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Dossier: J’ai passé un mois à la recherche d’un Sugar Daddy

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27 février 2017

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Par Yasmine Mehdi – Cheffe de pupitre Actualités

Il y a un peu plus d’un mois, je tombais sur un gazouillis se moquant du fait qu’en 2016, l’Université d’Ottawa s’est classée au troisième rang des universités comptant le plus d’inscriptions sur Seeking Arrangements, une plateforme créée en 2006 afin de permettre à de jeunes femmes de dénicher le Sugar Daddy de leurs rêves. Le soir même, je me créais un compte à des fins de recherche. Récit d’une incursion dans un univers méconnu, bien que très souvent fantasmé.

« De nouvelles estimations démontrent que la dette étudiante s’élève à plus de 16 milliards de dollars au Canada », peut-on lire en première phrase d’un communiqué signé Seeking Arrangements (SA). Se vantant d’être le plus important site de rencontre de Sugar Daddies au monde, la plateforme se targue d’ailleurs d’être « une méthode alternative d’aide financière ». Son public cible? Les étudiantes endettées à la recherche d’un homme d’âge mûr pouvant les soutenir financièrement.

Je crée mon profil le matin du 19 janvier. Au cours du mois qui suit, je parle à une bonne dizaine d’hommes, sans jamais accepter de rétribution financière. Aujourd’hui, je rédige ce récit à la première personne, parce qu’il expose mon expérience personnelle à titre de journaliste, et non une réalité commune à toutes les étudiantes s’étant inscrites sur la plateforme.

L’inscription

J’indique que je suis une femme à la recherche d’un sugar daddy. Je fournis une adresse courriel, indique que j’ai plus de 18 ans et confirme que je ne suis pas un robot. On me prie ensuite de fournir une myriade d’informations : âge, taille, corpulence, ethnicité, couleur des cheveux, emploi, éducation et autres. On me demande aussi si j’ai des enfants, si je fume et si je bois.

Petite précision qui s’avèrera utile : je choisis de ne pas mentir sur mon profil et indique que j’ai 18 ans. Je dois avouer être inquiète à l’idée que cela ne dissuade pas certains intéressés. Je découvrirai plus tard qu’il s’agit en fait d’un remarquable atout, tout comme mon ethnicité « moyen-orientale ».

Les prétendants

Seulement douze heures après avoir créé mon profil, je clavarde déjà avec cinq hommes différents. Ils ont entre 30 et 50 ans et touchent un salaire annuel de 50 000 à 300 000 $, du moins selon leur profil. Sur le coup, je dois dire que je suis surprise de la rapidité avec laquelle je suis aspirée par l’engrenage SA; les propositions se multiplient et je finis par passer des heures à parcourir avec curiosité le profil de mes prétendants potentiels.

Au cours de mon aventure, je tombe sur des profils de millionnaires américains comme londoniens, de jeunes entrepreneurs comme de retraités, de célibataires comme de divorcés. Je suis plutôt surprise de constater que plusieurs hommes de la région d’Ottawa inscrits sur le site touchent 50 000 $ et travaillent dans la fonction publique; bien loin de l’image glamour des milliardaires de Silicon Valley que j’avais en tête.

Le processus reste sensiblement le même. Ils m’envoient un message, me demandent de leur envoyer une photo, avant de discuter des modalités de notre arrangement. Coolguy43 est prêt à donner 250 $ lors de chacune de nos rencontres, pourvu que celles-ci se soldent par du « hot naughty fun ». Indianguy2017 promet pour sa part de payer frais de scolarité, loyer, factures et dettes. Sexydaddymtl indique quant à lui qu’il souhaite me voir quatre ou cinq fois par mois, en échange de 6 500 $ mensuellement.

Je réalise qu’en combinant toutes les offres, je toucherais en un mois plusieurs milliers de dollars, ou l’équivalent de mon salaire annuel. En plus d’un chèque mensuel, nombreux sont ceux qui proposent des cadeaux de toute sorte : vêtements, voyages ou visites au spa.

Si les Sugar Daddies potentiels n’indiquent pas toujours de manière explicite qu’ils s’attendent à recevoir des services sexuels, ils l’insinuent assurément : « J’aime être gâté par une femme sensuelle et bien dans sa peau », « Peux-tu m’envoyer une photo sexy de toi? », « Hmm, je me demande ce que tu portes », « Es-tu vierge? »

Il faut tout de même préciser qu’au-delà de l’aspect purement sexuel de la chose, certains hommes semblent également être à la recherche d’une oreille attentive. Un soir, je me retrouve au téléphone avec C. pendant plus d’une heure, qui me raconte ses frustrations professionnelles – il voudrait pouvoir s’adonner à sa passion, la photographie, à temps plein. Apparemment, la vie est dure lorsqu’on a une valeur nette de 5 millions de dollars et qu’on conduit une Corvette Z51.

