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Opinions

Travail du sexe en pandémie ; la lutte pour l’acceptation

Actualités
4 Décembre 2020

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Chronique rédigée par Gabriella Santini – Contributrice

Comme de nombreux autres secteurs, l’industrie du sexe a été particulièrement impactée par la pandémie. Plusieurs de ces travailleur.euse.s ont dû se tourner vers les médias sociaux payants pour offrir leurs services en ligne et gagner leur vie. Entre exploitation, criminalisation et stigmatisation ; cette version virtuelle n’est pas exemptée d’inégalités sociales.

Au lendemain de l’annonce d’un confinement de l’Ontario en mai dernier, les bars à danseur.euse.s ont été parmi les premiers établissements à complètement fermer. Malgré la réouverture progressive des services en personne, la peur de ramener le virus à la maison a conduit de nombreux.euses client.e.s à restreindre leurs bulles sociales, entraînant ainsi des pertes de revenus énormes et soudaines des entreprises pour adultes.

Jade*, danseuse exotique dans la région d’Ottawa, explique que les travailleur.euse.s du sexe n’étant pas sûr.e.s de leur admissibilité aux aides gouvernementales comme la Prestation canadienne d’urgence (PCU), ils.elles ont dû s’adapter. Elle ajoute que beaucoup se sont alors tourné.e.s vers le travail en ligne. 

De nombreux sites de webcam pour adultes ont été soudainement inondés de nouveaux membres, notamment Onlyfans. Depuis le début de la pandémie, la compagnie britannique a enregistré 200 000 nouveaux utilisateur.rice.s et 7000 nouveaux.elles créateur.rice.s de contenus chaque jour. 

Profession exigeante …

Gagner un revenu stable sur une plateforme virtuelle implique beaucoup de travail, surtout en partant de zéro, déclare Elisa*, travailleuse du sexe À Ottawa. Membre d’Onlyfans depuis mars dernier, elle affirme qu’il s’agit d’un effort constant. Contrairement au travail du sexe en personne, elle affirme ne pas pouvoir prendre de repos, car l’inactivité entraîne une perte d’intérêt auprès des abonné.e.s entraînant une baisse significative de ses revenus. « Les créateur.rice.s doivent être cohérent.e.s et rester pertinent.e.s. Nous essayons toujours de trouver la prochaine meilleure idée, car la concurrence est élevée », ajoute-t-elle.

En plus, ce travail difficile n’est pas bien rémunéré. Les producteur.rice.s de contenu érotique sont entièrement dépendent.e.s des acheteur.euse.s, car il.elle.s sont salarié.e.s à la commission. Ils.Elles doivent aussi payer des frais d’utilisation généreux aux plateformes. Onlyfans, par exemple, conserve des frais de 20 %, et d’autres sites tels que Chaturbate et Streamate prennent plus de 40 %.

L’arrivée de nombreux.euses amateur.rice.s et célébrités sur la plateforme a rendu, selon Jade, le site encore plus compétitif qu’il ne l’était déjà. Bien qu’Onlyfans refuse de faire de la publicité pour les créateur.rice.s de contenu explicite, l’entreprise n’hésite pas à faire la promotion des célébrités sur sa page Instagram. L‘ancienne star de Disney Channel, Bella Thorne, membre depuis août dernier, a dépassé en 24 heures le seuil du million de dollars. Elle a utilisé sa popularité pour arnaquer ses fans, en facturant 200 $ pour une image promettant faussement de la nudité aux acheteur.euse.s. L’utilisation abusive de la plateforme de la part de Thorne n’a fait qu’alimenter le stéréotype selon lequel les travailleur.euse.s du sexe sont des escrocs.

Mais ce qui a particulièrement irrité les créateur.rice.s d’Onlyfans comme Jade et Elisa, c’est la façon dont Thorne a provoqué une vague de rétrofacturations. Les utilisateur.rice.s ont voulu récupérer leur argent après l’incident, conduisant Onlyfans à modifier ses conditions générales. L’entreprise a ainsi réduit le montant que les créateur.rice.s peuvent facturer pour leur contenu, et a « allongé le délai de paiement de 23 jours dans quatorze pays où le risque de fraude est jugé le plus élevé ».

Malgré cet usage impropre de la plateforme, Thorne n’a reçu aucune sanction de la part d’Onlyfans, tandis que plusieur.e.s autres créateur.rice.s de contenu explicite n’ayant pas les mêmes privilèges, se font réprimander sans explication ou avertissement. Cela en dit beaucoup sur la manière dont le travail du sexe est perçu.

