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Opinions

Rentrer chez soi  

Rédaction
27 août 2019

Crédit visuel:  Catherine Gagnon-Jones

Par Alex Benimana

C’est un pèlerinage que j’attends fiévreusement chaque année. Comme beaucoup d’étudiants universitaires, internationaux ou non, je m’exile d’Ottawa chaque été. Loin des préoccupations académiques, je m’en vais retrouver ma famille, recharger les batteries avant une nouvelle année, qui sera sans doute bien trop courte, et bien trop longue pour mes nerfs par moments. 

« Tu as grandi! »

Où vieilli, selon la personne à qui je parle, sa familiarité, et son envie de me taquiner. Curieusement, la distribution des personnes trouvant que j’ai pris ou perdu du poids s’équilibre au fil des retrouvailles, me laissant penser qu’à ce niveau-là, pas grand-chose n’a changé. 

Une chose est certaine; je ne suis plus la même personne que l’année passée.

À mon inconfort, ma chambre d’enfance, elle, n’a pas changé. Deux lits superposés qui autrefois servaient à moi et mon grand-frère, puis à son départ, aux amis qui passaient la nuit chez moi. Je garde le lit du bas, autrefois signe de ma défaite face à la volonté face au fils ainé de la famille. Il vaut mieux, lors des chaudes nuits d’été, rester le plus proche possible du sol frais. Et alors que j’essaye tant bien que mal de m’endormir, me cognant plusieurs fois aux rebords de cet espace restreint, je me console en pensant que ce fragment de mon passé aurait déjà pu laisser place à une salle de sport ou une chambre d’hôte.

Il y a quelque chose de fascinant dans les retrouvailles. Je fais maintenant partie des « adultes ». 

Ce groupe de gens toujours pressés, toujours stressés auquel j’ai encore du mal à m’identifier. Il ne s’agit plus seulement de papa, maman ou encore tonton, ces figures d’autorités ayant déjà choisi pour moi. Il s’agit de personnes à part entière, avec leurs qualités, leurs défauts et leurs opinions qui ne sont pas forcément les miennes. Fièrement, je prends part à ces conversations qui me passaient par-dessus la tête.

 Très loin d’ici

De retour sur les lieux de mes exploits d’enfance, je ne peux m’empêcher de me moquer de moi-même.  L’héroïsme absolu que j’ai ressenti sur ce vieux terrain de football mal tondu, la dévastation totale de mes premières peines de cœur sur ces marches au coin d’une ruelle, la peur extrême du couvre-feu dépassé dans ce petit restaurant près de l’école, je peux maintenant en rire. Mais en pleurer également, ou plutôt pleurer cette bulle, qui rendait ces évènements géants et me protégeait de ma propre petitesse.

Je viens du Rwanda. Un petit pays à l’histoire tragique, qui n’a plus le temps d’attendre quiconque pour progresser. Alors parfois il me vole mes souvenirs malgré lui. L’école que j’ai fréquentée a déménagé en périphérie depuis, délaissant le centre-ville aux grandes bâtisses poussant comme des champignons. Le joyeux chaos idéalisé par mes yeux d’enfant a fait place aux rues goudronnées et aux palmiers parfaitement espacés. L’embourgeoisement se fait sentir partout, sous les yeux bienveillants des habitants, des nouveaux arrivants, et ce, à une vitesse choquant les revenants.

Saudade

 Que valent quelques images dans mon cerveau face au progrès? Pas grand-chose. Alors je les imprime profondément en moi, avec saudade. C’est un mot emprunté au Portugais, mélangeant la tristesse du passé perdu, et la gratitude de l’avoir vécu, et un certain espoir de retrouver cet état.

Une partie de moi voudrait ne plus jamais s’en aller, pour participer au lieu de constater la transformation du lieu où j’ai grandi. Une autre voudrait prendre ses jambes à son cou, le plus loin possible, pour ne pas aliéner les fragments d’images qui ne le sont pas encore.

Alors que les lumières sur les collines se font de plus en plus petites et éparses depuis mon hublot, je retiens mes larmes pour mes proches dont je m’éloigne. Et je pense déjà aux remarques qu’ils me feront dans un an. 

À très bientôt, Kigali.

 

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