataires parti.e.s, les propriétaires peuvent alors légalement augmenter les loyers, car les immeubles avec des ajouts sont exemptés du contrôle de loyer. C’est ce qui m’est arrivé au beau milieu de la pandémie.

Hazelview, un propriétaire moins qu’amical

Ce n’était pas facile pour moi de rester à la maison. Du jour au lendemain, mon petit appartement d’une chambre est devenu un bureau, une salle de sport et une salle de classe pour mon partenaire et moi. Je me suis rapidement familiarisée avec les quatre murs de ce dernier. J’ai commencé à en scruter chaque centimètre, et je suis devenue de plus en plus irritée par les défauts de mon espace : le tapis sale, le manque de lumière du jour, et la quantité d’espace que nos deux vélos occupaient dans le salon. Au début de la COVID-19, il n’y avait nulle part où aller, nulle part où s’échapper. Il faisait froid dehors, et mes quatre murs me rendaient folle.

Ce qui a aggravé ma situation, c’est la décision de mon propriétaire selon laquelle la pandémie était le moment idéal pour rénover : une refonte complète du hall et du garage de l’immeuble a débuté, ce qui, selon eux, améliorerait nettement l’expérience de vie des résident.e.s. Tous les jours de la semaine, à partir de huit heures du matin, les bruits de construction commençaient, et continuaient jusqu’à cinq heures de l’après-midi. 

Comment mon propriétaire a-t-il pu entreprendre une rénovation aussi bruyante, sachant très bien que les résident.e.s n’avaient absolument aucun autre endroit où aller ? Bien sûr, j’ai essayé de contacter le directeur de l’immeuble à plusieurs reprises, en vain. Je me sentais impuissante. En tant qu’étudiante à la maîtrise, j’avais peu de temps pour terminer ma thèse. Je ne pouvais plus aller dans les cafés ou sur le campus pour travailler. J’ai dû me contenter de mon appartement insupportablement bruyant et désagréable. J’ai donc commencé à travailler sur ma thèse le soir, lorsque le bruit cessait. 

Cela a cependant provoqué des tensions avec mon partenaire qui voulait jouer de la guitare, regarder la télévision ou appeler des membres de sa famille en soirée. Le même appartement qui me paraissait autrefois romantique m’est soudainement apparu moins qu’idéal, voire inhabitable. Le look stérile et très boxy de l’architecture brutaliste n’a pas été le moins enrichissant, et la rédaction de ma thèse en a beaucoup souffert.

Finalement, j’ai dû déménager. Le propriétaire a gagné. Mon appartement vacant a soudainement augmenté en valeur, et le propriétaire a pu empocher un loyer deux fois supérieur au prix d’origine.

Problème récurrent

Heron Gate est un autre exemple de rénoviction qui a fait les manchettes ces dernières années. En 2016, la même compagnie qui m’a poussée à déménager durant la pandémie, Propriétés Hazelview, a expulsé les résident.e.s de 80 maisons abordables et en 2018, a démoli 150 autres maisons du même type. Ottawa n’intervient pas pour protéger les victimes des rénovictions. 

En novembre dernier, c’est elle-même qui y a contribué alors que le comité de transport de la ville a voté pour le plan de la phase trois de l’expansion du O-train. Celle-ci mettait 120 unités de logement abordable à Manor Village et Cheryl Gardens en risque de démolition pour faire place au nouveau train. Bien que les raisons pour la relocalisation proposée des résidents de Manor Village et de Cheryl Gardens diffèrent de celles de Heron Gate, il s’agit dans les deux cas de l’expulsion des résident.e.s de logements abordables.

La ville d’Ottawa est confrontée à une crise du logement. Le conseil municipal a déclaré l’urgence du logement et de l’itinérance en janvier dernier. Les loyers grimpent, tandis que les salaires stagnent. Alors que douze mille ménages attendent un logement communautaire subventionné par la municipalité, une vague de gentrification continue d’anéantir les logements plus abordables. Environ 19 000 ménages de la capitale nationale dépensent plus de 50 % de leurs revenus sur leur logement.

Crise du logement ; un rapport de pouvoir

Pourquoi est-ce que la ville d’Ottawa privilégie donc le mandat destructeur des grandes compagnies d’immobiliers et des développeurs ? En remplaçant des immeubles à prix modique avec des condos luxueux, les terres urbaines prennent de la valeur. Puisque la principale source de revenus pour les municipalités canadiennes est les impôts, les villes ne vont pas s’opposer à la hausse de valeur des propriétés. Et les développeurs, eux, ont la liberté de faire ce qu’ils font de mieux : augmenter leurs profits, et ce au détriment des gens moins bien munis.

Il était une fois quand les villes accueillaient la classe ouvrière. Aujourd’hui, avec la disparition des industries dans les centres urbains et les terres qui deviennent l’industrie dominante, la classe ouvrière a du mal à y vivre. La ville d’Ottawa pourra-t-elle devenir plus habitable pour les étudiant.e.s, les jeunes familles, les prolétaires et les gens défavorisés ? Pourra-t-elle mettre les besoins de ces citoyen.ne.s au dépend de l’amélioration des profits ? Saura-t-elle comment mettre fin aux rénovictions, et augmenter le taux de logements abordables ?

La ville doit donc protéger les quartiers populaires et les logements abordables de la force de gentrification. Ottawa doit adopter les régulations de zonage inclusif de l’Ontario établies en 2018. Ainsi, elle pourra demander aux développeurs de réserver un certain nombre de nouvelles unités à des prix abordables. De plus, la ville peut subventionner la construction de nouveaux logements sociaux enrichissants, sécuritaires et durables. Avec de tels efforts, les étudiant.e.s comme moi n’auront pas à faire face aux abus que j’ai subis cette année.

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