… mais criminalisée …

Le travail du sexe virtuel, c’est donc un effort constant, non seulement dans la création de contenu mais également en termes de marketing, d’image de marque, de réseautage, et de comptabilité. Pourtant, ces travailleur.euse.s doivent constamment faire face aux conséquences sociales et juridiques de leur activité.

Le fait de gérer son activité en ligne demande de se dévoiler publiquement, et peut exposer les pratiquant.e.s à un risque de menaces et d’extorsion. Et puisque ce travail est criminalisé au Canada, il n’y a aucune protection légale pour les victimes.

Aux États-Unis, des lois telles que la Fight Online Sex Trafficking Act (FOSTA) ou la loi Stop Enabling Sex Traffickers Act, signées par Donald Trump en 2018, rendent la publicité de services sexuels en ligne plus difficile pour les travailleur.euse.s du sexe. Ces lois visent à empêcher l’exploitation sexuelle, en rendant notamment les sites internet responsables des publicités de prostitution de tierces parties sur leur plateforme.

Ce qui est problématique, c’est que de telles lois confondent le travail sexuel consensuel avec la traite des êtres humains. Selon Freedom Network USA, une agence de défense de la traite de personnes, « FOSTA étend la criminalisation aux travailleur.euse.s de sexe commerciaux et consensuels sous prétexte de lutter contre le trafic sexuel. »

Et ces problèmes n’existent pas seulement de l’autre côté de la frontière. Les travailleur.euse.s du sexe canadien.ne.s ressentent également les effets de ces lois, puisqu’ils.elles utilisent des plateformes américaines pour annoncer leurs services. Les modalités d’utilisation d’Onlyfans sont donc aussi largement influencées par de telles mesures. Puisque les escortes sont banni.e.s de la plateforme, les travailleur.se.s du sexe ne peuvent ni annoncer des rencontres en personne, ni vendre du contenu fétiche, sous peine d’être exclu.e.s du site, perdant à la fois leurs abonné.e.s et leurs fonds.

Il faut faire une distinction claire entre le travail du sexe non consensuel, c’est-à-dire la traite de personne, et le travail du sexe consensuel. Ainsi, ces travailleur.euse.s auraient plus de liberté à utiliser les médias sociaux sans risquer la confiscation de leur profils et sources de revenus.  

… et sans cesse stigmatisée 

Le travail du sexe est non seulement criminel, mais est également stigmatisé socialement. Il est généralement perçu comme une profession honteuse, affectant directement les conditions de vie de celles et ceux qui la pratiquent. « Nous devons abolir les stéréotypes selon lesquels les travailleur.euse.s du sexe sont des escrocs ou des opportunistes essayant de gagner de l’argent facile dans les médias […]. Le travail du sexe est un travail. Décriminalisez-le ! », s’exclame Elisa. Jade la rejoint en soulignant que les injustices auxquelles ces professionel.le.s font face s’expliquent non seulement en termes de discrimination et de stigmatisation, mais aussi dans la décision de fermer les bars à danseur.euse.s. 

La COVID-19 n’a, en rien, arrangé les stigmatisations auxquelles font face les travailleur.euse.s du sexe. Selon une danseuse de Toronto citée dans un article de CTV, les fermetures renforcent « l’idée que les travailleur.euse.s du sexe sont des vecteurs de maladies ». Alors que les mois les plus froids de l’année approchent, et en pleine deuxième vague de pandémie, les travailleur.euse.s du sexe se préparent donc à naviguer l’incertitude.

« Nous faisons de notre mieux pour survivre, comme tout le monde ! […] Les travailleur.euse.s du sexe sont résilient.e.s. Nous sommes habitué.e.s à trouver des moyens de contourner les politiques discriminatoires et de créer un espace pour nous-même. Mais ce qui me faciliterait la vie, c’est la déstigmatisation et la dépénalisation du travail du sexe », s’exclame Elisa.

Les efforts de déstigmatisation et de décriminalisation ne doivent pas se limiter au commerce du sexe en ligne ; ces problèmes sont présents au-delà des écrans d’ordinateur. Le travail du sexe est un travail comme les autres, et devrait être perçu comme tel. Chacun.e de ces travailleur.euse.s devrait, virtuellement ou en personne, bénéficier des mêmes droits et avantages sociaux que n’importe quel.le autre travailleu.euse. 

* Les prénoms des intervenantes ont été modifiés afin de préserver leur anonymat.

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