
La place des études africaines dans l’enseignement universitaire
Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Article rédigé par Mireille Bukasa — Cheffe du pupitre Actualités
Le 29 janvier dernier, l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa (U d’O) a organisé une discussion collaborative sur les études africaines. Les échanges avaient pour but de souligner l’apport des programmes d’études africaines dans la promotion d’une compréhension globale et la résolution des défis sociaux actuels.
C’est en lisant un poème écrit par une fillette de 9 ans, intitulé « Ce que je vois est différent de ce que vous voyez », que Karine Coen-Sanchez, candidate au doctorat à la Faculté des sciences sociales de U d’O et modératrice de la rencontre, a introduit la discussion.
Ensuite, la professeure Nathalie Mondain, de la Faculté des sciences sociales, a pris la parole en soulignant l’importance de la diversité dans les études africaines. Elle a ensuite présenté les deux expertes invitées à ce débat.
L’une d’elles, la professeure Dorothy Ekuri, historienne spécialisée en relations internationales, a noté que les études africaines ont souvent été façonnées par une approche occidentale, où le continent est davantage exploré qu’étudié de manière à réellement produire de la connaissance.
Dans la même veine d’idée, la seconde invitée, Tirsit Yetbarek, doctorante et directrice du Centre d’études africaines du Somaliland, a remis en question la vision occidentale des études africaines, qui présente le continent comme étant principalement découvert de l’extérieur. Elle a mis de l’avant la richesse des modes de transmission du savoir en Afrique, en particulier l’oralité, qu’elle considère comme un outil essentiel pour la préservation de la mémoire collective et la promotion de la justice sociale.
Yetbarek a également constesté la reconnaissance de ces formes de savoir par les institutions internationales, qui les considèrent souvent comme secondaires, et a plaidé pour une approche plus inclusive dans les études africaines.
À ce propos, Coen-Sanchez a exprimé sa frustration face à l’absence des voix africaines dans l’espace académique, dénonçant l’idée selon laquelle un discours venant d’un.e Occidental.e serait plus légitime que celui d’un.e Africain.e. Pour elle, le fait même de devoir justifier la place des études africaines dans les universités témoigne de cette domination.
Modes de transmission du savoir
Pour Mondain, toute réflexion sur la décolonisation des méthodologies doit inclure la pédagogie, car ces deux aspects sont indissociables dans la transmission du savoir.
Ekuri a plaidé pour une complémentarité entre les méthodologies occidentales et africaines, afin d’enrichir la production de connaissances. Les études africaines permettent d’aller au-delà des perspectives limitées de l’anthropologie en intégrant de nouveaux domaines d’analyse, a précisé l’experte en sociologie et en anthropologie.
Évoquant la transmission des connaissances tant en Amérique du Nord qu’en Afrique, une participante a souligné l’impact de la colonisation, mettant en évidence la perte de sens et de nuances due à l’imposition des langues étrangères et à la suppression d’éléments essentiels dans la réécriture de l’histoire africaine.
« Il serait préférable de mettre en avant l’épistémologie africaine, où la connaissance se transmet par l’art, comme la poésie et la musique, et s’ancre dans le vécu et les interactions, plutôt que d’être extraite de façon abstraite ou quantifiable », a rétorqué un autre participant.
Sans contredire ce participant, Ekuri et Yetbarek ont suggéré l’importance d’améliorer les études africaines et de les rendre accessibles à un public plus large, mais surtout de reconnaître le travail des écrivain.e.s africain.e.s dans l’évolution des études africaines.
Pour Sanchez, le problème de l’enseignement des études africaines ne réside pas dans le fait d’enseigner ces sujets, mais plutôt dans qui enseigne et comment ils sont enseignés.
Déconstruction des stéréotypes
Militante et chercheuse, Coen-Sanchez a critiqué la manière dont l’histoire des personnes noires est abordée en Occident, notamment pendant le Mois de l’histoire des Noir.e.s. Ce dernier se concentre presque exclusivement sur l’esclavage et la pauvreté, renforçant une image de victimisation et de dépendance envers les « sauveur.se.s », a-t-elle constaté.
Coen-Sanchez a insisté sur l’importance d’un discours sur l’Afrique porté par les Africain.e.s et fondé sur leurs expériences et vérités, sans influence des récits occidentaux. Elle a attesté que les études africaines doivent être abordées dans une perspective authentique et décolonisée.
Professeure invitée à l’U d’O, Ekuri a raconté avoir été étonnée de constater que de nombreux.ses étudiant.e.s ignoraient que l’Afrique est un continent regroupant 54 pays, révélant ainsi une méconnaissance généralisée du continent. Selon elle, l’idéal serait que l’enseignement des études africaines soit confié à des Africain.e.s, dans le but d’offrir une vision plus directe et fidèle.
Une participante a également partagé son expérience en indiquant que, bien qu’elle soit d’origine africaine, sa connaissance du continent demeure limitée. Elle a estimé que cette thématique devrait être incluse de manière structurée et accessible dans les programmes scolaires, car les échanges entre adultes ne suffisent pas à sensibiliser l’ensemble des jeunes.
Défis à relever
Coen-Sanchez a plaidé pour une approche horizontale des études africaines, en enseignant les civilisations précoloniales pour montrer que l’Afrique avait une histoire riche avant la colonisation.
Une participante a également proposé un programme d’échange permettant aux étudiant.e.s de l’U d’O de se rendre dans des pays d’Afrique afin de vivre les réalités locales et de les partager par écrit. Toutefois, Coen-Sanchez a insisté sur l’importance de revoir les critères de sélection pour ces programmes d’échange, afin de garantir une représentation plus équitable des étudiant.e.s africain.e.s.
Mondain a quant à elle souligné l’importance de mieux faire connaître le programme en études africaines de l’U d’O, encore méconnu du grand public. Bien qu’il attire principalement la communauté étudiante afro-descendante, curieuse d’en apprendre davantage, beaucoup ignorent l’existence d’une mineure leur permettant de poursuivre l’apprentissage après un cours obligatoire, a-t-elle affirmé.
La professeure en sciences sociales a insisté sur la nécessité d’améliorer la visibilité des études africaines, d’autant plus qu’il s’agit d’un programme multidisciplinaire incluant les sciences sociales, les arts, la gestion et le droit.