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Arts et culture

Soleils Atikamekw, la lumière sur une nuit sombre

Antoine Jetté-Ottavi
19 octobre 2024

Crédit visuel : Antoine Jetté-Ottavi — Chef du pupitre Arts et culture

Critique rédigée par Antoine Jetté-Ottavi — Chef du pupitre Arts et culture

Le 7 octobre 2024, je me suis rendu à Ciné-Jonction afin de regarder deux films de Chloé Leriche. Le premier, Soleils Bleus, d’une durée de cinq minutes, introduit parfaitement l’ambiance du long-métrage qui suit, Soleils Atikamekw (disponible sur YouTube, Prime et Apple TV). Le style unique et la lenteur émotive de ces œuvres cinématographiques m’ont tant marqué que j’ai voulu m’exprimer sur l’horreur véhiculée dans le récit, tout en explorant la beauté artistique partagée sur l’écran.

Une narration réelle et traumatique

Soleils Atikamekw conte l’histoire d’une communauté autochtone qui, en 1977, a vécu un horrible drame lorsqu’un véhicule est tombé dans une rivière, noyant cinq membres de la réserve (Marie-Paul-Nicole Petiquay, Thérèse Ottawa-Flamand, Denis Petiquay, Julianna Quitich et Lionel Petiquay). À travers les yeux de la jeune Angèle Petitquay (interprétée par Mirociw Chilton), on découvre un mystère inquiétant autour de cet accident, quand nous apprenons que deux hommes blancs inconnus ont curieusement survécu.

Dès le début du film, le son ambiant nous immisce dans une réalité impossible à ignorer, en ce que la voix off des vraies personnes ayant vécu les faits de ce récit accablant est superposée aux visages des acteur.ice.s. D’abord, j’ai cru regarder un documentaire. Ces personnes sont devenues présentes dans mon esprit et n’ont pas pu me quitter tout au long du long-métrage. Quelques fois, nous pouvions les entendre de nouveau ajouter des commentaires et des ressentis aux scènes les plus douloureuses. L’image devenait secondaire alors que leur tristesse mettait vie aux décors.

Ils et elles parlent de leur inquiétude, leur espoir, leur douleur. Nous pouvons éprouver leur besoin de réponses, car encore aujourd’hui, malgré plusieurs enquêtes, la justice s’avère injuste. Le crime reste épisodique pour les enquêteurs, les policiers et les « blancs », que la famille des victimes invective en raison du mal qu’ils.elles leur font subir depuis des générations.

Au niveau de la narration, le film avance lentement et le tragique « accident » survient dans les vingt premières minutes. Nous sommes donc exposé.e.s pendant les quarante-trois prochaines minutes aux contrecoups sur la population de la réserve.  Nous y voyons leurs tentatives pour obtenir des explications auprès de leur chef, qui parle avec la police, sans jamais recevoir quelconque justification pour le décès des cinq membres du clan. On leur dit qu’il s’agit d’une noyade, malgré la présence de marques douteuses sur le corps d’une des victimes. Il est évident qu’il ne s’agit pas d’un accident, mais on ne cesse de leur redire la même histoire fallacieuse.

C’est une œuvre cinématographique qui souhaite apporter du réconfort aux familles des victimes en offrant la vérité à tou.te.s ceux et celles qui veulent bien l’entendre, partage la réalisatrice à la fin de la projection. C’est un message contre le racisme et une lettre ouverte pour reprendre possession du récit de la communauté Atikamekw de Manawan.

Des âmes en images 

Chloé Leriche a un œil photogénique très impressionnant. Alors que le film est lent et sans réel rebondissement, l’attention des spectateur.ice.s s’aiguise sous les plans et les couleurs mises à l’écran. Nous avons de l’empathie pour les personnages et admirons la beauté visuelle de la communauté autochtone.

Je crois que l’élément déclencheur de ce ressenti est la scène où Philippe Flamand (joué par Oshim Ottawa) se fait embarquer de force par les policiers et apporté à la rivière où la voiture a été pêchée afin d’être armé d’un levier pour ouvrir la porte du van. Conscient qu’il s’agissait de la voiture de ses ami.e.s, il essaie tant bien que de mal de forcer la porte. Le jeu de l’acteur est puissant et montre à la fois son désir de partir et la tension de découvrir si ses ami.e.s vont bien. À l’époque, la police a obligé Philippe à identifier les corps, sans son consentement, sans se soucier de ses émotions, de sa souffrance, de son deuil. Ces images sont douloureuses, mais nécessaires pour laisser les spectateur.ice.s entrer dans la peau des victimes de cette époque.

Je me souviens aussi de la scène de Sauterre Flamand (Carl-David Ottawa). Dans un état de deuil, il entre avec son cheval dans la rivière pour tenter de retrouver sa femme décédée (Thérèse Ottawa-Flamand). L’émotion présente dans cette scène en fait toute sa beauté avec les reflets sur l’eau, le ciel éclairci et sombre, l’étalon entrant aux côtés de son maître dans un symbole de dévotion. Et l’indécision qui vient fracasser sa certitude lorsqu’il entend la voix de Martha (Wikwasa Newashish-Petiquay). L’animal qui s’agite. L’idée qui se noie. C’est comme si le cheval personnifiait l’esprit de Sauterre Flamand.

Nous y voyons des enfants jouer en criant, en chantant, en dansant, dans l’eau tout habillé.e.s, dans les champs, proche des chevaux. Des choses que j’ai et que vous avez sûrement déjà faites. Nous les voyons se réunir pour partager leurs ressentis. Ce sont des détails de notre existence, des petites choses par-ci, par-là. Et à l’écran, c’est l’innocence de l’enfance qui rend la calamité subie encore plus atroce. Comment peut-on faire une chose pareille ? Comment peut-on considérer ce peuple avec si peu d’humanité ?

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