La rencontre

Les semaines passent et il me semble de plus en plus que le simple fait de clavarder avec des Sugar Daddies ne me donne guère un véritable aperçu de la réalité des 200 000 étudiantes et étudiants inscrits sur la plateforme.

Je me décide donc à prendre un café avec un de mes prétendants. RespectfulGuy42 a un salaire annuel de 125 000 $ et travaille dans le domaine des sciences informatiques. Le 27 janvier, donc, un homme qui n’a pas grand-chose à voir avec sa photo de profil me rejoint dans un Starbucks du centre-ville d’Ottawa.

Au cours des trente minutes que l’on passe ensemble, les sujets de discussions sont divers : études, emploi, voyage, famille et même religion. Il m’explique qu’il a deux enfants en bas âge et ne souhaite pas s’embarquer dans une relation sérieuse, d’où son inscription sur SA.

Après un moment, R. m’indique qu’il préférerait continuer notre conversation à l’extérieur. Très vite, la conversation prend une tournure plus pragmatique. « Combien coûtent tes frais de scolarité? » « As-tu déjà eu des relations sexuelles auparavant? » « You’re ok with kissing and oral and all that stuff? » Il m’explique aussi qu’il n’aime pas les préservatifs et s’attend donc à ce que je partage avec lui les résultats d’un test de dépistage. Voilà pour le romantisme.

Le soir même de notre rencontre, il m’envoie un texto m’annonçant qu’il a désactivé son compte dans l’espoir que notre arrangement irait de l’avant. Il réitère son offre de 1 000 $ par mois. Devant mon absence de réponse, il revient à la charge : « Le montant que j’ai offert peut être augmenté si tu es toujours intéressée. »

Prostitution, oui ou non?

Dans le projet de loi C-36 du gouvernement fédéral, la prostitution est définie « comme un échange de services sexuels moyennant paiement, […] plus particulièrement, un contrat ou une entente, exprès ou implicite, pour un service sexuel précis en retour d’une forme quelconque de rétribution ».

Simon Lapierre est professeur en service social à l’Université d’Ottawa et membre de FemAnvi, un collectif contre la violence faite aux femmes. Pour lui, Seeking Arrangement est sans contredit une plateforme de prostitution.

Je suis un peu perplexe. Assise dans le confort de mon salon, je n’avais pas l’impression de contribuer de quelconque façon à l’industrie du sexe. Après tout, cachée derrière mon écran, j’étais bien loin de la réalité du trottoir, des proxénètes et des réseaux mafieux. C’est justement ce que le professeur Lapierre critique le plus de la plateforme : sa capacité à banaliser, voire à glorifier, la prostitution.

« On remarque que ce site fait très attention, au niveau de son marketing, à ne pas se présenter comme étant de la prostitution. On donne bonne conscience aux hommes qui utilisent le service, on leur donne l’impression qu’ils font le bien, qu’ils aident des jeunes femmes à se sortir de la précarité financière, alors ça reste une forme d’achat du corps de femmes par des hommes », m’explique-t-il.

Si les propos de Lapierre semblent en phase avec mon expérience personnelle, je ne peux conclure mon incursion dans le monde des Sugar Daddies sans parler avec une Sugar Baby. Je contacte le service médias de Seeking Arrangement et un relationniste est plus que comblé à l’idée de me mettre en contact avec un success story de la plateforme.

Je lui transmets mes questions par courriel. C’est Sasha, vingt ans, étudiante en biologie à l’Université de Calgary qui me répond. Elle m’explique s’être inscrite en janvier 2016, après avoir entendu dire qu’il était possible d’obtenir son diplôme sans s’endetter. « Je voulais être une de ces filles », écrit-elle.

Aujourd’hui, elle peut compter sur un chèque mensuel de 3 000 $ de la part de son Sugar Daddy, qui paie également ses frais de scolarité. Si elle concède qu’elle a des rapports sexuels avec son bienfaiteur, elle ne se considère pas travailleuse du sexe : « Nous ne sommes pas payées pour du sexe. Nous avons simplement choisi de fréquenter des hommes prospères qui nous gâtent plus que les garçons de notre âge peuvent le faire. »

Le matin du 25 février, alors que je supprime l’application Seeking Arrangements de mon téléphone, je réalise que toute cette expérience n’a permis de répondre qu’à une fraction de mes nombreuses questions sur le phénomène. À défaut d’avoir appris ce qui pousse tant de jeunes femmes à recourir à des plateformes comme SA, j’ai désormais la conviction qu’il existe autant de réponses à cette question que d’inscriptions sur la fameuse plateforme.

Inscriptions étudiantes sur SA 206 800
Proportion d’étudiant. e. s au premier cycle 82 %
Inscriptions de l’U d’O en 2017 497
Proportion de Canadiens sur SA 8, 2 %

Source : Seeking Arrangements

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