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Opinions

Se servir de ses privilèges pour être un.e bon.ne allié.e

Rédaction
23 août 2020

Crédit visuel : Pixabay

Par Camille Cottais – Contributrice

Dans cette série d’articles, je me suis interrogée des personnes concernées par différentes oppressions afin de déterminer comment, en tant que privilégié.e, pouvons-nous être un.e bon.ne allié.e. Comment me servir de mes privilèges afin d’aider les personnes opprimées et discriminées à lutter pour leurs droits et à faire avancer l’égalité ? Pour ce premier article, j’ai rencontré quatre étudiant.e.s transgenres.

Pour commencer, tout comme pour n’importe quelle oppression systémique, il est important que les personnes en position de domination reconnaissent leur.s privilège.s. En tant que personnes cisgenres, c’est-à-dire s’identifiant au genre qui nous a été attribué à la naissance, nous sommes de facto privilégié.e.s dans une société cis-normée ; le fait d’être cisgenre est présenté comme la norme naturelle, universelle et légitime.

La parole aux concerné.e.s

Vic est une personne non-binaire qui utilise le pronom « iel ». Iel rappelle qu’il est primordial de toujours laisser la parole aux personnes concernées, qui doivent être mises au centre de la lutte contre la transphobie. Les personnes cisgenres n’ont pas à prendre la place des militant.e.s transgenres : leur rôle est avant tout d’écouter, d’apprendre, et de constamment se remettre en question.

Une étudiante transgenre utilisant le pronom « elle » et souhaitant rester anonyme insiste sur l’importance de comprendre la différence entre sexe et genre. Si le sexe renvoie à des caractéristiques biologiques, le genre désigne la construction sociale de la féminité et de la masculinité dans une culture et une époque donnée.

Cette distinction est fondamentale afin de ne pas réduire un genre à des organes sexuels : ce serait ainsi confondre sexe et genre que de soutenir l’idée transphobe qu’être une femme consiste à avoir un utérus et être un homme avoir un pénis. Rappelons qu’une femme trans a toujours été une femme ; elle n’est pas « un homme qui devient une femme. »

La première chose à faire pour les personnes cisgenres est de respecter les pronoms, les accords et ainsi l’identité de genre des personnes trans, et ce même lorsque la personne n’est pas présente.

Attention aux pronoms

Ne pas respecter les pronoms, ou mégenrer quelqu’un peut être très violent pour les personnes trans, et exacerber leur dysphorie de genre, c’est-à-dire le mal-être ou inconfort pouvant résulter de l’inadéquation entre son sexe assigné et son identité de genre.

La même chose s’applique pour l’utilisation du deadname, ou prénom assigné à la naissance d’une personne trans. Vic souligne que les personnes cisgenres peuvent corriger d’autres personnes cisgenres si celles-ci mégenrent une personne trans, à condition que celle-ci soit out, c’est-à-dire qu’elle ait fait son coming-out transgenre. Dans le cas contraire, la personne pourrait potentiellement se retrouver en danger.

Le fait de se présenter en indiquant ses pronoms, même lorsque l’on est une personne cisgenre, peut également permettre de banaliser cette pratique. 

Les pronoms ou l’identité d’une personne trans ne devraient jamais être présumés sur la base de l’apparence. En effet, l’identité de genre d’une personne, genre auquel elle s’identifie, peut être différente de son expression de genre, passant par exemple par  sa façon de s’habiller, les cheveux, le comportement…

Le respect, base de tout

Vic rappelle qu’il est primordial de ne pas poser de questions inappropriées à une personne trans, tels que demander son deadname, poser des questions sur les organes génitaux ou encore demander des photos « d’avant ». Ces questions sont déshumanisantes et insultantes : les personnes transgenres n’existent pas pour satisfaire la curiosité des personnes cisgenres et la transidentité ne se limite pas à l’apparence.

Cela s’applique également aux faux compliments qui sont en réalité des micro-agressions, comme par exemple « ça ne se voit vraiment pas, je n’aurais jamais cru »,  « tu ressembles vraiment à un.e “vrai.e” femme/homme » ou encore « tu es beau/belle pour une personne trans. » Votre respect envers les personnes trans ne devrait jamais être lié à leur conformité ou non aux normes ciscentrées de notre société (par exemple, ne respecter que les hommes trans s’inscrivant dans la masculinité hégémonique)

Léon, homme trans utilisant le pronom « lui », souligne qu’être un.e bon allié.e, ce n’est pas seulement accepter ou tolérer passivement les personnes transgenres. C’est un travail militant, qui peut passer par le fait d’aller en manifestation, de corriger les personnes cisgenres, de condamner les « blagues » transphobes, de relayer le travail des militant.e.s, de refuser d’aller voir des films transphobes, de donner de l’argent ou du temps à des associations… Il faut profiter de son privilège pour agir ! 

S’éduquer pour mieux lutter

De la même façon, les personnes trans n’ont pas à faire de la pédagogie gratuite : il faut s’éduquer par soi-même, plutôt que de faire porter aux personnes concernées la responsabilité d’éduquer les personnes non concernées.

S’éduquer est possible en lisant des livres, en écoutant des balados, en visionnant des films ou des vidéos YouTube, en suivant des militant.e.s trans sur les réseaux sociaux, en faisant ses propres recherches sur Google…

Il est aussi primordial de se renseigner sur l’histoire des droits et du militantisme des personnes trans, par exemple sur les émeutes de Stonewall menées par des femmes trans racisées et grâce auxquelles est née la marche des fiertés. Le fait d’être gay n’immunise pas contre la transphobie : il faut lutter contre l’invisibilisation du T au sein même de la communauté LGBTQI+, parfois très centrée autour des hommes homosexuels, d’où l’emploi par exemple des termes « pride » ou « marche des fiertés » plutôt que « gay pride ».

Selon Léon, le discours du transmédicalisme, c’est-à-dire la croyance en un modèle médical de la transidentité, qu’il faudrait ressentir de la dysphorie et transitionner médicalement pour être une personne trans, est dangereux car il renforce l’idée qu’il y aurait des personnes trans plus légitimes ou plus valides que d’autres. Il n’y a aucun critère obligatoire ou parcours prédéfini pour être une personne transgenre.

Vic affirme par exemple ne pas ressentir beaucoup de dysphorie physique mais plutôt de la dysphorie sociale lorsque les autres personnes le.la perçoivent comme femme. Il est ainsi primordial de ne pas avoir une idée fixe de ce qu’est la transidentité mais de respecter la différence des expériences de chacun.e.

Transidentité ne doit pas être associée à transition médicale : certaines personnes ne transitionnent que socialement, via leur prénom, leurs pronoms, leurs vêtements, et jamais par des hormones ou des opérations, donc médicalement. L’identité et la validité des personnes trans ne dépendent pas de leur avancement ou non dans les procédures médicales, sociales ou administratives.

Une évolution dans le temps

La patience est l’une des qualités requises pour être un.e allié.e : la façon dont une personne trans s’identifie, tout comme son prénom ou ses pronoms, peuvent par exemple évoluer dans le temps et cela n’invalide d’aucune façon son identité. En outre, il est primordial de ne pas minimiser les expériences vécues par les personnes trans, notamment les micro-agressions du quotidien qui peuvent ne pas paraître grave de façon isolée mais dont l’accumulation peut devenir éprouvante.

La transphobie ne se manifeste pas toujours explicitement avec des insultes ou de la violence physique : c’est une oppression systémique, qui peut donc être plus insidieuse et s’exprimer au quotidien dans notre monde fait pour les personnes cisgenres.

Léon affirme par exemple être très affecté par la transphobie médicale, par exemple le mégenrage de la part des médecins, mais aussi administrative, soit l’obligation de mentionner son sexe sur sa carte d’identité ou encore juridique, par exemple via la procréation assistée interdite aux femmes trans dans beaucoup de pays. Ces formes de transphobie sont banalisées et inscrites dans nos comportements comme nos institutions. 

Il est important de garder en tête que ce n’est pas aux personnes cisgenres de s’auto définir comme alliées. Le but n’est pas de performer un faux militantisme pour se valoriser mais d’utiliser réellement et efficacement ses privilèges pour supporter la cause. Les allié.e.s sont important.e.s mais ne sont pas au centre de la lutte, et le désir de non-mixité doit être respecté.

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